Diplomatie à l’encan – par Jean Daspry

Fév 3, 2024 | Billet invité

 

 

« Les diplomates ne sont utiles que par beau temps. Dès qu’il pleut, ils se noient dans chaque goutte » se plaisait à dire le général de Gaulle. Il est vrai qu’il avait eu l’occasion d’apprécier la pleutrerie d’une majorité d’entre eux entre 1940 et 1945. Ceci étant dit, il y a peu de métiers qui suscitent autant d’opinions fantaisistes que celui de diplomates. À titre d’exemple, Marcel Proust croque avec brio le diplomate à travers le personnage du marquis de Norpois dans À la recherche du temps perdu (écrit de 1906 à 1922). Abel Hermant décrit avec humour le marquis de Chameroy dans La Carrière. Scènes de la vie des Cours et des ambassades (1906). Mais qu’en est-il vraiment de la substance du travail diplomatique classique tel que pratiqué par cette armée des ombres que constitue le corps diplomatique ? En quoi les deux mandats d’Emmanuel Macron l’ont-ils profondément altérée pour le réserver désormais en priorité aux copains d’abord ?

L’ARMÉE DES OMBRES

Sans grand risque d’erreur, l’on peut affirmer que la diplomatie est aussi ancienne que l’homme. Ne dit-on pas que ce métier dispute au renseignement le privilège d’être le second plus vieux du monde ? Au départ itinérant, il est devenu plus tard stable avec consulats et ambassades pérennes comme nous les connaissons de nos jours.

La fonction diplomatique, largo sensu, se résume en trois mots : informer, négocier, représenter. Son objectif ultime est de prévenir la guerre comme mode de règlement des conflits. Traditionnellement, elle s’inscrit dans un continuum. Le Prince ou le chef de l’État peut être assimilé à un armateur qui définit le cap du navire qui a pour nom politique étrangère (la stratégie). Elle s’inscrit dans le long terme. À la barre du navire se trouve le ministre des Affaires étrangères qui adapte au fil des jours la route pour éviter les embardées fatales (la tactique). Pour mener à bien son mandat, il dispose d’une multitude de capteurs de signaux faibles et forts que sont les ambassades et consulats fonctionnant grâce à des experts des questions internationales. La synthèse de cette masse d’informations recueillies aux quatre coins de la planète est réalisée par leurs homologues de l’administration centrale. Ces diplomates alimentent le cabinet qui a la charge de réaliser un tri sélectif quotidien pour l’information complète du ministre. Un homme averti en vaut deux. À charge pour le chef de la diplomatie de faire remonter l’essentiel vers le chef de l’État directement (entretiens réguliers) ou indirectement (via la cellule diplomatique de l’Élysée). Ainsi, la boucle est bouclée. Les diplomates experts et éclairés proposent, le président informé et conseillé dispose. Jusque dans un passé récent, c’est ainsi que fonctionnait harmonieusement l’outil diplomatique d’une puissance moyenne comme la France dont la voix était attendue et entendue. Mais, au fil du temps (les mandats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande à des degrés divers), quelques grains de sable sont venus s’introduire dans la machine bien huilée qu’était la diplomatie gaullo-mitterrandienne. Dans ce contexte, tout retour en arrière est inenvisageable car impossible à mener à bien sur le court et le moyen terme.

Au fil du temps, le travail diplomatique stricto sensu est ignoré, si ce n’est méprisé comme le fut la ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Catherine Colonna, ambassadrice de France dignitaire[1], remplacée par Stéphane Séjourné le 11 janvier 2024[2] qui n’a pas brillé par ses talents oratoires lors de ses premiers pas à l’étranger[3].

LES COPAINS D’ABORD

Ce n’est un secret pour personne. Emmanuel Macron assume et revendique un profond mépris pour ce qu’il qualifie « d’État profond ». En un mot, une haute fonction publique – les grands corps étant principalement visés – qu’il juge trop conservatrice, voire s’octroyant des pouvoirs qui reviennent à l’exécutif mais surtout coupable de résistance vis-à-vis de ses choix stratégiques (?). Rien ne trouve grâce à ses yeux dans le modèle traditionnel de la fonction publique à la française, celle des grands serviteurs de l’État. D’où sa réforme de l’ENA en INSP destinée à casser les chapelles et à créer plus de mobilité entre les différents ministères.

Le décret du 16 avril 2022 entérine la suppression des corps des ministres plénipotentiaires et des conseillers des affaires étrangères, signifiant la banalisation de la fonction diplomatique et son mépris pour la cohorte des diplomates. En dépit de quelques borborygmes au Quai d’Orsay (brève grève et manifestation !) l’affaire de la casse de l’outil diplomatique était entérinée[4]. Encore, une nouvelle exception française ! Surtout, lorsque la réforme du corps diplomatique permet un recasage ostentatoire des proches et des conseillers du Prince. Citons quelques exemples empruntés à l’actualité récente. Les recasages ne manquent pas. De l’ex-ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, Pap Ndiaye comme ambassadeur, représentant permanent de la France auprès du Conseil de l’Europe à Strasbourg à Pierre-André Imbert, secrétaire général adjoint de l’Élysée comme ambassadeur à Canberra sans oublier son ancienne conseiller social, Marie Fontanel nommée ambassadrice à Manille (après avoir été remplacée au Conseil de l’Europe par Pap Ndiaye). Dans ce mercato diplomatique, n’oublions pas les multiples conseillers ministériels, les fameux « cabinards ») qui se battent tels des chiffonniers pour décrocher le gros lot, à savoir une des belles ambassades du top 10. De ce point de vue, la France fait de plus en plus figure d’une République bananière au sein de laquelle l’esprit de cour l’emporte sur la méritocratie à l’ancienne. Le pantouflage dans le privé tient aujourd’hui le haut du pavé au détriment de la défense de l’intérêt général. Le résultat de cette opération de dépeçage de l’outil diplomatique français est incontestable. Il se traduit par l’incohérence et l’inconstance de notre action extérieure sans cap ni projet. Il signifie le primat d’une diplomatie déclaratoire au détriment d’une diplomatie exécutoire. Une sorte de double inconstance sur la substance et sur la forme qui fait de la France un acteur dont la voix n’est plus audible car incomprise sur le grand échiquier international. Citons l’éviction humiliante de la France au Sahel, le mépris affiché par les États du Maghreb à l’endroit de notre pays, l’effacement de notre diplomatie au Proche et au Moyen-Orient, la perte d’influence de Paris au sein de l’Union européenne et du « couple » franco-allemand … pour illustrer notre propos.

In fine, nous sommes confrontés à un président de la République en bout de course en mal de perspectives cohérentes pour le futur, réduit à un vulgaire rôle de figurant multipliant les coups médiatiques sans lendemain.

L’ÉTRANGE DÉFAITE

« Ce ne sont pas les diplomates qui décident du cours des choses, ce sont les politiques » nous rappelle fort à propos l’ambassadeur de France dignitaire, Gérard Araud. Il est trop facile de dénoncer l’incompétence des diplomates en lieu et place de celle de nos dirigeants politiques, au premier rang desquels un président aveugle et sourd qui ne suit que son instinct. Y compris ses plus proches conseillers qui ne semblent avoir aucune prise sur son processus décisionnel. Ce qui est d’autant plus grave que le monde est aussi incertain qu’imprévisible. Autre ambassadeur, Claude Martin résume parfaitement la problématique générale de la diplomatie lorsqu’il écrit : « Une grande diplomatie, c’est un pays fort, une vision claire et à long terme et, enfin, un homme écouté et respecté, pour la mettre en œuvre ». En lisant entre les lignes, nous disposons d’un bilan sans appel de six années d’action extérieure jupitérienne : une diplomatie à l’encan !

Jean DASPRY

Pseudonyme d’un haut fonctionnaire

Docteur en sciences politiques

Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur

 

[1] Licenciées sans préavis, Le Canard enchaîné, 17 janvier 2024, p. 1.

[2] Philippe Ricard/Virginie Malingre, Stéphane Séjourné promu au Quai d’Orsay, Le Monde, 13 janvier 2024, p. 7.

[3] Séjourné complètement à l’Est, Le Canard enchaîné, 17 janvier 2024, p. 1.

[4] Odile Benyahia-Kouider/Christophe Labbé, Comment Macron a acheté les diplomates, Le Canard enchaîné, 17 janvier 2024, p. 3.

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