Pour les dirigeants du pays, la gouvernance (1) présente l’immense avantage d’être une manière de ne pas gouverner sans en subir les conséquences. Catastrophes, échecs cinglants, contradictions majeures et mineures, déconvenues et problèmes en tous genres se succèdent sans que nos « pragmatiques » en tirent la moindre leçon. Un clou chasse l’autre.
Jetés en vrac sur les écrans de télévision et en première page des quotidiens nationaux, les évènements importants de la dernière quinzaine ont été immédiatement enfouis sous le fatras du jour :
Nous avons appris que les Français égoïstes, les fonctionnaires et les médecins (donc un peu tout le monde à l’exception des ministres) étaient responsables des décès dus à la canicule, avant que le gouvernement ne boucle généreusement le dossier par la distribution de quelques subsides aux personnes âgées. Somme toute on nous impose de voyager dans un avion conçu pour voler par beau temps (2). Prions pour que la neige ne tombe pas cet hiver.
Nous avons perdu Péchiney, passé sous contrôle canadien, sans que le gouvernement en soit troublé. Il est vrai que madame Fontaine, ministre de l’Industrie, était tout entière occupée par son déplacement à Kaboul pour un hommage au commandant Massoud qui, à l’heure qu’il est, a grand besoin de notre sollicitude. Mais quand il s’agit de s’acheter une bonne conscience, on n’économise ni son temps ni les deniers d’un Etat par ailleurs très parcimonieux avec ses diplomates.
Nous avons observé de très loin l’échec de la réunion de l’OMC à Cancun et l’opposition des Suédois à l’euro, clairement exprimée par référendum, sans qu’on s’interroge en haut lieu sur le principe du libre-échange généralisé, sur les impasses auxquelles aboutissent les tentatives de « gouvernance mondiale » et sur les désastres provoqués par l’absence de politique monétaire. Il est vrai que la France ne participait pas aux négociations commerciales, mais seulement quelqu’un de la Commission européenne. Nous n’avons pas de frontières communes avec la Suède et c’est si loin, Stockholm, qu’on s’y intéresse seulement quand un ministre s’y fait assassiner. Et la monnaie relève de la Banque centrale européenne qui, nous n’y pouvons rien, a décidé de laisser l’euro flotter au gré des marchés.
Pas de politique industrielle nationale, pas de politique commerciale ni de politique monétaire… Est-ce bien là ce que le peuple français a décidé ? Comme on ne lui demande pas son avis, il est agréable de supposer son accord.
Que nous amis étrangers n’imaginent pas une France repliée sur elle-même. Quand nous regardons défiler à la télévision l’actualité nationale nous faisons l’expérience de la dilution généralisée, de la molle évanescence.
Voici le président de la République à Auxerre. Il veut dissiper nos doutes et nous mobiliser. La journaliste présente sur les lieux nous informe que les habitants du lieu sont en nombre infime et que Jacques Chirac n’a pu prendre qu’un « mini-bain de foule ». Qu’importe, puisque le chef de l’Etat n’a ni rival ni opposant. On nous dit aussi que Jean-Pierre Raffarin baisse dans les sondages. La belle affaire ! A quoi bon remplacer un notable conservateur-libéral par un édile libéral-conservateur ? Celui-ci, au moins, est obéissant.
On me dira que cette gouvernance dérisoire est sortie des urnes. C’est incontestable. J’observe cependant que Jean-Marie Le Pen, qui a recueilli 4 804 713 voix le 21 avril 2002, est passé à la trappe après les cris d’orfraie et les mea culpa des bien-pensants. Il en ressortira pour les régionales. Je rappelle aussi que 1 814 218 suffrages se sont portés sur les candidats trotskistes : ils n’ont pas, eux non plus, droit à la parole en proportion de leur audience dans le pays. Les extrémistes de droite et de gauche dérangent, c’est là leur définition. Mais la démocratie ne consiste pas à faire le tri entre ce qui est convenable et ce qui ne l’est pas afin que les débats se déroulent entre gens du même monde.
Tout un peuple se trouve réduit au silence. C’est le silence des guetteurs. Ils attendent l’étincelle.
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(1) Pour une critique approfondie de la gouvernance, cf. le numéro 41 de Cité, et tout particulièrement les articles de Philippe Arondel et de Madeleine Arondel-Rohaut.
Editorial du numéro 822 de « Royaliste » – 23 septembre 2003
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