Dialogue avec Léon Poliakov

Avr 19, 1990 | La guerre, la Résistance et la Déportation

 

Un livre d’entretien révèle au plus grand nombre les facettes diverses d’un historien engagé dont les recherches ont mis du temps à emporter l’adhésion de la communauté scientifique.

Le nom de Léon Poliakov évoque immédiatement cette « Histoire de l’antisémitisme » publiée de 1955 à 1977, qui est et demeurera un ouvrage capital pour connaître les discours et les pratiques d’une persécution qui marque toute l’histoire de l’occident. Au moment où le national-populisme et l’intégrisme catholique reprennent les thèmes de l’antijudaïsme chrétien et de l’antisémitisme moderne, il est urgent de relire cette Histoire ou, si l’on est impressionné par l’ampleur de la recherche, de commencer par la présentation que Léon Poliakov en donne au fil de son dialogue avec Georges Elia Sarfati (1).

A lire « L’Envers du destin », beaucoup découvriront que l’historien de l’antisémitisme, loin de se limiter à la recherche en ce domaine, l’a étendue à l’imaginaire des peuples, à leurs mythes et à certaines de leurs religions – séculières ou non. Du « Mythe aryen » à « La Causalité diabolique », des « Totalitarismes du XXème siècle » à « Moscou, troisième Rome » c’est une histoire singulière de l’occident qui apparaît et nombre d’idées reçues qui se dissipent quant à la pensée des Lumières, dont l’anthropologie fut paradoxalement universaliste et ethnocentrique, théoriquement égalitaire mais « scientifiquement » inégalitaire et racialisante.

Dans ce savant travail d’exploration, Léon Poliakov, qui se définit lui-même comme un aventurier, fut et demeure un marginal, toujours décalé mais toujours en avance sur la recherche de son temps. Si « L’Histoire de !’Antisémitisme » est aujourd’hui un classique, son auteur rappelle qu’elle se heurta aux vives réticences de Fernand Braudel, et ses ouvrages ultérieurs n’ont pas encore eu tout le retentissement qu’ils méritent. Léon Poliakov ne s’en indigne ni ne s’en attriste : il est déjà dans une autre aventure, celle des Vieux Croyants, bientôt peut-être celle des Samaritains, sans jamais perdre le fil qui relie l’ensemble de son œuvre, travaillant avec de jeunes chercheurs, et soucieux des dangers qui demeurent ou réapparaissent sous la forme de !’antisionisme hystérique et du révisionnisme faurissonnien.

Quant à ceux qui n’ont pas lu ses mémoires (« L’Auberge des musiciens », Mazarine, 1981), ils feront la connaissance d’un homme modeste et d’un savant circonspect – discrètement exemplaire dans ses fidélités, ses engagements et ses travaux. Ne manque à ces entretiens que la voix de Léon Poliakov, douce et chantante – mémoire de la langue russe qui fut celle de son enfance.

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(1) Léon Poliakov, L’envers du destin, Ed. de Fallois.

Article publié dans le numéro 533 de « Royaliste » – 19 mars 1990.

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