« Le fort fait ce qu’il peut faire et le faible subit ce qu’il doit subir » (Thucydide). L’actualité internationale corrobore parfaitement cette maxime. Elle éclaire une vision binaire de l’état de la communauté des États. Le concert des nations du XXIe siècle divise le monde entre forts et faibles. Il oppose l’efficacité des actifs à l’inefficacité des agités. Les contempteurs du 47ème président des États-Unis n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer celui qui bâillonne les libertés, porte atteinte à la démocratie et à l’état de droit, met le monde sans dessus dessous. Le bilan des cent jours constitue un festival de mauvaise foi de notre clergé médiatico-politique. Rien de ce qu’il entreprend pour apaiser les conflits, voire les régler à sa manière, ne trouve grâce à ses yeux. A contrario, l’action de l’Union européenne est louée pour sa clairvoyance, son efficacité, sa contribution au renforcement de la paix et de la sécurité internationales dans le vaste monde. Mais, revenons sur terre ! Si les amateurs de Donald Trump engrangent des succès diplomatiques, les professionnels européens cumulent les insuccès diplomatiques.
Les Pieds nickelés de Donald Trump : la diplomatie du succès
Les succès diplomatiques succèdent aux succès diplomatiques. Même les plus critiques de l’homme à la mèche blonde sont contraints, à leur corps défendant, de le reconnaître[1]. L’Amérique apparaît de plus en plus comme l’acteur incontournable d’un monde qu’elle reconstruit à sa main. Citons quelques exemples des dossiers internationaux brûlants sur lesquels l’action de la diplomatie américaine obtient des résultats positifs : lancement d’une dynamique de négociation sur le conflit ukrainien pour parvenir à une paix encore hypothétique (Cf. réunions trilatérales d’Istanbul, 16 mai 2025, entretien téléphonique Trump-Poutine du 19 mai 2025[2]) ; avancées sur les questions commerciales avec la Chine ; obtention d’un cessez-le-feu – si fragile, soit-il – entre Islamabad et New Dehli ; accord avec les Houthis facilité par les Iraniens dans le cadre des discussions bilatérales entre Téhéran et Washington sur les questions nucléaires ; détente sur le front du conflit entre le Rwanda et la RdC ; obtention de la libération d’un otage israélo-américain à l’issue de négociations directes avec le Hamas conduites au Qatar ; tournée au Moyen-Orient à forte dimension diplomatique (Cf. rencontre avec le nouveau président syrien et levée des sanctions) et économique (Cf. importance des contrats signés et des investissements des trois monarchies du Golfe aux États-Unis)[3] dont l’avenir montrera qu’elle était importante …
Nonobstant ces avancées, il est de bonne politique de critiquer le mal appris à la crinière blonde pour ses facéties, pour son non-conformisme diplomatique. Mais, enfin, il fait avancer les choses et parvient à écrire une page entièrement nouvelle dans l’histoire des relations internationales.
Les Américains apparaissent pour ce qu’ils sont, unis, forts, puissants, dotés de détermination et d’un cap précis, contrairement au machin européen. Il est vrai que la seconde présidence Trump n’a pas été improvisée à l’instar de la première. Elle fait l’objet d’une sérieuse préparation en amont avec l’appui de centres de recherches sérieux et efficaces. Les résultats sont devant nous quatre mois après l’intronisation de Donald Trump ! Qu’on le veuille ou non, il faut prendre Donald Trump au sérieux et au pied de la lettre en dépit de ses foucades et forfanteries. Il opère une profonde rupture avec le vieux continent de l’inertie et des paroles creuses, avec le monde d’hier. Tout ceci tranche avec l’amateurisme des professionnels de l’Europe du cabri et autres carabistouilles.
Les professionnels de l’Europe : la diplomatie de l’insuccès
Les insuccès diplomatiques succèdent aux insuccès diplomatiques. Même les plus élogieux de l’Europe sont contraints, à leur corps défendant, de le reconnaître. L’Europe apparait de plus en plus comme spectateur ignoré d’un monde qui se reconstruit sans elle. Citons quelques exemples des dossiers internationaux brûlants sur lesquels l’action de la diplomatie européenne (l’Union et certains de ses États membres) brille par ses résultats inexistants ou si peu : sur le conflit russo- ukrainien, même si elle (de facto Allemagne, France, Pologne et Royaume-Uni) s’agite dans tous les sens et dans tous les lieux, elle n’a toujours pas sa place à la table des négociations ; la rencontre des Européens avec les Iraniens en Suisse au début de l’année 2025 relève de la diplomatie des lacs pratiquée au temps de la SDN avec le succès que l’on sait ; inexistence sur le conflit indo-pakistanais comme sur le différend entre le Rwanda et la RdC ; inconsistance sur les principaux dossiers du Proche et Moyen-Orient : Gaza, otages, remodelage de la zone tel qu’envisagé par la mauvaise troupe de Donald Trump et autres Marco Rubio …
Les Européens apparaissent pour ce qu’ils sont, divisés, faibles, impuissants, manquant de détermination et de cap précis, contrairement à la nouvelle administration américaine[4]. Ne varietur, ils procrastinent sans travailler les dossiers sur le temps long et dans la substance. À titre d’exemple, l’attractivité économique de l’Europe fait pâle figure par rapport aux États-Unis[5]. À notre connaissance, les Européens ne lancent aucune réflexion sur la problématique du commerce international afin de s’adapter aux nouvelles règles et à la concurrence déloyale de la Chine. L’absence de résultats significatifs est devant nos yeux. A Bruxelles, on semble ignorer que toute bonne diplomatie suppose de connaître le passé pour comprendre le présent et anticiper l’avenir.
Cerise sur le gâteau, après le « Qatargate » qui touche le Parlement européen, voici venu le temps du « Pfizergate » qui éclabousse la Commission européenne et sa présidente, « Ursula von der Pfizer »[6]. La justice européenne donne tort à la présidente de la Commission, qui avait refusé de rendre publics ses échanges avec le PDG de Pfizer. Rappelons que cette Dame avait mis son mandat sous le signe de la « transparence ». Toutes ces facéties ne contribuent guère à renforcer l’image d’une Union européenne déjà bien discréditée au fil des ans dans le monde et aux yeux de ses concitoyens (Cf. les suites du référendum sur le projet de traité constitutionnel rejeté par la France et les Pays-Bas au printemps 2005)[7].
Pour sa part, Emmanuel Macron, lors de sa prestation télévisée du 13 mai 2025, met en évidence son manque de cohérence et de constance dans son approche des conflits du moment : Gaza, Ukraine, pour ne citer que les principaux[8]. Des mots, toujours des mots mais aucune approche globale des grands défis du monde de 2025[9] … et cela après huit années aux commandes de la politique étrangère et de la diplomatie de notre Douce France. Quelle preuve d’aveuglement ou d’angélisme ! Comme l’écrit, l’ambassadeur Xavier Driencourt en citant Chateaubriand évoquant Talleyrand : « Il prend son rôle pour son génie ; il se crut prophète en se trompant sur tout ; son autorité n’avait aucune valeur en matière d’avenir »[10].
Vers un « New Deal » diplomatique ?
« Les principes anciens perdent leur puissance et les principes nouveaux n’ont pas encore triomphé » (Charles de Gaulle)[11]. Oui, nous sommes bien confrontés à un nouveau monde[12]. Entre les États-Unis et les Européens, un fossé se creuse. Aux premiers, la recherche d’un « New Deal » diplomatique – pas de longues phrases, juste des faits -, aux seconds, l’attachement à ce que l’on pourrait qualifier « d’Old Deal » diplomatique – une logorrhée permanente, des chimères à tout-va – ! Ce découplage s’inscrit dans le temps long. À Washington, les propositions d’action sont claires, réalistes et efficaces. À Bruxelles, les réponses aux crises sont dérisoires et vaines. Ce qui importe, c’est le bruit, rien de plus. Pour reprendre la formule de George Orwell dans sa dernière préface de La ferme des animaux : « Le véritable ennemi, c’est l’esprit réduit à l’état de gramophone ». Seule la vérité des faits permet d’agir dans la bonne direction. Dans le monde du XXIe siècle, force est de constater que seule compte la puissance. Une fois encore, la véritable ligne de fracture dans la diplomatie se situe entre puissance et impuissance.
Jean DASPRY
(Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques.
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur.
[1] Sylvie Kauffmann, L’art trumpien de la diplomatie du « deal », Le Monde, 15 mai 2025, p. 30.
[2] Benjamin Quénelle/Piotr Smolar, Sur l’Ukraine, Poutine gagne du temps, Le Monde, 21 mai 2025, p. 2.
[3] Hélène Sallon/Piotr Smolar, Trump au Moyen-Orient ou la doctrine du « deal », Le Monde, 17 mai 2025, p. 2.
[4] Des Européens sans atout maitre dans leur jeu, le Canard enchaîné, 14 mai 2025, p. 3.
[5] Éric Albert, l’attractivité économique de l’Europe flanche face aux États-Unis, Le Monde, 16 mai 2025, p. 16.
[6] Virginie Malingre, « Pfizergate » : un revers pour von der Leyen, Le Monde, 16 mai 2025, p. 5.
[7] Bertrand Renouvin, Au mépris de la démocratie. Vingt ans après le référendum de 2005, https://www.bertrand-renouvin.fr/au-mepris-de-la-democratie-vingt-ans-apres-le-referendum-de-2005/ , 19 mai 2025.
[8] Claire Gatinois, Le chef de l’État juge « inacceptable », la politique israélienne dans la bande de Gaza, Le Monde, 15 mai 2025, p. 7.
[9] Mariama Darame/Nathalie Segaunes, Le plaidoyer pro domo de Macron, Le Monde, 15 mai 2025, p. 6.
[10] Xavier Driencourt, France-Algérie : le double aveuglement, éditions de l’Observatoire, mai 2025.
[11] Charles de Gaulle (présentation d’Hervé Gaymard), Le fil de l’épée dans le chapitre intitulé Du prestige, Tempus, 2024.
[12] Fareed Zakaria, Le système construit après 1945 peut survivre en dépit de la défection américaine, Le Monde, 1er mars 2025, p. 32.
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