Daniel Cordier, l’Histoire et la mémoire

Mar 10, 2022 | La guerre, la Résistance et la Déportation

 

 

Acteur et témoin de la Résistance, devenu historien pour défendre la mémoire de Jean Moulin, Daniel Cordier a provoqué un passionnant débat sur l’écriture de l’histoire récente.

Tout a commencé en 1977 par un débat télévisé. Humilié en direct par Henri Frenay, chef du mouvement Combat, étonné par les témoignages de ses anciens camarades, Daniel Cordier décide à 57 ans de se faire historien pour établir la vérité sur Jean Moulin, accusé de cryptocommunisme.

Aidé par deux historiens de métier – François Bédarida et Jean-Pierre Azéma -, assisté par une équipe de jeunes chercheurs, l’ancien secrétaire de Jean Moulin produisit sur l’inconnu du Panthéon un travail considérable, appuyé sur une masse d’archives jusqu’alors inaccessibles. Reconnu comme historien sans avoir franchi la moindre étape universitaire, Daniel Cordier fut invité à présenter ses recherches lors d’une mémorable journée d’études, tenue à la Sorbonne le 9 juin 1983 sous l’égide d’éminents historiens et en présence de plusieurs personnalités de la Résistance.

Laurent Douzou explique (1) comment s’est organisée cette journée, présente le bilan des études sur la Résistance menées depuis la Libération, résume l’intervention de Daniel Cordier et les répliques, parfois vives, de ses anciens camarades de lutte – notamment Claude Bourdet, Henri Noguères, René Hostache. Eugène Claudius-Petit déclara que les propos de Daniel Cordier lui donnaient l’impression que “la Résistance était jugée par l’administration de la Résistance” alors que l’ancien secrétaire de Jean Moulin critiquait vertement l’amateurisme et la guerre des chefs de mouvement.

Le déroulement de cette journée constitue un tournant historiographique majeur, provoqué par un témoin devenu historien et qui récuse ou conteste les témoignages de ses anciens compagnons par un recours méthodique aux archives. Il y a un moment Daniel Cordier parce que l’histoire orale, qui recueille la parole de ceux qui ont vécu une période historique, cesse de se développer en raison du retour aux sources écrites qui s’opère avec Daniel Cordier.

Il faut, bien entendu, éviter les simplifications. Les historiens n’ont jamais accordé une confiance aveugle aux témoins et, par ailleurs, Daniel Cordier n’est pas le seul témoin qui soit devenu historien : Jean-Louis Crémieux-Brilhac a publié en 1996 une histoire de la France libre qui fait toujours autorité. Enfin, Daniel Cordier n’a pas hésité à utiliser son témoignage personnel pour conforter son récit, La République des catacombes se situant entre histoire et mémoire.

Citant Lucien Febvre, Laurent Douzou note que “l’histoire telle qu’elle s’écrit change nécessairement au fil du temps parce que le présent ne cesse de reformuler les questions qu’il pose au passé”. Il y aura encore et toujours d’autres histoires de la Résistance.  

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(1) Laurent Douzou, Le moment Daniel Cordier, Comment écrire l’histoire de la Résistance ? CNRS Editions, 2021. Les Actes de la journée d’études sont publiés dans le livre.

 

Article publié dans le numéro 1230 de « Royaliste » – 10 mars 2022

 

 

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