A chaque semaine ou presque, son échec. Que la cause soit bonne, comme à Dreux, ou douteuse, comme à Antony, c’est toujours le même vent de défaite.
Il est vrai que l’opposition mène son combat avec cynisme et brutalité. Mais les plaintes et les exhortations morales ne changent rien à l’affaire : la cote présidentielle baisse de façon constante, le climat général s’alourdit et la fracture entre les deux camps devient chaque mois plus profonde. Même les élections à la Sécurité Sociale sont devenues un enjeu politique (et c’est encore un échec pour les syndicats de gauche) par la volonté d’une droite qui entend faire flèche de tout bois. Mais elle se garde bien de dire comment elle recollera les morceaux…
La lourde responsabilité de l’opposition ne peut cependant effacer les erreurs et les faiblesses du gouvernement et du parti dominant. Aveugles, présomptueux ou mal inspirés, nombre de responsables de la gauche risquent à présent de transformer des revers partiels en déroute totale. Il suffit d’énumérer les affaires du mois écoulé pour être saisi de consternation :
— L’affaire de la « cellule » policière de l’Elysée est consternante car l’accumulation de l’inexpérience, de la légèreté et des compromissions met en question la capacité de l’Etat à organiser la prévention du terrorisme. C’est d’autant plus dangereux que la France est présente dans trois zones de conflits.
— Les manœuvres contre l’enseignement libre sont également consternantes parce qu’il s’agit d’un faux débat, que mènent les laïcs avec des arguments d’un autre âge pour satisfaire d’incroyables obsessions. Intégrer dans un secteur public en crise un enseignement libre apprécié par la plupart des Français est délirant. Pousser le Pouvoir politique à une intransigeance qui provoquerait une violente révolte est suicidaire (1).
— Quant à la question corse, elle est dramatique car nous savons que la logique de la violence ne peut plus être arrêtée. La police est peu efficace, l’Assemblée régionale est impuissante et le FNLC a dépassé le point de non-retour. Sans doute le gouvernement n’est-il pas entièrement responsable d’une situation qui était explosive bien avant 1981. Mais il n’a pas réussi à la maîtriser et se retrouve exposé à un facteur particulièrement inquiétant de déstabilisation.
INCERTITUDES
Tel est le climat, que les incertitudes économiques viennent encore alourdir. Comme nous le redoutions en mars dernier, il est maintenant certain que Jacques Delors ne gagnera pas son pari contre l’inflation : les résultats de septembre montrent qu’il n’est plus possible de ramener le taux annuel ni à 8{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} ni même à 8,5{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} – à moins de « casser le thermomètre » par un blocage. Le Ministre des Finances n’a pas voulu s’attaquer aux causes structurelles de l’inflation. Il pourra mesurer dans les prochains mois les conséquences de son refus.
Il y a plus grave encore. En pleine guerre économique, au moment où chacun peut percevoir l’éventualité d’un déclin rapide de l’économie française, le gouvernement ne dispose toujours pas d’une véritable stratégie industrielle. Il y a eu, depuis deux ans et demi, des réformes, des discours, trop souvent des changements d’hommes (trois ministres de l’industrie depuis 1981 I), parfois des projets cohérents… Malgré le brillant discours de M. Fabius devant l’Assemblée nationale, comment ne pas éprouver de l’amertume devant tant d’actes manqués et de temps perdu ?
Au début du septennat et jusqu’au mois de mars dernier, une politique relativement cohérente semblait avoir été mise en œuvre. Les nationalisations devaient jouer un rôle moteur, la reconquête du marché intérieur était souhaitée, des filières industrielles étaient mises en route. L’indispensable protection du marché intérieur faisait cependant défaut. Depuis mars, les intentions, les discours et les hommes ont changé : contraction de la demande, refus de toute politique des importations, et maintenant préférence marquée pour les P.M.E.
Pendant ce temps, le retard technologique de la France s’accroît, nos concurrents étrangers conquièrent une part toujours plus importante du marché intérieur et les prévisions en matière de chômage sont de plus en plus pessimistes. « En fait, écrivait récemment Jean-Michel Quatrepoint (2), tout se passe comme si la gauche n’était pas parvenue à élaborer une véritable politique industrielle » parce qu’elle a trop espéré d’une croissance qui n’est pas venue. La déception est d’autant plus grande que la gauche avait répété sur tous les tons que « grâce au socialisme » la crise serait rapidement surmontée. Mais le socialisme est lui-même devenu une notion bien floue.
LA LOGIQUE DU PIRE
Nous en sommes là. Les mécanismes de la catastrophe sont en place et il faudrait peu de choses pour qu’ils se déclenchent. Il suffirait pourtant de quelques décisions pour que la logique du pire ne se mette pas en marche : une déclaration en faveur de la liberté de l’enseignement – ce qui, fort heureusement, vient d’être fait; une rupture avec les tabous d’un libéralisme économique que nos concurrents ne respectent pas; la définition d’un projet économique cohérent et une explication claire des enjeux afin que ce projet puisse être compris et soutenu; le refus de toute attitude de guerre civile et la volonté de dépasser les rivalités partisanes.
Car c’est bien cela que les citoyens sont en droit d’exiger de l’Etat : l’indépendance à l’égard des partis et des groupes de pression, l’affirmation de l’unité, la définition d’un projet commun, la continuité dans l’action, le respect et la protection des libertés fondamentales. Les principes qui guident la politique extérieure du Président (3) doivent aussi se traduire dans la politique intérieure. Sinon tout risque d’être rapidement et définitivement compromis.
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(1) Voir, dans ce numéro, l’article de Sylvie Fernoy.
(2) Le Monde. 11 octobre 1983.
(3) Voir l’éditorial du précédent numéro.
Editorial du numéro 390 de « Royaliste » – 26 octobre 1983
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