La Nouvelle Action royaliste a appris avec une très grande tristesse la disparition, le 8 avril, de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, soldat de 1940, engagé dans la France libre et historien de ceux qui vécurent l’étrange défaite et s’engagèrent pour la libération nationale.
De sa jeunesse militante à son extrême vieillesse, Jean-Louis-Crémieux Brilhac fut un Français exemplaire, discret et déterminé dans la guerre comme dans le service de l’Etat lorsque la paix fut revenue. Il n’a que 18 ans lorsqu’en 1935, il adhère au Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. Mobilisé en septembre 1939, promu aspirant, il est fait prisonnier en juin 1940, s’évade en janvier 1941, parvient à gagner la Russie où il est interné. Après le déclenchement en juin de l’opération Barbarossa, l’Union soviétique devenue alliée lui permet de rejoindre l’Angleterre en compagnie de 185 autres Français évadés. Engagé dans les Forces françaises libres en septembre 1941, il devient le secrétaire du Comité exécutif de propagande de la France libre. Après la guerre, Jean-Louis Crémieux Brilhac devient directeur de La Documentation française, s’engage aux côtés de Pierre Mendès-France et participe au lancement de la politique de recherche qui sera celle de la République gaullienne. Parvenu à l’âge de la retraite, il exerce le métier d’historien.
Aux Mercredis de la NAR, nous avions reçu Jean-Louis Crémieux-Brilhac une première fois en 1990 pour la présentation des deux volumes qu’il avait consacrés à la drôle de guerre et aux défaites de 1940 (1) dont les chefs militaires, nous disait-il, portent la responsabilité principale… Il revint parmi nous pour évoquer la France libre (2) à laquelle il venait de consacrer un livre admirable et rigoureux qui est pour nous une source inépuisable de réflexions sur l’action du Politique – d’autant plus exemplaire qu’elle s’affirme alors dans une totale adversité et qu’elle s’accomplit lors d’une des plus grandes tragédies de l’histoire. Jean-Louis Crémieux-Brilhac nous a montré que la France libre vivait cette guerre comme une révolution. Dès le 29 novembre 1940, le général de Gaulle affirmait que « de cette victoire certaine, […] nous entendons, nous, les Français libres, qu’une France nouvelle doit sortir. Une telle guerre est une révolution, la plus grande de toutes celles que le monde a connues. Ce que nous apportons, nous les Français libres, d’actif, de grand, de pur, nous voulons en faire un ferment. » Jean-Louis Crémieux-Brilhac soulignait aussi le caractère fondateur de la Déclaration aux mouvements de résistance du 24 avril 1942 qui proclamait la nécessité de détruire à la fois le totalitarisme et l’ancien système de coalition des intérêts particuliers qui avait perverti la Troisième République : «A l’intérieur, il faudra que soient réalisées, contre la tyrannie du perpétuel abus, les garanties pratiques qui assureront à chacun la liberté et la dignité dans son travail et dans son existence. La sécurité nationale et la sécurité sociale sont, pour nous, des buts impératifs et conjugués ».
La France libre étudiée par Jean-Louis Crémieux-Brilhac est tout le contraire d’une légende. Tous les conflits entre Français sont évoqués, qu’ils se déroulent à Londres, à Alger ou au sein de la Résistance intérieure. Toute aventure humaine entraîne ses cortèges d’orgueilleux, d’intrigants et d’imbéciles. Ceux-là, entre 1940 et 1945, n’ont pas pu ternir les pages glorieuses écrites à Bir-Hakeim et sur les pistes du Fezzan, en Italie et dans le ciel russe, en France métropolitaine puis sur le territoire allemand. Pour pallier les carences d’un certain enseignement de l’histoire, il faut donner Crémieux-Brilhac à lire aux jeunes gens : ils y verront la marche d’une armée nationale de soldats et de clandestins mobilisés, pas toujours de bon cœur, pour une légitimité révolutionnaire qui portait les principes de la reconstruction républicaine, démocratique et sociale de la nation. En se gardant des imitations anachroniques, ils pourraient y trouver une inspiration politique salutaire.
B. R.
(1) Cf. Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Français de l’an 40, 2 tomes, Gallimard, 1990 ;
(2) La France libre, de l’Appel du 18 Juin à la Libération, Gallimard, 1996. Cf. « Royaliste », n° 714. 1996. Lire aussi : Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Georges Boris, Trente ans d’influence, Blum, de Gaulle, Mendès France, Gallimard, 2010. Cf. « Royaliste », n° 968, avril 2010.
Déclaration aux mouvements de Résistance (avril 1942)
5 juin 2008
Les derniers voiles, sous lesquels l’ennemi et la trahison opéraient contre la France, sont désormais déchirés. L’enjeu de cette guerre est clair pour tous les Français : c’est l’indépendance ou l’esclavage. Chacun a le devoir sacré de faire tout pour contribuer à libérer la patrie par l’écrasement de l’envahisseur. Il n’y a d’issue et d’avenir que par la victoire.
Mais cette épreuve gigantesque a révélé à la nation que le danger qui menace son existence n’est pas venu seulement du dehors et qu’une victoire qui n’entraînerait pas un courageux et profond renouvellement intérieur ne serait pas la victoire.
Un régime, moral, social, politique, économique, a abdiqué dans la défaite, après s’être lui-même paralysé dans la licence. Un autre, sorti d’une criminelle capitulation, s’exalte en pouvoir personnel. Le peuple français les condamne tous les deux. Tandis qu’il s’unit pour la victoire, il s’assemble pour une révolution.
Malgré les chaînes et le bâillon qui tiennent la nation en servitude, mille témoignages, venus du plus profond d’elle-même, font apercevoir son désir et entendre son espérance. Nous les proclamons en son nom. Nous affirmons les buts de guerre du peuple français.
Nous voulons que tout ce qui appartient à la nation française revienne en sa possession. Le terme de la guerre est, pour nous, à la fois la restauration de la complète intégrité du territoire, de l’Empire, du patrimoine français et celle de la souveraineté complète de la nation sur elle-même. Toute usurpation, qu’elle vienne du dedans ou qu’elle vienne du dehors, doit être détruite et balayée. De même que nous prétendons rendre la France seule et unique maîtresse chez elle, ainsi ferons-nous en sorte que le peuple français soit seul et unique maître chez lui. En même temps que les Français seront libérés de l’oppression ennemie, toutes leurs libertés intérieures devront leur être rendues. Une fois l’ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l’Assemblée Nationale qui décidera souverainement des destinées du pays.
Nous voulons que tout ce qui a porté et tout ce qui porte atteinte aux droits, aux intérêts, à l’honneur de la nation française soit châtié et aboli. Cela signifie, d’abord, que les chefs ennemis qui abusent des droits de la guerre au détriment des personnes et des propriétés françaises, aussi bien que les traîtres qui coopèrent avec eux, devront être punis. Cela signifie, ensuite, que le système totalitaire qui a soulevé, armé, poussé nos ennemis contre nous, aussi bien que le système de coalition des intérêts particuliers qui a, chez nous, joué contre l’intérêt national, devront être simultanément et à tout jamais renversés.
Nous voulons que les Français puissent vivre dans la sécurité. A l’extérieur, il faudra que soient obtenues, contre l’envahisseur séculaire, les garanties matérielles qui le rendront incapable d’agression et d’oppression. A l’intérieur, il faudra que soient réalisées, contre la tyrannie du perpétuel abus, les garanties pratiques qui assureront à chacun la liberté et la dignité dans son travail et dans son existence. La sécurité nationale et la sécurité sociale sont, pour nous, des buts impératifs et conjugués.
Nous voulons que l’organisation mécanique des masses humaines, que l’ennemi a réalisée au mépris de toute religion, de toute morale, de toute charité, sous prétexte d’être assez fort pour pouvoir opprimer les autres, soit définitivement abolie. Et nous voulons en même temps que, dans un puissant renouveau des ressources de la nation et de l’Empire par une technique dirigée, l’idéal séculaire français de liberté, d’égalité, de fraternité soit désormais mis en pratique chez nous, de telle sorte que chacun soit libre de sa pensée, de ses croyances, de ses actions, que chacun ait, au départ de son activité sociale, des chances égales à celles de tous les autres, que chacun soit respecté par tous et aidé s’il en a besoin.
Nous voulons que cette guerre, qui affecte au même titre le destin de tous les peuples et qui unit les démocraties dans un seul et même effort, ait pour conséquence une organisation du monde établissant, d’une manière durable, la solidarité et l’aide mutuelle des nations dans tous les domaines. Et nous entendons que la France occupe, dans ce système international, la place éminente qui lui est assignée par sa valeur et par son génie.
La France et le monde luttent et souffrent pour la liberté, la justice, le droit des gens à disposer d’eux-mêmes. Il faut que le droit des gens à disposer d’eux-mêmes, la justice et la liberté gagnent cette guerre, en fait comme en droit, au profit de chaque homme, comme au profit de chaque État.
Une telle victoire française et humaine est la seule qui puisse compenser les épreuves sans exemple que traverse notre patrie, la seule qui puisse lui ouvrir de nouveau la route de la grandeur. Une telle victoire vaut tous les efforts et tous les sacrifices.
Nous vaincrons !
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