Il a fallu que passe le temps des obsèques pour que je puisse rendre hommage à Patrice, faute d’avoir eu la force de parler au cours de la cérémonie religieuse.
Dans les dernières semaines de sa vie, quand nous avons admis la certitude d’une mort à très court terme, j’ai protesté en moi-même et devant nos amis contre les hasards de la biologie, d’autant plus inacceptables que Patrice était un modèle de tempérance dont témoignait un corps que l’âge n’avait pas alourdi.
Cette sveltesse me disait que Patrice était resté le jeune homme que j’avais connu étudiant et qui fut mon compagnon de travail lorsque Jacques Beaume, l’un des fondateurs de notre mouvement, organisa un cercle de réflexion pour remettre les pendules à l’heure après les exaltations quelque peu aventureuses des lendemains de Mai 1968. Je découvris alors que nous avions en Patrice un économiste averti, élève de René Passet et lecteur de François Perroux. Ce dernier était très proche de la NAR et nous n’avons jamais publié d’article de fond sur les questions économiques sans consulter l’éminent professeur, qui s’exprimait régulièrement dans les colonnes de Royaliste.
Quand la NAR se prononça sur le Programme commun avant 1981 puis sur le funeste tournant de la rigueur, notre communauté de vues était déjà solidement établie. Elle s’est ensuite renforcée au fil des combats et des épreuves. Lorsque François Gerlotto développa dans nos colonnes puis dans un livre sa réflexion sur l’écologie, Patrice apporta de remarquables contributions à notre réflexion collective lors de nos congrès et d’une mémorable journée de travail à Bordeaux en présence du comte de Paris.
Loin de s’enfermer dans une ou deux spécialités, Patrice a très vite joué un rôle important dans les orientations de notre mouvement. En 1984, lors de la vive discussion sur la motion présentée par le Comité directeur sur l’immigration, Patrice avait défendu la ligne que nous soumettions au Congrès et qui nous a permis ensuite de développer nos analyses et nos propositions sur un sujet qui devenait furieusement polémique dans le pays. Il fit preuve de la même rigueur intellectuelle tout au long du débat préparatoire à notre prise de position sur le traité de Maastricht et lorsqu’il assura la présidence de nos Congrès.
Après avoir travaillé pour la NAR comme imprimeur et comme journaliste – ses chroniques cinématographiques témoignaient d’un goût très sûr – Patrice exerça ses multiples talents dans le milieu syndical et nous fit bénéficier de son expérience. Lors des grands conflits sociaux qui ont marqué notre pays depuis 1995, les articles qu’il signait Nicolas Palumbo furent parmi les mieux informés et les plus pertinents de toute la presse française. Sur son lit d’hôpital, il continuait de rédiger ou d’inspirer la chronique sociale publiée dans Royaliste et, à la suite d’une longue conversation sur la question salariale le 23 mai, il me demanda de rédiger pour lui ce qui devait être son dernier article, publiée après sa relecture.
Élu au Comité directeur de la NAR en 1986, Patrice en était devenu le président en 2014. Pour nous tous, il était clair qu’il prendrait la succession d’Yvan Aumont et la mienne le jour venu. Nous l’avons vu affirmer très vite son autorité politique sans négliger les humbles tâches administratives dont dépend notre existence collective. Il remplissait aussi d’autres fonctions, discrètes et capitales, dont ses camarades témoigneront un jour.
Le 7 juin, à l’hôpital Saint-Antoine, je ne voulais pas penser que ma visite serait la dernière. Le visage de Patrice était celui de la sérénité et j’espérais d’autant plus une ultime conversation que mon président ne me faisait pas de recommandations. Nous avons évoqué le cours de nos affaires comme nous le faisions depuis tant d’années. J’avais demandé à Patrice de me donner son accord pour la publication sur mon blog de souvenirs de jeunesse et il avait insisté pour que je publie ensuite un article sur la nostalgie, à nos yeux trompeuse, des années soixante. Passionné par la conférence donnée par Daniel Bachet et Gilles Ringenbach aux Mercredis de la NAR sur l’entreprise, il voulait que nous poursuivions la discussion amorcée avec nos deux invités. J’ai évoqué l’organisation d’une visioconférence à laquelle il pourrait participer depuis sa chambre. La mort est venue trop vite.
Pendant ces cinquante années de vie militante, il n’y a pas eu d’ombre entre Patrice et moi. Bien d’autres amis garderont dans le cœur le même souvenir, infiniment chaleureux, d’un compagnon qui donnait en souriant l’exemple d’une vie accomplie dans la pleine cohérence des fidélités initiales, des principes lucidement affirmés et des engagements dans le siècle. Avec Patrice, nous avons vécu dans la fraternité.
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