Derniers châteaux en Espagne

Avr 23, 2022 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

 

Pour conforter des électorats de droite tout en séduisant des franges de la gauche, Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont additionné les promesses en gardant le silence sur le point central : dans le domaine économique et social, les centres de décision sont à Francfort et à Bruxelles.

Il fut un temps, pas si lointain, où les principaux candidats annonçaient leurs intentions quant aux organes de l’Union européenne. En 2012, le candidat Hollande avait promis qu’il renégocierait le Traité sur la stabilité, la coordination et le gouvernance (TSCG) qui pose le principe imbécile de l’équilibre budgétaire. Puis le président Hollande s’empressa de faire adopter le traité. En 2017, Marine Le Pen promettait la sortie de la zone euro mais c’est la question de l’euro qui fut prestement sortie du programme après la défaite. Cette année, Emmanuel Macron et sa rivale dissertent volontiers sur la souveraineté … sauf lorsqu’il s’agit de préciser les conditions dans lesquelles les promesses de campagne pourraient être réalisées.

Comme par le passé, les citoyens ont été confrontés à deux formes d’imposture. La première consiste à promettre des réformes comme si leurs mise en œuvre résultait du bon vouloir d’un autocrate. Emmanuel Macron veut repousser l’âge de la retraite ! Marine Le Pen veut défendre le pouvoir d’achat ! Mais tout cela suppose des lois et des règlements, donc un Parlement et un gouvernement.

Le président sortant peut espérer retrouver une majorité parlementaire favorable, mais rien n’est joué : nous savons seulement que le fondé de pouvoir de l’oligarchie veut être omnipotent, au mépris de la séparation des pouvoirs. Marine Le Pen évoque quant à elle un gouvernement d’union nationale mais il est hautement improbable qu’elle obtienne une majorité à l’Assemblée nationale. Dans le meilleur des cas, elle serait obligée de passer des compromis, en sacrifiant une partie de son programme. La construction des châteaux en Espagne a battu son plein tout au long de la campagne mais on a bricolé dans le brouillard, sans se soucier des fondations.

Il est vrai qu’Emmanuel Macron, soutenu par toute l’oligarchie, pourra continuer à détruire l’Etat, s’il parvient à avoir une majorité parlementaire. Marine Le Pen serait entravée par l’absence de soutien parlementaire et par l’opposition du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat si elle tentait d’appliquer son programme xénophobe qui implique la ruine de l’Etat de droit : même par référendum, il n’est pas possible de violer les principes de liberté de conscience et d’égalité devant la loi.

Les deux candidats ont cultivé la même forme d’imposture lorsqu’ils ont annoncé des mesures économiques et sociales sans préciser que leur mise en œuvre dépendrait des décisions prises par la Banque centrale européenne et par la Commission européenne. Emmanuel Macron veut relancer le nucléaire et annonce une “planification écologique” qui implique d’énormes investissements publics. Très bien ! Marine Le Pen veut “relever notre système de santé” et promet de “renforcer notre indépendance énergétique”. Excellent ! Mais tous deux font semblant d’ignorer qu’il existe un Pacte budgétaire européen (ou TSCG) qui impose le respect strict de l’équilibre budgétaire et la réduction de la dette publique supérieure à 60% du PIB. La crise sanitaire a entraîné une suspension des règles assurant la discipline budgétaire mais la Commission européenne a annoncé que les règles du TSCG seraient rétablies l’an prochain. Cela signifie que Bruxelles décidera du retour à l’austérité au vu de ce que la technocratie juge nécessaire pour l’ensemble des pays-membres – donc sans se soucier des promesses faites et des actions engagées en France. Après avoir abandonné notre liberté d’action dans le domaine des relations commerciales internationales, nous avons abandonné notre souveraineté budgétaire. Une politique active de déficit n’est possible que si la Commission l’autorise.

N’oublions pas non plus la perte de souveraineté monétaire. Le gouvernement français, qui ne peut pas fixer les taux de change, est dépendant de la Banque centrale européenne (BCE) qui fixe les taux d’intérêt et qui décide librement de racheter, ou non, la dette publique émise par les Etats. A l’heure actuelle, la BCE, installée à Francfort, se trouve confrontée à de graves problèmes. Sa mission principale est de lutter contre l’inflation. Or la zone euro est touchée par de fortes hausses des prix qui résultent des tensions sur de nombreuses matières premières. Selon sa doctrine, la BCE devrait augmenter les taux d’intérêt mais elle a décidé de ne pas le faire dans l’immédiat afin de ne pas freiner la croissance. Or l’inflation, qui intervient dans un système de contrainte sur les salaires et les pensions de retraite, risque de provoquer des mouvements sociaux et des hausses de salaires qui stimuleront l’inflation. La BCE peut donc changer d’attitude et augmenter les taux d’intérêt. Elle peut aussi laisser monter la spéculation contre un pays si son gouvernement lui déplaît. Dans tous les cas de figure, c’est à Francfort, pas à Paris, que les décisions seront prises. Quoi qu’il puisse en coûter à notre pays.

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Article publié dans le numéro 1233 de « Royaliste » – 23 avril 2022

 

 

 

 

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