De Gaulle dix ans après

Nov 13, 1980 | Res Publica

 

« Puisque tout recommence toujours, ce que j’ai fait sera, tôt ou tard, une source d’ardeurs nouvelles après que j’aurai disparu », écrivait le général de Gaulle. Dix ans après sa mort, que reste-t-il de son projet, et où sont les ardeurs nouvelles qu’il pressentait ? En cette période d’agitation confuse et superficielle, l’œuvre du fondateur de la Vème République paraît moins solidement établie, et les « ardeurs » des hommes politiques semblent dictées plus par l’ambition que par la volonté de mettre en œuvre un grand dessein.

Gardons-nous cependant d’un pessimisme radical. Peut-être est-il trop tôt pour que l’inspiration gaullienne, pleinement retrouvée, vienne renouveler la vie politique française. Mais il demeure des principes politiques et une constitution qui peuvent, avec d’autres hommes et dans d’autres circonstances, inspirer et soutenir un nouveau projet pour la nation. Car il ne s’agit pas, ici, de faire du gaullisme ou de l’antigaullisme : les bilans, plus ou moins honnêtes et plus ou moins complets, intéressent désormais l’histoire, et les règlements de comptes nous enferment, eux aussi, dans le passé. L’important est d’analyser ce qui a résisté à l’épreuve du temps, pour voir ce qui doit être préservé, ou transformé, dans l’avenir.

UN CONSENSUS

Le général de Gaulle, si combattu de son vivant, a créé une situation tout à fait extraordinaire dans notre vie politique : les institutions ne sont plus contestées, la constitution n’est plus attaquée comme elle l’était sous la IVème République. Il y a, comme on dit, un large consensus autour de la Vème République, y compris dans l’opposition de gauche qui avait naguère dénoncé le « coup d’Etat permanent ». Sans doute, certains ne se privent pas de dénoncer telle inflexion, trop « présidentialiste », ou de regretter que tel équilibre pratique, par exemple entre le Président et le Premier Ministre, ne se fasse pas autrement. Mais le fait est que personne ne propose de fabriquer une autre constitution.

Même les royalistes ? Eh oui ! Car si la lettre de la Constitution est « républicaine », son esprit est monarchique : elle assure l’unité de l’Etat et la continuité de son action, elle manifeste le souci de l’arbitrage, exercé par un Président rétabli dans ses prérogatives face aux empiétements d’une Assemblée qui ne représente jamais que des intérêts particuliers. Cela sur le plan des principes. Quant à l’efficacité, elle paraît certaine : ni « parlementaire », ni « présidentielle », mais souple agencement des deux formules qui donnent la possibilité d’infléchir la pratique en fonction des circonstances, elle permet à l’actuel Président de gouverner sans véritable majorité, ce qui est sans doute tactiquement regrettable, mais prouve l’excellente résistance des mécanismes mis en place en 1958. Bien sûr, cette constitution recèle des contradictions qui peuvent la mettre en péril : le conflit possible entre le Président et le Premier ministre, ou entre l’Assemblée nationale et l’exécutif, peuvent entraîner une situation de crise prolongée. Du moins l’actuelle constitution parvient-elle, depuis plus de vingt ans, à triompher des difficultés ordinaires, alors que la IVème République ne parvenait pas à s’en dépêtrer.

« ROYALISER LA PRESIDENCE»

Juste dans ses principes, efficace dans sa pratique, notre constitution a surtout permis que soit restaurée l’idée de légitimité. C’est en cela que le général de Gaulle est profondément royaliste, comme le comte de Paris l’explique dans ses Mémoires (1). Et c’est par cette légitimité restaurée que la réconciliation entre la tradition monarchique et celle postérieure à 1789 peut être réalisée : telle fut l’intention commune du général de Gaulle et du comte de Paris, qui ne put aboutir, mais qui permet de comprendre le principe de leur politique. Il n’est pas possible de rejeter cette analyse et de faire du projet commun du Prince et du Général une simple curiosité historique sous prétexte qu’il a concrètement échoué. Car l’exigence demeure, non seulement chez les héritiers réels ou prétendus du général de Gaulle, mais aussi chez les représentants d’autres traditions.

Chacun, aujourd’hui, voudrait être un recours, chacun tente d’apparaître comme un homme libéré de son appareil partisan, s’adressant directement à la nation. Ainsi Michel Rocard à Conflans Sainte-Honorine. Ainsi Valéry Giscard d’Estaing qui, dans ses discours, invoque l’indépendance du chef de l’Etat, son rôle d’arbitre et de garant de l’unité. Mais Rocard reste un homme de parti, son succès ou son échec dépendent du choix initial du P.S.. Mais Giscard reste le représentant de la bourgeoisie financière, et ne peut être l’arbitre qu’il prétend : la légitimité n’est en lui qu’une nostalgie, qui le conduit à des attitudes caricaturales lorsqu’il se soucie d’étiquette ou lorsqu’il se prend pour le descendant de Louis XV. On peut sourire de cette quête éperdue, on peut s’indigner du spectacle présidentiel et de la récupération des thèmes gaulliens : ces singeries, ces caricatures, ces comportements mimétiques montrent d’abord que, depuis de Gaulle, l’idée de légitimité hante la conscience politique de notre pays.

C’est de là qu’il faut partir, et non d’une opposition abstraite et désormais stérile entre la « République » et la « Monarchie ». Nous ne devons pas laisser l’idée de légitimité se corrompre dans le jeu politicien, et ce souci essentiel se perdre à nouveau. Mais il faut aller plus loin, et pousser jusqu’à son terme la logique gaullienne. L’homme du 18 juin a instauré une monarchie élective : il a rétabli le principe de l’unité du pouvoir en l’appuyant sur le consentement populaire. Il s’agit maintenant, selon l’heureuse formule d’un juriste (2) de « royaliser la présidence », c’est à dire d’appuyer le principe d’unité sur une légitimité historique, de le mettre au service de la justice et de la liberté, donc de poser les conditions de l’arbitrage vrai, qui suppose une indépendance pleine et entière du chef de l’Etat. Mais cette indépendance, aucun homme de parti ne peut y prétendre.

***

(1) Henri, comte de Paris – Mémoires d’Exil et de combat- Atelier Marcel Jullian.

(2) Dominique Decherf -L’Institution de la Monarchie dans l’esprit de la 5ème République, L.G.D.J.

Editorial du numéro 325 de « Royaliste » – 13 novembre 1980

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