Diplomatie, réunionite et impuissance ! – par Jean Daspry

Mar 29, 2025 | Billet invité

 

 

« Le risque est d’aboutir à une négociation pour les négociations sans aboutir à quelque chose de sérieux ». Ce jugement fondé sur l’expérience d’un diplomate français, Yves Aubin de la Messuzière traduit parfaitement les travers d’une diplomatie de l’agitation permanente qui débouche sur une diplomatie des conférences Potemkine. Penser qu’il suffit d’être pris d’une frénésie irrépressible d’invitation à Paris de ses homologues étrangers, à tort et à travers, pour régler tous les problèmes de la planète est illusoire ! Un constat d’évidence s’impose. Le mal de la réunionite aigüe – manie d’organiser des réunions souvent inutiles[1] – frappe le plus jeune président de la Cinquième République, « réuniologue », éminent homme de théâtre reconnu. Malheureusement pour lui, la diplomatie dans ce qu’elle a de plus classique s’accommode assez mal de ce genre de frasques.

La diplomatie de l’agitation permanente

« Les paroles les plus obscures d’un homme qui plaît donnent plus d’agitation que des déclarations d’un homme qui ne plaît pas » (Madame de La Fayette).

Il est bien loin le temps de la diplomatie de l’efficacité. Celle qui se fixe un objectif clair : renforcer la paix pour prévenir la guerre. Celle qui s’organise autour de trois axes précis : informer, négocier, représenter et qui se pratique dans la plus grande discrétion. Elle fait place à une diplomatie de l’inefficacité tant elle est superficielle et creuse. Elle se paie de mots pour se donner bonne conscience, confondant diplomatie et morale, diplomatie et communication, diplomatie et agitation, diplomatie et incantation, diplomatie et attrape-tout.

Dans ce registre, le président Emmanuel Macron excelle tant il est pris d’une boulimie de prises de parole (la diplomatie bavarde), d’admonestations aux va-t-en paix (la diplomatie moralisatrice), de convocation, pour un oui ou pour un non, de réunions internationales à géométrie variable et à improvisation certaine (la diplomatie des congrès), d’entretiens à l’Élysée avec ses homologues étrangers (diplomatie du mégaphone). Réunions d’urgence et sommets décisifs se suivent. Mais en dépit des grandes envolées lyriques de Jupiter, ces conclaves sont aussi impuissants qu’inefficaces à régler les problèmes dont ils sont censés avoir la lourde. Réunions qui donnent le tournis au citoyen tant les changements de pied sont la règle. Un jour, l’on pousse le président ukrainien à poursuivre le combat quoi qu’il en coûte. Le lendemain, on lui conseille de passer sous les fourches caudines du malappris à la crinière jaune qui coupe le robinet de l’aide militaire américaine au pays agressé. Volodymyr Zelensky débute bien la guerre. Il ne sait/peut la gagner face à la force de frappe de l’ogre russe. Pire encore, il doit aller à Canossa en acceptant tout ce qu’il refusait hier : la paix décidée entre Américains et Russes, un accord sur les terres rares, des garanties de sécurité faibles …. Qu’en pensent Emmanuel Macron et son ministre de l’Europe et des affaires étrangères ?

Le 5 mars, Emmanuel Macron-Foutriquet s’adresse aux Français dans une magnifique homélie, dans un discours de chef de guerre (la patrie est en danger) relativement décalé par rapport à la réalité (« La menace est là et touche les pays d’Europe »). Il aligne poncifs éculés, menaces exagérées et annonces budgétaires irréalistes dans un contexte de fortes tensions sur nos finances publiques[2].

Mais, rien n’y fait après huit années passées au Palais de l’Élysée sous les ors de la République. L’homme n’apprend jamais de ses erreurs diplomatiques. Il ignore la dimension tragique de l’Histoire. Le monde a changé. Les paramètres de la stabilité internationale aussi. La paix par le droit fait place à la paix par le rapport de force. Le résultat de la désinvolture du président de la République est devant nos yeux. Fort avec la Russie, faible avec l’Algérie[3]. Un grand dessillement est indispensable si l’Europe et la France ne veulent pas se retrouver dans le rôle peu enviable de spectateur d’un monde en perpétuel bouleversement.

La diplomatie des conférences Potemkine

« Le fort fait ce qu’il peut faire et le faible subit ce qu’il doit subir » (Thucydide).

Ce tropisme pour organiser des réunions, des conférences internationales à tout bout de champ pour régler tous les problèmes du monde est un miroir aux alouettes. Ces grand-messes, le plus souvent inutiles, débouchent sur des résultats excessifs (la montagne accouche d’une souris), incantatoires (le mot se substitue à l’acte) et inappropriés (la réponse est à côté de la plaque).

Les exemples ne manquent pas. Sur le règlement du conflit ukrainien, le président de la République multiplie des rencontres à géométrie variable dont il ne sort rien de très concret si ce n’est des incantations sans portée contraignante. Lors de la réunion organisée à Londres le 2 mars 2025, le premier ministre, Keir Starmer, dresse un bilan équilibré des débats lors de sa conférence de presse. Quelques heures après, Emmanuel Macron ne peut s’empêcher de tirer des plans sur la comète dans un entretien au JDD (2 mars) et de faire part des conclusions de la réunion de Londres au Figaro (3 mars). Il se félicite de l’accord trouvé sur une trêve d’un mois entre Russes et Ukrainiens. Quelques heures après, Londres le contredit, affirmant qu’il n’y a pas eu d’accord franco-britannique sur la proposition de trêve évoquée par Jupiter. Et, ce n’est qu’un exemple parmi d’autres des inconséquences du chef de l’État, adepte de la méthode du Docteur Coué.

Rapidement, la réalité reprend ses droits. Le président américain annonce que son pays suspend son aide militaire à l’Ukraine. Annonce qui suscite un tollé général de réprobation. Quelques heures plus tard, Emmanuel Macron salue la volonté de Volodymyr Zelensky de « réengager le dialogue avec Donald Trump » (ce dernier aurait envoyé une lettre de plates excuses au 47ème président américain pour s’être mal comporté dans le bureau ovale). Le en même temps dans la sphère diplomatique trouve rapidement ses limites même si le clergé médiatique ne le relève pas. Un quarteron de diplomates français à la retraite, un général ayant servi à l’OTAN[4] et une poignée de chercheurs de haute volée, experts es-clairvoyance rétrospective appellent de leurs vœux à « contrer la menace russe »[5]. Le courage de ces marchands d’illusions, si discrets hier lorsqu’il s’agissait de critiquer l’Union européenne, force le respect.

Le 6 mars, les chefs d’Etat et de gouvernement – sur un petit nuage – se réunissent à Bruxelles en sommet extraordinaire (de l’impuissance) pour parler Ukraine (une négociation dont ils sont exclus) et défense européenne (un vieux serpent de mer) en présence de Volodymyr Zelensky. La réunion se conclut par un consensus pour bâtir une puissance militaire autonome en dépit de la distance prise par Viktor Orban par rapport aux conclusions[6]. Attendons les actes après les effets d’annonce sur les centaines de milliards d’euros annoncés par la Commission dans son plan intitulé pompeusement « Réarmer l’Europe » ! Croit-on un seul instant que ces grands raouts, qu’affectionne Jupiter, parviendront à faire cesser les dépendances multiples de l’Union européenne à coup de proclamations solennelles creuses ? « Elle a beau réunir ses chefs d’Etat et organiser d’orgueilleuses palabres vides de sens – ce qu’elle fait de mieux – l’Europe est en réalité mise au pied du mur, et Emmanuel Macron avec elle »[7].  Emmanuel Macron convoque à Paris, le 11 mars 2025, une énième réunion à l’intention des chefs d’état-major des États disposés à prendre leurs responsabilités pour garantir une paix en Ukraine[8] (sans les États-Unis). Vaste programme dans un contexte de brouillard stratégique.

Cette boulimie de conférences rappelle la « diplomatie lacustre », pratiquée avec un art consommé de l’à-propos, par les États membres de la SDN à la veille de la Seconde Guerre mondiale au bord des lacs suisses. On s’y engage à interdire la guerre, les armes dangereuses. On y condamne les menaces d’intimidation, les rapports de force. On sait ce qu’il est advenu quelques mois plus tard.

Le résultat est là. La France éternelle est en train de devenir un acteur mineur aux yeux du monde dont la parole n’est plus attendue et écoutée. Faute de peser dans le concert des nations, elle pèse sur le portefeuille du contribuable qui n’en peut mais.

La diplomatie de l’impuissance

« Le plus farouche orgueil naît surtout à l’occasion d’une impuissance » (Paul Valéry). Dans « un monde de dangers », la diplomatie française de la réunionite à outrance ne fait qu’étaler son actuelle faiblesse en un temps où seule compte la puissance. Malheur aux faibles ! Cette diplomatie de la posture n’est plus tenable aujourd’hui. Raison de plus pour regarder les choses en face avec lucidité. Le président de la République évolue dans une double confusion : celle de la politique étrangère et de la politique intérieure et celle de la politique étrangère et de la diplomatie. Ses gesticulations sont d’une efficacité limitée. Nous sommes loin du « sens du réel » et de « la culture du résultat » qu’il met en exergue avec fougue lors de sa visite au Portugal. La diplomatie de la réunionite signe l’impuissance extérieure (comme intérieure) d’une France, homme malade de l’Europe.

Jean DASPRY

Pseudonyme d’un haut fonctionnaire, docteur en sciences politiques

Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur

[1] Selon le dictionnaire en ligne La langue française, la réunionite est tout simplement la « manie des réunions ». Ce terme péjoratif se réfère à l’habitude de planifier de trop nombreuses réunions, sans une grande préparation et sans objectifs clairs, qui mènent rarement à une issue productive.

[2] Mariama Darame/Philippe Ricard/Nathalie Segaunes, Macron : « La menace russe est là ». Macron sollicite la « force d’âme » des Français, Le Monde, 7 mars 2025, pp. 1-8.

[3] Clémence de Longraye, Face à la Russie, Macron bombe le torse. Face à l’Algérie, il courbe l’échine, www.bvoltaire.fr , 6 mars 2025.

[4] Alain Frachon, Donald Trump fait exploser l’OTAN, Le Monde, 7 mars 2025, p. 28.

[5] Michel Duclos/Philippe Étienne/Nicole Gnesotto/François Heisbourg/Pierre Lévy/Gilles de Margerie/Sophie-Caroline de Margerie/Jean-Paul Paloméros/ Marc Perrin de Brichambaut, L’Europe doit former une coalition de volontaires pour contrer la menace russe, Le Monde, 7 mars 2025, p. 26.

[6] Philippe Jacqué/Virginie Malingre/Philippe Ricard, L’UE affiche sa volonté de se réarmer, Le Monde, 8 mars 2025, pp. 1-2.

[7] Marc Baudriller, Macron illusionniste : j’existe, et l’Europe aussi !, www.bvoltaire.fr , 5 mars 2025.

[8] Éditorial, Pour les Européens, un réveil douloureux, Le Monde, 8 mars 2025, p. 28.

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