Dans une enquête remarquable, Jean-Christophe Notin expose avec précision tous les aspects de la guerre en Libye (1). Mais c’est dans la description des opérations menées par l’Armée française qu’il excelle. Des questions politiques demeurent cependant posées.
Nous avions présenté avec enthousiasme le précédent ouvrage de Jean-Christophe Notin (2) et nous retrouvons dans cette première histoire de la guerre en Libye les qualités qui rendent ses ouvrages passionnants et mémorables : informations puisées aux meilleurs sources, présentation claire des opérations et de l’ensemble des dispositifs techniques, sens du récit.
Nous sommes donc transportés au cœur des négociations internationales, dans les différents centres de commandements, puis au-dessus de Benghazi, sur une frégate au large du golfe de Syrte, chez Kadhafi puis dans les rangs des insurgés et avec les hommes du Commandement des Opérations Spéciales. Les actions des Américains et des Anglais sont bien entendu relatées dans leurs détails mais c’est l’Armée française qui occupe la première place dans le livre. Le choix est judicieux car il nous permet de découvrir au fil de l’action la complexité de l’organisation guerrière, les hommes qui la dirigent et qui exécutent les missions, la haute technicité des armes, des instruments de communication et des matériels d’observation et d’écoute… Les éclairages et les innombrables précisions apportées par Jean-Christophe Notin permettent de faire plusieurs observations politiques qui ont leur importance pour l’avenir.
1/ Après l’Afghanistan – autre forme de guerre – la mise à l’épreuve en Libye met en évidence une vérité qu’il faut faire connaître : en cas de nécessité, l’Armée française peut utiliser avec une efficacité redoutable une panoplie complète d’armes et, à tous les échelons, des soldats remarquablement entraînés. C’est parce la France a quitté l’OTAN et choisi l’indépendance militaire que nous bénéficions aujourd’hui de ce formidable atout.
2/ Si notre Armée est d’une qualité exceptionnelle par rapport aux autres armées de l’ouest-européen, elle serait d’une taille trop modeste pour pouvoir faire face victorieusement à une guerre plus longue et plus dure que celle de Libye. Pour la Défense nationale, l’heure n’est pas aux restrictions de crédits mais au développement de l’ensemble des éléments de notre dispositif.
3/ Il est inutile d’invoquer une défense européenne qui a démontré une fois de plus son caractère illusoire lorsque la question de l’intervention militaire en Libye s’est posée. L’Allemagne, la République tchèque et la Pologne ont refusé l’envoi de troupe et Catherine Ashton, dont il faut faire un effort pour se souvenir qu’elle est en charge de la diplomatie de l’Union, a fait la preuve, superfétatoire, de sa parfaite inexistence.
4/ La question des buts de la guerre, longuement analysée par Jean-Christophe Notin, trouve chez lui une réponse simple et convaincante : l’intervention était justifiée par la nécessité d’empêcher le massacre annoncé des combattants et des civils de Benghazi. Les initiatives diplomatiques françaises puis le premier bombardement opéré par l’Armée française ont manifestement empêché cette tragédie. Pour Nicolas Sarkozy, c’est un incontestable succès.
5/ Mais le succès militaire ne saurait faire oublier la déconvenue politique. L’Elysée voulait une opération commune franco-britannique or « les Britanniques ont leurs bouches et leurs oreilles à Northwood [où se trouve le Permanent Joint Headquarters britannique], mais leur cerveau est à Ramstein, avec les Américains ». A Paris, la ligne initiale est de tenir l’OTAN hors de l’affaire et il aurait été possible de mener les opérations sans les moyens américains – mais avec des risques supplémentaires. Pourtant, ce sont les Américains, engagés en Libye mais désireux de ne pas trop en faire, qui décident de transférer à l’OTAN la direction des opérations. Transfert quelque peu théorique : l’opération « Unified Protector » (UP) est dirigée par le général canadien Charles Bouchard mais « le commandant en chef des forces en Europe, l’amiral Stavridis, est américain ; le chef du QG OTAN à Naples, l’amiral Locklear, est américain ; le patron des opérations aériennes à Izmir, le général Jodice, est américain. L’US Air Force va fournir 90% des ravitailleurs, l’essentiel des moyens de guerre électronique ; leur flotte de bombardiers à Aviano veillera sur la campagne comme un faucon sur l’épaule du chasseur. Bref, il est patent que rien ne se fera en Libye sans consulter les Américains, voire sans recueillir leur accord ».
6/ Il est donc patent que les Américains restent les maîtres du jeu et qu’ils le feront sentir là où ils ont des intérêts majeurs à défendre. Machine lourde, inadaptée aux conflits actuels, l’OTAN restera un piège pour la France et risque d’être, pour ses dirigeants, le prétexte à réduction de ses capacités militaires.
7/ Jean-Christophe Notin se montre très optimisme quant à l’avenir de la Libye et balaie les avertissements sur la progression de l’islamisme et sur la diffusion du terrorisme. Ses arguments sont solides mais ne sauraient dispenser la France de mener une action résolue et multiforme dans un pays où elle est partout célébrée.
8/ Dernier point, et le moindre : d’un bout à l’autre de l’affaire libyenne, Bernard-Henri Lévy ne fut jamais rien d’autre que la mouche du coche ou, si l’on veut lui témoigner quelque considération, le frelon de l’armada.
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(1) Jean-Christophe Notin, La vérité sur notre guerre en Libye, Fayard, 2012.
(2) La guerre de l’ombre des Français en Afghanistan, Fayard, 2011.
Article publié dans le numéro 1024 de « Royaliste » – 10 décembre 2012
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