Un homme quelconque, chef d’un gouvernement constitué d’hommes et de femmes sans importance. Voilà qui prive le remaniement ministériel de tout intérêt.
On pourrait même changer de Premier ministre sans que le cours profond des choses en soit changé pour autant. Passer de Jospin en Fabius, ou de Bayrou en Douste-Blazy, nous obligerait simplement à mesurer le degré d’insignifiance, à comparer les influences (ici l’agriculture, et là les compagnies d’assurance), à évaluer l’efficacité dans le saccage de tout ce qui assure l’existence de notre pays.
Inscrits à gauche ou à droite, ces personnages ni bêtes ni méchants, qui eurent naguère des convictions, et peut-être des fidélités, ne méritent plus une polémique mais, de temps à autre, un relevé quasi-administratif de leur carrière et de leurs positions. Quant à ces dernières, il semble que nous assistions à l’aboutissement du processus de démission intellectuelle et politique.
Celles et ceux qui jouent aux dirigeants politiques sont manifestement devenus :
De simples agents de l’idéologie américaine. Refus du Politique, velléité plus ou moins consciente d’en finir avec l’histoire, moralisme manichéen, pragmatisme, apologie de la compétition et culte du consensus qui s’exprime dans l’inflation de « contrats », de « chartes » et de « pactes » : tel est le fatras qui s’est imprimé dans la mentalité dominante.
De simples commis, pour des affaires qui se mènent ailleurs. Qu’importe le nom du ministre de la Défense, si notre armée est intégrée dans les opérations de l’OTAN ? Qu’importe la personnalité du ministre des finances puisque notre sort dépend des spéculateurs de Wall Street et des banquiers de Francfort ? A quoi rime les déclarations d’intention sur la cohésion sociale, le développement économique, la ville, l’environnement puisque Jacques Chirac et Lionel Jospin ont complètement accepté, le 24 mars à Lisbonne, les principes et les implications du libéralisme anglo-saxon qui nous vaudront, entre autres catastrophes, la destruction de nos derniers services publics.
De simples délégués à la gestion de budgets minimalistes, chargés de réduire les personnels, de restreindre les moyens, de diminuer les investissements. Frénésie de la rétention, qui provoque la dégradation de l’enseignement public, du système hospitalier, la désorganisation de la Poste, et qui plonge une partie de la population dans des souffrances d’autant plus intolérables que la corruption s’étale et que la richesse de la nation s’accroît…
Ce paradoxe cruel n’a jamais été accepté. Il est aujourd’hui vivement dénoncé par des centaines de milliers de grévistes et de manifestants. Il le sera bientôt de manière violente si on cherche encore à les distraire par des remaniements qui ressemblent à des parties de chaises musicales, des histoires de corneculs municipales, des effets d’images et des promesses mensongères.
Comme Alain Juppé, Lionel Jospin ne se rend pas compte que la ligne ultra-libérale est ultra-minoritaire dans notre pays – comme partout ailleurs – et que seule une conjoncture politique très particulière permet d’imposer aux Français ce dont ils n’ont jamais voulu. Mais les votes de rejet ne suffisent pas et la révolte sociale ne sera pas décisive tant que les forces anti-libérales ne parviendront pas à s’organiser autour d’un projet commun.
Ces forces existent. Elles se trouvent dans les bases militantes du RPR, du Parti socialiste, du Parti communiste, des confédérations ouvrières – et plus largement encore dans les légions de citoyens déçus par ces organisations.
Ces forces sont actuellement dispersées dans divers mouvements et regroupements qui se réunissent de manière plus ou moins ponctuelle pour contester « l’horreur économique ». Elles retrouveront leur cohérence et leur pugnacité dès que pourra se renouer l’alliance patriotique et révolutionnaire entre les gaullistes, les communistes, les royalistes et les socialistes qui ont préservé en eux le souci politique et le sens de la nation.
Défense de la patrie. Révolution par la loi selon le programme inscrit dans le Préambule constitutionnel de 1946. Cela suffit pour créer un vaste mouvement populaire et chasser les élites irresponsables et incapables. Cela suffit, à condition qu’un fédérateur soit en mesure d’incarner le projet commun.
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Editorial du numéro 747 de « Royaliste » – 3 avril 2000
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