Emmanuel Macron sait jouer tous les rôles et sa brillante intelligence lui permet d’en jouer plusieurs en même temps. Hélas, le temps dont il est question ne dépasse pas celui de l’entretien accordé à un journaliste et le déluge verbal, en novembre dans Le Grand continent, fin décembre dans L’Express, permet de noyer les contradictions du texte et les faiblesses de l’artiste.
Le jeu qui devrait nous éblouir provoque à chaque fois le malaise. Qui est sur scène ? Un sociologue ? Un roi philosophe ? Un candidat devant son jury, en vue d’une très haute fonction publique ? Quoi qu’il en soit, la prestation est médiocre. Emmanuel Macron assène des vérités rebattues, cultive le poncif assommant et lance des messages subliminaux avec une grâce éléphantesque. Oui, “il faut de la transcendance » dans notre République ! Oui, “à côté de l’idée, il faut une forme sensible” ! Oui, “nous sommes devenus une société victimaire et émotionnelle” dans laquelle “tout le monde parle en permanence mais personne ne débat vraiment”… y compris pendant le Grand débat !
Cette farandole de banalités est accompagnée de formules ciselées au marteau-piqueur qui resserviront l’année prochaine : “nous ne sommes pas un pays qui se réforme (…) mais qui se transforme” ; “si crise de la démocratie il y a, c’est une crise de l’efficacité”. L’ennui gagne, les paupières se plombent quand surgit un commentaire en forme d’aveu : “nous passons plus de temps à expliquer ce qui est impossible plutôt qu’à régler les problèmes concrets ». Comme c’est vrai ! L’oligarchie passe son temps à nous dire que nous n’avons pas le choix : il est impossible de sortir de l’euro, impossible de quitter le commandement intégré de l’Otan, impossible de ne pas rembourser la dette publique, impossible de révoquer la circulaire sur les travailleurs détachés… Et les médias, dont le bavardage relativiste est par ailleurs dénoncé, regardent la prétendue monnaie unique, les décisions bruxelloises, l’alignement sur les Etats-Unis, la soumission à l’Allemagne et le libre-échange comme autant de principes sacrés.
Après une longue introduction bardée de poncifs, cette évocation des “problèmes concrets” nous fait étrangement basculer dans un monde irréel où Emmanuel le Commentateur ne coïncide plus du tout avec un homme-en-fonction qui s’appellerait Macron. Cette plongée dans l’irréalité se fait par le biais d’une remarque bizarre : “l’Etat légal” l’aurait emporté et désormais “ce qui compterait au fond serait de changer les textes, les lois, plus que de changer la vie des Français”. Cette trace de maurrassisme dans la culture d’Emmanuel est d’autant plus curieuse que Macron passe son temps à faire rédiger des lois et des décrets, au mépris de la séparation des pouvoirs. Il faudrait d’ailleurs que cet amateur de concepts nous explique, dans un prochain entretien-fleuve, ce que pourrait être un État débarrassé de sa fonction législative et de sa puissance exécutive, puis ce qu’il en résulterait pour la vie des Français.
Qu’importe ! Passé du côté de la vraie vie, Emmanuel peut envoyer les messages nécessaires à la réélection de Macron.
Un coup de chapeau à Jean-Pierre Chevènement et à la pensée républicaine pour faire plaisir aux souverainistes. Puis un reproche à ceux qui font de la laïcité une religion pour rassurer les communautaristes.
Une profession de foi universaliste en clin d’œil à la vieille France. Puis une adhésion à la thèse du “privilège blanc” qui réjouira les racialistes.
Un éloge du patriotisme et de la souveraineté pour brouter l’herbe de Marine Le Pen, opposante idéale en 2022 comme en 2017. Mais une homélie sur les patriotes européens qui rassurera les centristes.
Les amis de l’ordre seront ravis d’apprendre que Macron condamne la violence – les Gilets jaunes ne s’en sont pas aperçus – et les défenseurs des libertés publiques seront rassurés par les fermes propos présidentiels – qu’on ne retrouve pas dans la loi sur la sécurité globale.
Le clou du spectacle, c’est Emmanuel en larmes sous le regard de Macron. A Bagnères-de-Bigorre, le jeune Emmanuel a vu les usines fermer et les gens perdre leur emploi, il a “appris ce qu’est le déclassement”. Ce souvenir est tellement obsédant qu’il en oublie qu’un certain Macron n’a pas travaillé aux Restaurants du Cœur mais dans la banque avant de devenir conseiller de François Hollande, ministre et président. L’abandon de Florange, le bradage d’Alstom, la loi El Khomri, les ordonnances antisociales de 2017, la loi sur l’assurance-chômage et le projet régressif sur les retraites n’ont-ils pas été acceptés ou ordonnés par celui qui, aujourd’hui, pleure sur le sort des précarisés, des appauvris, des déclassés ? Nous aurons sans doute rêvé puisque Emmanuel dénonce “l’esprit de capitulation” et fustige le “défaitisme” des élites qui ont formé, soutenu et porté au pouvoir celui qui fulmine dans les colonnes de L’Express.
Il importe peu qu’Emmanuel Macron ait pleine conscience, ou non, de ce cynisme radical. Le fait est qu’il prend les Français pour des imbéciles, incapables de percer à jour un jeu de séduction mais fascinés par l’étalage d’une superpuissance intellectuelle. En cela aussi il se trompe : les peuples ne supportent pas éternellement d’être humiliés. Un jour ou l’autre, ils se vengent.
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Editorial du numéro 1202 de « Royaliste » – Janvier 2021
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