« Non l’avenir n’est à personne ! Sire, l’avenir est à Dieu ! ». Cette répartie de Victor Hugo résume notre réel embarras face à l’issue du scrutin du 5 novembre 2024. Les multiples rebondissements ayant émaillé les derniers mois de la campagne électorale américaine incitent à la plus grande prudence. En matière de pronostics, un évènement imprévu peut encore bouleverser la donne[1]. « Gouverner, c’est prévoir » nous rappelle l’adage bien connu au moment où gouverner, c’est communiquer. Il y a quelques semaines encore les médias de la bien-pensance envisagent une réélection facile de Joe Biden à l’élection présidentielle américaine. Puis c’est au tour de Donald Trump d’être considéré comme favori avant que ce rôle ne revienne à Kamala Harris[2]. À sept semaines du scrutin, un aperçu de la scène intérieure permet d’esquisser les contours encore flous d’une politique étrangère démocrate et républicaine.
Une présidentielle américaine à l’issue incertaine
Outre-Atlantique, la vie politique aux bords du Potomac n’est pas un long fleuve tranquille. Au gré des évènements, les favoris au scrutin du 5 novembre 2024 font rapidement figure de perdants.
Donald Trump versus Joe Biden. La chronique des derniers mois s’apparente à une valse à deux temps. Cerné de toutes parts par les affaires judiciaires, l’homme à la mèche blonde semble dans l’impossibilité de se présenter à la prochaine présidentielle pour le bonheur du camp démocrate. La cause semble entendue à croire la vulgate médiatico-politique et la bien-pensance germanopratine. En dépit de ses gaffes à répétition, Joe Biden file vers une réélection sans problème. Mais, c’est sans compter sans sa déroute lors du débat télévisé avec Donald Trump et sans les conséquences de l’attentat dont le candidat républicain est victime. Une fois de plus, le sort de l’élection semble scellé. Mais, c’est sans compter sur la bronca que soulève le maintien de la candidature de Joe Biden. Elle se conclut par son éviction peu élégante par le duo chic et choc Obama-Harris. Cette dernière s’émancipe en un tournemain de la tutelle jugée trop pesante de son mentor. Une fois encore, le vent tourne. Donald Trump est pris au dépourvu et voit la candidate désignée[3] par une convention démocrate de Chicago enflammée s’envoler dans les sondages. Elle laisse sans voix le milliardaire new-yorkais. La tendance va-t-elle se confirmer ou bien le soufflet va-t-il retomber lorsqu’il s’agira de quitter le terrain des slogans et d’entrer dans le vif du sujet en déclinant les programmes concrets de gouvernement différents des slogans de campagne creux ?
Donald Trump versus Kamala Harris. Adoubée à Chicago par Barack Obama avec son : « Yes, she can »[4], Kamala Harris fait le plein des voix des femmes, des noirs, des jeunes[5]. La médiasphère ne jure que par la candidate démocrate[6], incarnation du Bien face au Mal que représente Donald Trump. Pour elle[7], l’affaire est dans le sac alors même que son programme est aussi inconnu que flou hormis quelques mesures démagogiques (il faut taxer les riches) ou sociales (il faut augmenter les salaires). Au-delà de la Kamalamania[8], la philosophie politique de la candidate reste difficile à cerner. En dehors de son projet pour le futur (encore inconnu hormis son slogan « Forward », aucun cap clair ne se dégageant)[9], Kamala Harris doit défendre son bilan passé qui tourne parfois au passif : situation économique du pays, immigration[10] … Pour contrer l’offensive de son adversaire, un Donald Trump à la peine fait du « super-Trump » (allégations sur les Haïtiens mangeurs de chats et de chiens). Et cela pourrait peut-être encore séduire une frange conservatrice de l’électorat américain[11]. La bataille entre les deux camps ne se joue pas entre stratèges mais entre communicants. Tout est encore possible contrairement à ce que pensent les adeptes de la prophétie auto-réalisatrice. Aucune surprise n’est à écarter si l’on sait que Kamala Harris n’est pas toujours à l’aise dans les médias comme elle l’a démontré lors de son bref entretien avec CNN le 29 août 2024[12]. Ferme sur ses « valeurs », elle l’est moins sur ses positions fluctuantes au gré du temps, naviguant d’un bord à l’autre du camp démocrate[13]. Nous en avons un exemple récent avec le « wokisme »[14]. Mais, lors de son débat télévisé du 10 septembre 2024 avec Donald Trump, la candidate démocrate s’impose face à son rival désemparé[15]. À tel point que ce dernier refuse un autre débat. Mais, à moins de deux mois de l’élection, rien n’est joué. Tout peut encore arriver comme l’exploitation politique par les Républicains de la deuxième tentative d’assassinat contre Donald Trump en Floride le 15 septembre 2024[16].
Intéressons-nous désormais à la sphère internationale afin d’envisager toutes les hypothèses et leur impact sur le monde de demain !
Une politique étrangère aux contours flous
Le moins que l’on puisse dire est que la politique étrangère du futur président américain demeure dans les limbes. Tentons d’esquisser les différences entre les projets des deux compétiteurs.
Kamala Harris héritière de Jobama. Même si elle consacrerait la majeure partie de son énergie à la politique intérieure américaine en honorant ses promesses économiques, sociales et sociétales, elle devrait, hormis quelques inflexions, suivre la ligne suivie par Joe Biden. La continuité entre les deux semble a priori complète sauf pour certains[17]. Kamala Harris déclare qu’elle entend renforcer l’Alliance atlantique (comment ?) et soutenir l’Ukraine (dans quelles limites ?). Sur le conflit israélo-palestinien, elle rappelle les efforts incessants de l’administration démocrate pour un cessez-le-feu conduisant à une libération des otages. Pour elle, il s’agit de la condition pour que les Palestiniens « réalisent leur dignité, leur droit à la sécurité, à la liberté et à l’autodétermination ». Paradoxalement, au lieu de calmer la base, ce soutien appuyé aux Palestiniens n’est pas suffisant aux yeux de certains qui exigent l’arrêt immédiat des livraisons d’armes à Israël[18] et l’arrêt d’un soutien conditionnel à ce pays. Il y a fort à parier que Kamala Harris ne traîne ce boulet durant toute la campagne surtout lorsqu’elle évolue dans ses positions (Cf. son entretien à CNN précité). Les détracteurs de son camp pourraient en demander toujours plus. Quid des relations avec la Chine, la Russie, l’Iran et plus largement avec les régimes autocratiques avec lesquels elle accuse Donald Trump de faire ami-ami ? Quid de la diplomatie américaine en Amérique latine, en Afrique et en Asie sans parler de l’Europe et des Occidentaux ? À ce jour, nous ne savons pas quel est son grand dessein pour l’Amérique du XXIe siècle.
Donald Trump héritier de Donald Trump. A priori, la politique étrangère isolationniste du milliardaire semble plus claire à définir tant elle repose sur quelques axiomes anciens. Son « America First » explique bien des lignes de force de son action internationale. Un dollar est toujours mieux utilisé à l’intérieur qu’à l’extérieur. Les États-Unis ne sont pas disposés à servir d’assurance tous risques à une Europe qui ne s’acquitterait que d’une assurance au tiers pour assurer sa défense via l’OTAN[19]. Pour Donald Trump, l’Amérique devra rapidement cesser son appui militaire et financier à l’Ukraine et laisser la patate chaude aux Européens si tel est leur désir. Il va de soi qu’il n’entend lancer aucune expédition militaire aux quatre coins de la planète. Au Proche-Orient, une administration républicaine afficherait un soutien inconditionnel à Israël tant sur le plan idéologique que militaire. Quid de l’avenir des accords d’Abraham ? Comment entend-il traiter le régime iranien qualifié de « grand perturbateur » ? S’il entend tenir la dragée haute à Pékin, comme ce fut le cas lors de son premier mandat (ligne suivie par Joe Biden), Donald Trump irait-il aussi loin qu’il le prétend dans ses relations avec Vladimir Poutine (négocier directement la paix en Ukraine en quinze jours) ? Nous demeurons encore dans le brouillard s’agissant de sa diplomatie dans les autres régions du monde : Amérique latine, Asie (Cf. pivot de Barack Obama), Afrique et de ses relations supposées ou réelles avec les infréquentables de la terre. L’homme à la mèche blonde n’est pas adepte des concepts, des grandes théories dans les relations internationales. Il réagit plus à l’instinct.
Un saut dans l’inconnu
« L’histoire est un perpétuel recommencement ». Cette affirmation, attribuée au penseur grec Thucydide, pourrait se trouver vérifiée le 5 novembre prochain. Les chancelleries occidentales s’y préparent-elles ou bien l’ignorent-elles ? Vont-elles être prises de court comme ce fut le cas en 2017 après la victoire de Donald Trump ? Elles ne pourront plus nous resservir l’argument de la surprise stratégique. Dans la meilleure des hypothèses, des réflexions s’imposent – même si en France le moment n’est pas le plus opportun – pour imaginer ce qui paraissait impensable, il y a peu. C’est en anticipant les risques que l’on progresse. Des changements de paradigme s’imposent si les alliés de Washington – surtout les Européens – veulent peser dans les débats à venir, redonner cohérence à un tableau chaotique. Le sujet fait-il l’objet de réflexions appropriées à Bruxelles ? Nous en doutons. Mais l’on peut toujours croire au miracle. Le discernement n’est-il pas la vertu des temps de crise ? Surtout au moment où l’on oppose au Trump Bashing la Kamalamania.
Jean DASPRY
pseudonyme d’un haut fonctionnaire, docteur en sciences politiques;
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur;
[1] Piotr Smolar, La candidature de Kamala Harris relance les démocrates, Le Monde, 18-19 août 2024, p. 2.
[2] Mathilde Carton, Doug Emhoof, le mari plus que parfait de Kamala Harris, M Le magazine du Monde, 31 août 2024, pp. 23 à 29.
[3] Corine Lesnes, Kamala Harris, pur produit de la Californie, Le Monde, 17 août 2024, p. 16.
[4] Arnaud Leparmentier, « Yes, she can”: à Chicago, Obama encense Harris, Le Monde, 22 août 2024, p. 3.
[5] Kamala Harris, Nos vérités. Mon rêve américain, Robert Laffont, 2021.
[6] Sylvie Kaufmann, Kamala Harris, par-delà les assignations, Le Monde, 29 août 2024, p. 24.
[7] Corine Lesnes, Kamala Harris, intraitable procureure, Le Monde, 18-19 août 2024, p. 13.
[8] Colum McCann, Kamala Harris ou l’envie d’un nouveau genre de héros américain, Le Monde, 20 août 2024, p. 20.
[9] Laurence Nardon, La vision résolument optimiste de l’Amérique de Kamala Harris, Le Monde, 25-26 août 2024, p. 26.
[10] Éditorial, La tâche de Kamala Harris, Le Monde,8 août 2024, p. 19.
[11] Arnaud Leparmentier, Voyage au cœur des terres républicaines du Midwest, Le Monde, 14 septembre 2024, pp. 4-5.
[12] Piotr Smolar, Pour Kamala Harris, un premier oral sans écart ni brio, Le Monde, 31 août 2024, p. 4.
[13] Alain Frachon, Kamala Harris ou l’éloge du centrisme, Le Monde, 6 septembre 2024, p. 29.
[14] Kévin Badeau (propos recueillis par), Nicole Bacharan : « Kamala Harris a mis le wokisme en sourdine », www.lepoint.fr , 6 septembre 2024.
[15] Piotr Smolar, Offensive, Kamala Harris s’impose face à Donald Trump, Le Monde, 12 septembre 2024, pp. 1-3.
[16] Piotr Smolar, Trump échappe à une nouvelle tentative d’assassinat, Le Monde, 17 septembre 2024, p. 4.
[17] Célia Belin, Kamala Harris porte un regard différent sur la politique américaine, Le Monde, 30 août 2023, p. 25.
[18] Piotr Smolar, La guerre à Gaza s’est immiscée dans la convention démocrate, Le Monde, 25-26 août 2024, p. 2.
[19] Trump somme les Européens de dépenser plus, Le Canard enchaîné, 11 septembre 2024, p. 3.
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