Emmanuel Macron : Chronique d’un malheur aggravé

Avr 10, 2022 | la lutte des classes

 

 

Emmanuel Macron s’était présenté en 2017 comme le sauveur d’un pays usé par de pitoyables alternances. Après cinq années d’improvisations et de crises, il prend simplement place parmi les artisans du malheur français. Du bilan d’un échec, Marcel Gauchet tire de fortes leçons (1).

Il fut ce cavalier parti d’un si beau pas, avec le Louvre en arrière-plan et Versailles pour première scène. Nous n’y avons jamais cru mais il était possible d’y croire.

Surgi tout à coup des arcanes du Pouvoir, le jeune Emmanuel semblait clore le cycle de l’alternance entre la droite et la gauche “de gouvernement » et disait vouloir lancer une nouvelle dynamique. Entré à l’Elysée “par effraction” si l’on considère les tensions et rivalités à l’intérieur du bloc oligarchique, il a gagné très classiquement la bataille électorale en utilisant le marchepied lepéniste. Le président sortant compte bien reproduire ce médiocre exploit, qui lui a permis de maintenir le système quinquennal et la fraction de l’élite qui le fait fonctionner dans une ambiance marquée par l’implosion de la droite et de la gauche. Pour quels résultats ?

Marcel Gauchet estime que “la politique étrangère est le domaine sur lequel [Emmanuel Macron] s’en est le mieux tiré”. Nous ne partageons pas ce point de vue, tant le recul de la France sur les cinq continents nous paraît avéré (2). Le désaccord tient à la manière d’apprécier la trajectoire de la France dans l’histoire du monde. Marcel Gauchet juge que notre perte d’influence est irréversible et qu’il s’agit pour le président de la République de “gérer le déclin” – tel aurait été le mérite d’Emmanuel Macron – alors que nous estimons que la France peut retrouver son rang mondial.

Il est vrai que les conditions politiques d’un sursaut français ne sont pas réunies. Dans la conduite des affaires intérieures, Emmanuel Macron n’a pas répondu aux espoirs qu’il avait fait naître. Toujours très attentif aux questions d’éducation, Marcel Gauchet crédite Jean-Michel Blanquer d’un juste diagnostic mais lui reproche des solutions bâclées dont les élèves et les professeurs, enfermés dans l’usine à gaz de la réforme du Bac, paieront le prix.

La politique de l’environnement n’a pas été plus satisfaisante. L’Etat se croit obligé de ruser avec l’écologisme militant, qui n’est pas une religion séculière mais “ce qu’il en reste à l’âge de l’image et de l’émotion”. Les élites françaises, toujours soumises à l’Allemagne et honteuses de l’héritage nucléaire gaullien, sont surtout incapables de sortir de la contradiction qui existe entre l’impératif écologique et les logiques de la mondialisation néolibérale.

Longuement analysée par Marcel Gauchet, la révolte des Gilets jaunes a des causes multiples mais il paraît utile de souligner, à la veille de l’élection présidentielle, que la victoire d’Emmanuel Macron en 2017 avait “achevé, à tort ou à raison, de signaler la prise du pouvoir par une élite surdiplômée, très bien intégrée dans la mondialisation […] ce qui voulait dire consensus des vainqueurs dans l’indifférence au sort des vaincus”. Cette victoire qui semblait ouvrir un espace politique et été perçue, à juste titre, comme “le signe d’un abandon irrévocable de populations laissées pour compte de la marche de l’économie et de la société, hors d’un assistanat humiliant”. La réélection du président sortant sera perçue comme la confirmation de cet abandon effectif et prémédité, hors des slogans de la campagne et des « chèques » distribués pour compenser la baisse du pouvoir d’achat.

Sur la lancinante question migratoire, Marcel Gauchet souligne le rôle des groupes de pression dans l’inertie publique : les associations militantes, qui gèrent les flux à la place de l’Etat, et divers groupes d’entrepreneurs qui maximisent leurs profits grâce à la main-d’œuvre clandestine. La gouvernance macronienne s’est accommodée sans aucune difficulté de cet état de fait – qui n’exaspère que les populations dont elle se désintéresse – de même qu’elle a suivi le mouvement en matière de réformes sociétales sans s’interroger une seconde sur la manière dont les personnalités vont se structurer dans une société où le lien de filiation n’est plus constitutif. Dans le domaine social, la “gouvernance” reste impassible devant des centaines de milliers de manifestants alors qu’en matière sociétale on s’empresse de répondre aux injonctions de minorités activistes. Il est vrai que les enjeux financiers sont considérables dans le premier cas et dérisoires dans le second…

Quant à l’Union européenne, Emmanuel Macron a tenté de sortir d’une impasse ainsi formulée : il y a dans l’élite française “le conflit lancinant entre l’aspiration à se perpétuer comme grande puissance, ce qui suppose une Europe qui devrait être une grande puissance, et le triste constat que non seulement elle ne veut pas être une puissance mais qu’elle nous empêche d’en être une”. En 2017, le nouvel élu a voulu sortir de l’impasse par la refondation de l’Union européenne, afin qu’elle devienne ce que l’élite française voudrait qu’elle soit. Cette refondation prétendait concilier deux visions inconciliables : la “vision touristico-consumériste d’un monde sans frontière » et celle d’un monde classiquement structuré par les rapports de force dans lequel l’Union européenne formerait un bloc capable de résister aux impérialismes américain et chinois. De grands discours et le concept de “souveraineté européenne” ont illustré cette ambition dont l’échec est aujourd’hui patent. La crise sanitaire est venue souligner le caractère bureaucratique de l’Union européenne et le déclassement français qui tient pour partie aux effets destructeurs de l’euro.

L’épreuve de la pandémie est cependant porteuse de fortes leçons : c’est la nation qui est le lieu de la résistance collective, c’est l’Etat qui est l’acteur salutaire et “c’est le politique au sens le plus fondamental du mot qui s’est vu restauré dans sa centralité en faisant exploser les dogmes économico-juridiques qui prétendaient le marginaliser”. C’est l’occasion pour les Français de renouer avec le fil de leur histoire pour affronter et surmonter le déclassement qu’ils ont constaté et subi. La conclusion de Marcel Gauchet est pertinente et roborative. Il faut la faire partager, afin qu’elle devienne salutaire.

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(1) Marcel Gauchet, avec Éric Conan et François Azouvi, Macron, les leçons d’un échec, Comprendre le malheur français, II, Stock, décembre 2021.

(2) l’article d’Yves La Marck, Royaliste, 1231.

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