Le projet du Parti socialiste, rédigé par Martine Aubry en vue des élections de l’an prochain, propose de « démocratiser la République ». L’injonction est superbe. L’exercice est délicat. Le résultat sera, une nouvelle fois, consternant.

Une nouvelle fois ? Comme d’habitude, les équipes rivales au sein de l’oligarchie présentent des programmes chatoyants, qui combinent le slogan et la réclame publicitaire dans des formules qui sentent l’imposture (« la vie en mieux ») ou qui sont tuées par leur préciosité ridicule : « réenchanter la politique », c’est passer du programme à l’opération magique. Mais peu importe puisque l’équipe gagnante nous fait savoir, au lendemain des élections, que le « réalisme » et l’absence de « marges de manœuvre » lui impose le laisser-faire. Telle est la première atteinte, manifeste, à la démocratie : conquérir le pouvoir par l’esbrouffe pour y proclamer son impuissance.

Le rappel des « désenchantements » de 1995 et de 1997 discrédite d’entrée les messages émis par MM. Chirac et Jospin et fabriqués par des officines spécialisées dans le double langage. Au cours des mois qui viennent, nous accorderons peu de place à la « communication » oligarchique, sauf s’il s’agit de sauver le sens des mots et l’espérance politique qu’ils portent.

Ainsi l’injonction récupérée par la propagande jospiniste : « démocratiser la République » suppose un progrès possible de la démocratie et le souci constant et raisonné de la res publica. Ces deux conditions ne sont plus réunies. Le souci du bien commun, qui implique la volonté effective de servir l’intérêt général, s’est perdu au fil de négociations obscures avec des groupes de pression idéologiques, financiers, terroristes, ou de redditions hâtives aux manifestants capables de paralyser la vie du pays, de ruiner le semblant d’ordre public ou de menacer des intérêts électoraux. Les révoltés qui n’ont pas cette capacité de nuire, et les protestataires qui ne peuvent pas descendre dans la rue sont généralement méprisés et relèvent au mieux des systèmes de distribution d’aumônes.

La démocratie n’est pas en meilleur état. Au contraire du progrès qu’on nous fait miroiter, nous subissons une formidable régression de l’exigence démocratique de justice et de liberté, et la destruction, lente mais certaine, des institutions qui permettent de garantir et de développer la démocratie dans la nation ordonnée par le principe res publicain – c’est-à-dire selon la raison politique, loin de toute faribole enchantée.

Tels sont nos concepts, maintes fois explicités. Mais on dire les choses plus simplement. Elle fiche le camp par tous les bouts, la démocratie :

Démocratie aliénée dans les organes multiples et les circuits opaques du despotisme européen, là où l’oligarchie se complait dans les rêveries perverses de « la » constitution européenne alors que la Banque centrale européenne agit sans le moindre contrôle démocratique, alors que l’eurocratie est pourrie par les groupes de pression, alors que le chef du gouvernement italien ne songe qu’à instaurer dans son pays, avec le soutien d’un parti issu du fascisme, la loi du Milieu (1).

Démocratie abandonnée par les parlementaires français eux-mêmes, qui veulent oublier que la déclaration de guerre est autorisée par le Parlement et qui acceptent, à quelques exceptions près, que la loi ne soit plus l’expression de la volonté générale, mais l’adaptation des directives bruxelloises.

Démocratie exténuée dans les fantasmagories de prétendues communautés où l’on croit retrouver ses racines alors qu’on fabrique des sociétés closes, autoritaires, voire totalitaires, regroupées à la manière américaine sur un ethnisme ou sur une pratique sexuelle, hystériquement coagulées autour d’un gourou ou par une grammaire abusivement érigée au rang de langue régionale – tel le breton littéraire étendu au pays gallo.

Aux slogans publicitaires de l’oligarchie, aux abandons de souveraineté, aux fictions communautaires nous opposerons dans les mois qui viennent notre programme, qui peut convenir à beaucoup  : la nation, la loi, l’Etat, car il n’y a pas de démocratie effective hors de la collectivité nationale, pas de loi sans législateur librement choisi et contrôlé par les électeurs, par de République sans Etat serviteur de l’intérêt général.

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(1) l’article de Jean de Maillard, Libération du 5 décembre 2001 : « Berlusconi, honte de l’Europe ».

 

Editorial du numéro 784 de « Royaliste – 24 décembre 2001

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