Un débat n’est ni une conférence, ni un article. Les idées exprimées s ‘exposent et s’offrent à la contradiction immédiate, qui oblige à maintenir les questions ouvertes. La logique du débat ne conduit pas à conclure mais à définir et à préciser les termes et les données, afin que la réflexion ultérieure puisse se développer dans de bonnes conditions.

Tel fut le cas lors de l ‘émission Droit de réponse consacrée à la Révolution et à la Contre-Révolution. Les questions principales sont demeurées ouvertes mais il était décisif qu’elles fussent convenablement posées. Bien sûr, nous reprendrons, avec Max Gallo et Jean Daniel tout particulièrement, la discussion qui s’est amorcée le 22 novembre ; et nous sommes prêts à en mener une autre avec les représentants de la droite. Pour que nos nouveaux lecteurs nous situent clairement, je veux donner quelques repères fondamentaux quant à notre façon de concevoir et de vivre notre héritage historique.

ASSUMER LA REVOLUTION

Nous refusons de nous engager dans la polémique qui oppose rituellement partisans et adversaires de la Révolution française à l’occasion de ses anniversaires. Nous ne sommes plus en 1793. La Révolution est faite et il est aussi absurde de vouloir « en finir » avec elle que de répéter sa geste. A plus forte raison, nous récusons toute attitude qui consiste à envenimer le conflit entre la droite et la gauche actuelles par l’évocation passionnelle de la guerre civile. Il s’agit aujourd’hui d’assumer la Révolution tout entière – qu’il s’agisse de la gloire de Valmy ou des massacres de Vendée. Terminer cette guerre franco-française permettra d’apprécier à sa juste portée l’événement révolutionnaire.

Assumer la Révolution, la terminer selon le vœu de François Furet, ne signifie pas que les questions cessent d’être posées. Au contraire. Dès lors qu’elle n’est plus un enjeu politique, la période révolutionnaire peut devenir l’objet d’un vrai débat historique. Celui-ci est depuis longtemps engagé et il est détestable qu’on ait cherché à le noyer, à droite d’abord, à gauche ensuite, dans des considérations anachroniques. La Terreur demeure une question cruciale, qu’on ne résoudra pas en faisant le décompte des morts ou en invoquant les circonstances. Elle relève d’une analyse philosophique et politique sur l’existence, la situation et la mission du pouvoir dans le monde moderne.

Analyser l’événement révolutionnaire conduit à distinguer des périodes. La Révolution commence effectivement en 1789 (beaucoup plus tôt dans le domaine philosophique, social, politique), mais pas la République. La Déclaration des droits de l’homme et l’essentiel de l ‘œuvre positive de la Révolution s’accomplissent dans une monarchie qui transforme et invente, beaucoup trop tard, la démocratie moderne. Les modalités de cette transformation, les fautes de la monarchie, les raisons de son effondrement, doivent faire l’objet d’un travail critique. Mais, en tout état de cause, il serait historiquement faux de célébrer en 1789 le bicentenaire de la République, et de faire comme si les droits de l’homme fondés par le christianisme et garantis par la monarchie, avaient été une pure création républicaine. Nous avons annoncé, il y a longtemps déjà, que les royalistes célèbreraient, comme tous les Français, le mouvement de 1789. Encore faut-il que ce mouvement soit regardé tel qu’il est.

Célébrer 1789 signifie que l’on adhère aux exigences communes de liberté, d’égalité et de fraternité. Tel est bien le cas, en ce qui nous concerne. Mais, compte tenu de l’expérience révolutionnaire, nous entendons souligner que ces principes généraux de notre société et de notre droit doivent être garantis par une institution arbitrale, permanente, et indépendante des groupes politiques et sociaux. La première République a nié cette nécessité, et créé de ce fait une situation d’arbitraire et de terreur. Nous ne voulons pas que cette tragédie puisse se reproduire, et c’est là une des raisons essentielles qui nous fait désirer la monarchie.

COURONNER LA DEMOCRATIE

Désirer la monarchie n’implique pas la reprise de l’ancienne lutte entre républicains et royalistes, au nom d’idées abstraites. La République a changé et, grâce au comte de Paris, le projet monarchique s’est renouvelé dans la fidélité à sa tradition – entraînant les royalistes à accomplir leur « révolution culturelle ». De fait, la République a cessé de se confondre avec le parti républicain ; elle a cessé depuis 1958 de refuser au pouvoir son autonomie et son autorité propre, pour redevenir conforme à sa définition première. La République est le bien commun, l’Etat de droit, que la Monarchie se propose d’incarner et de garantir. Par conséquent, il s’agit de couronner la démocratie, non de l’abolir. Quant à nous, royalistes déclarés et militants, nous avons pour tâche de poser la question du pouvoir, de l’illustrer par l’actualité, et de témoigner en faveur d’une institution – en sachant que son retour sera le moment de notre disparition. Encore une fois, la monarchie n’est pas le parti des royalistes. Il ne faut pas non plus qu’elle soit l’expression d’une nostalgie et qu’elle redevienne la proie des extrémistes. En peu de semaines, la monarchie est devenue une idée à la mode, à la fois pour de bonnes et de mauvaises raisons (1). Il s’agit pour nous de faire prévaloir les premières.

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(1)    Cf. « La monarchie au péril du passé », « Royaliste » n°456.

Editorial du numéro 459 de « Royaliste » – 26 novembre 1986

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