Est-ce bien le Président qui décide de la politique étrangère ? Le consensus en ce domaine est-il aussi solide qu’on le dit ? Examinant ces questions, Samy Cohen dérange de trop confortables certitudes.
La répartition des rôles entre l’Elysée, Matignon et le Quai d’Orsay a considérablement varié. Chercheur à la Fondation nationale des Sciences politiques, l’auteur de « La Monarchie nucléaire » (1) n’est pas de ceux qui se contentent d’analyser les textes et de compiler les dossiers de presse. Précises et vivantes, les pages que Samy Cohen consacre aux coulisses de la politique étrangère de la Vème République sont nourries d’enquêtes effectuées auprès de ceux qui conçoivent, dirigent et appliquent cette politique. Cette méthode directe permet à Samy Cohen de retracer le processus de décisions, et d’expliquer comment celles-ci ont été prises. Sans doute, les dispositions constitutionnelles fournissent-elles un cadre général, et la coutume née en 1958 dit sans conteste la prééminence du Président. Nous sommes bien dans une monarchie élective, qu’il ne faut surtout pas confondre avec une autocratie. L’exercice solitaire d’un pouvoir absolu, dans le domaine réservé de la diplomatie, est une « vision fantasmatique », un mythe que l’analyse de Samy Cohen vient heureusement détruire.
Pour savoir qui décide et comment, pour établir la nature, la portée et les limites de l’action présidentielle, il faut pénétrer les divers cercles du pouvoir, comprendre leurs relations, éventuellement conflictuelles, retracer aussi les évolutions majeures. De Charles de Gaulle à François Mitterrand, il apparaît en effet que le pouvoir ne s’est pas exercé de la même manière, et que le rôle des « partenaires » du Président a considérablement varié. Ainsi, les relations entre le chef de l’Etat et son ministre des Affaires étrangères sont très différentes d’un président à l’autre, et d’un ministre à l’autre… A la difficulté d’établir une bonne répartition des rôles entre le Président et son ministre, s’ajoute le poids spécifique du Quai d’Orsay, la complexité des structures impliquées dans l’action diplomatique, l’enchevêtrement des responsabilités et les effets pervers d’une diplomatie parallèle qui s’est beaucoup développée depuis le départ du général de Gaulle.
Fine, nuancée, l’analyse des lieux de la décision et du comportement des responsables permet-elle de conclure à l’impuissance d’un président prisonnier de la bureaucratie et d’une vie internationale prédéterminée ? Contrairement à Régis Debray, qui compare le Président à un pilote prenant les commandes en plein ciel, Samy Cohen montre que le chef de l’Etat jouit, en dépit de toutes les contraintes, d’une pleine liberté de décision, pour le meilleur et aussi pour le pire : Samy Cohen souligne les imprécisions, les improvisations de trop de décisions présidentielles, et parfois l’absence de tout choix, née du manque d’information ou de l’inattention. Ce mélange de laisser-aller et de brutalité tient moins aux hommes qu’à l’inadaptation des structures qu’il est urgent de réformer.
S’interrogeant sur l’après-mars 1986, Samy Cohen souligne enfin la fragilité du consensus sur la politique étrangère et le risque considérable qui résulterait d’un conflit entre le Président et le Premier ministre : « le maintien de la Constitution d’octobre 1958 causera, un jour ou l’autre, de graves préjudices à la crédibilité de la force de dissuasion nucléaire. Tôt ou tard, il faudra aménager cette constitution « classique », lever les ambiguïtés et les contradictions, pour en faire une constitution « nucléaire ». La tête de l’exécutif (…) doit être une dans tous les domaines de la vie nationale ».
Un débat essentiel est ouvert.
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(1) Samy Cohen, La Monarchie nucléaire, Hachette, 1986.
Article publié dans le numéro 443 de « Royaliste » – 12 février 1986
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