Dix thèses sur la Corse

Oct 2, 2000 | Res Publica

 

Négociations secrètes, mensonges éhontés, concessions inacceptables : les conditions inouïes dans lesquelles le « dossier » corse est « géré » par Lionel Jospin ont provoqué, à la suite de la démission du ministre de l’Intérieur, un vaste débat dans l’opinion publique. Cette confrontation sera salutaire si les responsables politiques et les citoyens rejettent les deux solutions de facilité – celle de la réaction néo-jacobine, celle de l’abandon progressif de deux départements français. En publiant ces dix thèses sur la Corse, nous souhaitons ouvrir avec nos lecteurs une discussion nécessaire.

 

1/ Nationalisme.

En Corse, l’expression « nationaliste » est acceptable dès lors qu’elle se définit comme un nationisme tel qu’il en existait dans la France pré-révolutionnaire : l’attachement à une culture provinciale ou locale (mémoire commune, manières de vivre, parlers) plus ou moins précisément située sur le territoire. Comme les autres formes de sociabilité héritées de notre passé, les particularités de la Corse doivent être reconnues dans l’ensemble français et dans le cadre juridique commun.

Mais le « nationalisme » corse suscite une inquiétude légitime et provoque des réactions justifiées lorsqu’il se transforme en mouvement de « libération nationale », à la manière algérienne ou vietnamienne, donc en un mouvement nationalitaire revendiquant, la création d’une entité politique autonome. Ce nationalisme politique s’appuyait naguère sur l’idéologie communiste ou sur le révolutionnarisme tiers-mondiste. Il prend actuellement la forme d’une revendication ethno-linguistique, non moins violente ni exclusive que la précédente.

Les défenseurs des particularités corses ne seront entendus et compris que s’ils sortent de leur ambiguïté et opposent clairement le nationisme traditionnel au nationalitarisme moderne. Sinon la pulsion ethnicisante continuera d’alimenter, dans un habituel jeu de doubles, la réaction néo-jacobine.

 2/ Indépendantisme.

Comme Etat indépendant, la Corse n’est pas plus viable que le Kosovo. Les Corses en sont généralement convaincus – même la plupart des « nationalistes » radicaux.

L’indépendance est donc une solution illusoire, qui cache un problème de fond : comment distinguer – sans les opposer – la nationalité française et une citoyenneté devant être affirmée dans la nation par les procédures habituelles mais pouvant être vécues dans certaines régions (Corse, Alsace, Pays Basque, Basse-Bretagne) et par certains groupes (immigrés et descendants d’immigrés) sur un mode particulier : celui de la concentration sur une culture locale, celui de l’extension à une aire culturelle et (ou) religieuse.

3/ Décentralisation.

 Les spécificités des diverses populations françaises ont toujours été admises, reconnues, ou du moins tolérées par l’Etat, garant depuis mille ans d’une nation se constituant puis effectivement constituée, et affirmant, sous divers régimes et de diverses manières, la volonté de ses citoyens de vivre ensemble dans la paix et dans l’unité. Cette volonté commune s’est traduit par des mesures de concentration du pouvoir, mais aussi par une centralisation administrative. Les excès de cette centralisation nous ont fait souhaiter une large décentralisation, dans le cadre d’une politique d’aménagement du territoire et d’une planification dynamique de l’économie nationale. Comme toute autre région française, la Corse doit bénéficier de la décentralisation ; mais aucune collectivité locale ne saurait s’exclure des politiques nationales de planification économique, de progrès social, et d’aménagement du territoire qui devront être à nouveau développées dans notre pays. Comme toute autre population, française ou en voie de le devenir, la population spécifiquement corse, partie intégrante du peuple français, doit être reconnue dans ses modes particuliers d’expression, qui ne contredisent en rien les devoirs liés à l’exercice de la souveraineté nationale.

4/ Les traditions corses

Le respect aux anciennes traditions fut, de la fin du 19ème siècle jusqu’aux années noires de la « Révolution nationale », le morceaux de choix de tous les discours romantiques et réactionnaires. Cette thématique a été recyclée voici une trentaine d’année par certaines fractions gauchistes (« occitanes » notamment) ; elle nourrit actuellement les différentes formes du repli « identitaire » et inspire un fantasme d’« enracinement » qui est étranger à la civilisation judéo-chrétienne. La guerre civile en Yougoslavie a montré que ces représentations imaginaires pouvaient être la source d’une extrême violence lorsqu’il y avait  défaillance de l’Etat, dans sa fonction symbolique et médiatrice.

Quant aux traditions régionales, comme à l’égard de toute tradition, les politiques doivent éviter tout sentimentalisme et toute complaisance : la tradition véritable est une transmission, un processus au cours duquel s’opère un certain nombre de tris. La culture et la langue corses sont des héritages qui doivent être préservés, puisque tel est le vœu de la population corse, et parce que le patrimoine corse enrichit la nation française : par définition, l’unité est un tissu d’éléments divers.

Cependant, il existe des traditions, ou plus exactement des mœurs et des coutumes qui sont contraires aux principes universels (la paix entre les hommes), aux principes généraux de notre droit (l’égalité) et au souci de l’intérêt général. Comme d’autres régions ou pays méditerranéens, notamment la Sicile et l’Albanie, une partie de la société corse vit encore dans des structures claniques, dans un système clientéliste, selon un prétendu « code de l’honneur » qui engendre la pratique de la vendetta – autant de caractéristiques des mentalités régressives et des comportements passéistes que les romanciers et les folkloristes ont enjolivés.

5/ L’Etat monarchique et la tradition royale.

Contrairement à la légende, l’Etat monarchique et royal n’a cessé de combattre le familialisme à prétention aristocratique, la logique de l’honneur et la pratique du duel qui en résultaient, tout en esquissant une mise en ordre juridique et administrative conforme aux tâches essentielles de l’Etat. L’Etat de droit, qui a connu un développement décisif en 1789 et 1791 (constitution écrite, représentation nationale, suppression des privilèges et de l’ordre nobiliaire) n’a pu être étendu à la Corse par la monarchie en raison de l’intégration récente de l’île dans l’ensemble français.

6/ La question corse

Cette question, qui s’est posée après la décolonisation et à la suite des transformations de la société française, n’a jamais reçu de réponses appropriées de la part de pouvoirs publics confrontés aux revendications autonomistes puis aux actions terroristes. Répression, manipulations, tractations, concessions, compromissions diverses se sont succédées ou ont eu lieu conjointement sans que les mesures de décentralisation permettent le retour au calme. L’indécision des pouvoirs publics, les lignes contradictoires suivies par les différents ministères, les luttes entre les administrations et entre les services ont empêché, au cours du dernier quart de siècle, que l’Etat de droit soit effectivement instauré. Les différentes formes de violence – attentats politiques, corruption, fraude électorale, banditisme – ont donc pu se développer facilement.

7/ Le repli identitaire

La destruction de la sociabilité locale est une réalité trop souvent masquée, et l’identité corse devient de plus en plus problématique : deux habitants de l’île sur cinq ne sont pas corses, la langue corse ne compte pas plus de 20 000 locuteurs sur une population totale de 260 000 habitants et les mœurs  traditionnelles disparaissent en même temps que la société rurale. Il est compréhensible, du point de vue anthropologique, mais inacceptable dans l’ordre politique, que ces effondrements provoquent des réflexes de repli, des pulsions xénophobes (à ‘encontre les « Français » et des « Arabes »), des dénégations délirantes et des violences compensatoires dont les autorités administratives, les fonctionnaires en service sur l’île et la population corse sont les victimes.

 

8/ L’échec des clandestins

L’échec des mouvement armés est un fait indiscutable. Incapables de concevoir un projet politique assumé par des organisations démocratiques, incapables de proposer un mode spécifique de développement économique, ils n’ont pas débarrassé la Corse de ses maux (clanisme, clientélisme, assistanat, logiques vindicatoires) mais ont au contraire engendré de nouvelles formes de violence : affrontements sanglants entre les fractions clandestines et dérives mafieuses. Avant même que l’île obtienne le statut de large autonomie que les groupes terroristes revendiquent, ses populations semblent destinées à subir à la fois la guerre civile et la guerre des gangs.

9/ Des accords vains

Les accords passés en juillet dernier entre le Premier ministre, les nationalistes et certains élus n’apporteront aucun remède à la crise identitaire corse et leurs principales dispositions ne pourront être mises en œuvre puisqu’elles contreviennent non seulement à la Constitution, qui déclare que le français est la langue de la République, mais aussi à la Déclaration de 1789 qui proclame l’égalité de tous les citoyens devant la loi.

10/ Force à la Loi

En préalable à toute discussion sur les structures décentralisées et sur le développement économique et social de la Corse, il est indispensable que la violence cède devant la force afin que la loi soit enfin appliquée. Ce qui signifie que la répression nécessaire des actes terroristes doit s’accompagner de la punition des actes délictueux (fraude électorale, trafic d’influence, prises illégales d’intérêts etc.) commis par les dirigeants politiques, régionaux et nationaux.

Il n’y aura pas d’apaisement en Corse, ni de progrès pour l’île, tant que l’Etat ne sera pas décidé à assurer ses fonctions (garantir la sûreté des personnes et des biens, faire prévaloir le principe de justice) dans la continuité et dans la pleine cohérence de ses actions.

***

Pour en savoir plus :

– Nicolas Giudici, Le Crépuscule des Corses, Identité, clientélisme et vendetta, Grasset, 1997, 139 F. (Le meilleur ouvrage sur la question).

– Gilles Ménage, L’œil du pouvoir, tome II, Face aux terrorismes, 1981-1986, Action directe, Corse, Pays Basque, Fayard, 2000. (le regard précis de l’ancien directeur de cabinet de F. Mitterrand).

– Jean-Michel Rossi, François Santoni, Pour solde de tout compte, Les nationalistes corses parlent, Entretiens avec Guy Benhamou, Denoël, 2000. (Significatif).

– Michel Prigent, Le Héros et l’Etat dans la tragédie de Pierre Corneille, PUF, 1986 (sur l’antinomie entre le service de l’Etat et « l’honneur » familial et aristocratique).

 

 

Article publié dans le numéro 756 de « Royaliste » – 2 octobre 2000

 

 

Partagez

0 commentaires