Pour que nous vivions en accord avec le monde qui nous entoure, il ne suffit pas que l’écologie revienne à la mode, ni qu’elle se transforme en parti…
Pour prendre au sérieux l’écologie, il faut donner à ce mot son véritable sens : l’écologie (du grec oïkos, maison) désigne notre manière d’habiter le monde, qui n’est jamais séparée de notre manière d’être dans le monde et avec les hommes qui y vivent. C’est dire que l’écologie ne peut se réduire à la défense de la nature, même si la lutte contre les pollutions qui la dégradent ou la détruisent est pleinement fondée. Habiter le monde, c’est nécessairement le transformer et ce que nous appelons nature est souvent l’œuvre de l’homme – un paysage où viennent se composer les éléments naturels, le travail et le temps. Et les villes, si peu naturelles, font partie de cette œuvre écologique qui semblait jusqu’au siècle dernier aller de soi. La beauté des cités et des campagnes naissait d’un accord de l’homme avec le monde, de son souci politique, de sa quête religieuse.
LA LOI DE L’ARGENT
Nous constatons que la modernité a entraîné une rupture lente puis rapide de cet accord qui n’excluait d’ailleurs pas les violences et les misères. Sans doute parce que la vision du monde a changé à partir de la fin du 18ème siècle. La société a été regardée comme un marché de produits, la rationalité économique a prétendu englober toute la vie, l’homme a été contraint de se plier aux règles du travail industriel, et la rentabilité est devenue une fin en soi. D’où un développement économique sans précédent, mais d’une grande brutalité : dislocation des communautés traditionnelles, exploitation du prolétariat industriel, séparation de l’homme et de la nature, épuisement de celle-ci…
A ceux qui dénonçaient ces violences, les partisans du capitalisme libéral opposaient la promesse d’une diffusion progressive de la richesse grâce à la miraculeuse loi du marché. Force est de constater aujourd’hui que ces belles perspectives étaient illusoires : enrichissement des pays les plus riches et appauvrissement des plus pauvres ; misère matérielle et exclusion sociale et culturelle de millions de Français, spéculation financière acharnée qui met en péril les économies développées, impasse du productivisme agricole qui achève de détruire la paysannerie et condamne des régions entières à la désertification, spéculation immobilière qui change le visage des villes et contraint un ·nombre croissant de citadins à s’établir dans des banlieues toujours plus éloignées; atteintes à l’environnement et pollutions croissantes par volonté de profit maximum. La fausse rationalité économique est en train de créer un monde inhabitable, une société de ségrégation d’autant plus dure que les individus ne sont plus protégés par des communautés fortes et stables.
RESPONSABILITÉSmarché, Verte
Ces conséquences visibles de l’idéologie du marché et de la rentabilité maximale montrent qu’on ne peut pas faire confiance au prétendu libéralisme économique pour préserver la nature, les paysages et les villes en assurant aux hommes qui y vivent de bonnes conditions de vie. Faut-il dès lors, selon une tendance récente, faire confiance à un parti qui ferait du combat écologique sa « spécialité » ?
Le parti Vert présente deux risques majeurs. D’une part, il a manifestement l’intention d’entraîner ses sympathisants sur le terrain d’un pacifisme hostile à la dissuasion nucléaire – qui pourtant garantit la paix entre les pays qui la possèdent. D’autre part, il tente de récupérer l’écologie et de la confisquer à son seul profit, alors que celle-ci doit être l’affaire de tous : celle des citoyens organisés dans de libres associations, celles des partis politiques, celle de l’Etat qui ne peut plus se contenter d’une politique de l’environnement par laquelle il s’efforcerait de compenser les conséquences désastreuses plus haut dénoncées.
L’écologie implique une politique d’ensemble, puisque c’est au nom d’une conception globale de l’homme et du monde, strictement utilitaire et mercantile, que notre système économique s’est constitué. Pas d’écologie sans une critique de la fausse rationalité économique et sans dénonciation de l’idéologie du marché. Pas d’écologie sans critique du productivisme agricole, sur le plan national comme sur le plan européen, et sans mise en question des finalités du système industriel – tant il est vrai que celui-ci ne se justifiera qu’en libérant les hommes du travail. Pas d’écologie sans une politique de la ville qui, contre la gestion bureaucratique de l’urbanisme, doit mobiliser les architectes effectivement créateurs. Pas d’écologie sans lutte acharnée contre la spéculation immobilière et contre la corruption.
Ces révolutions nécessaires devraient mobiliser le gouvernement qui, en retard sur son temps, voudrait simplement prouver qu’il est bon gestionnaire. Ce n’est pas son moindre paradoxe !
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Article publié dans le numéro 519 de « Royaliste » – 10 juillet 1989
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