La France a perdu, le 9 mars, l’un de ses plus grands architectes et un fervent militant politique. Roland Castro voulait inscrire la civilisation urbaine dans une perspective régalienne et démocratique.
Notre rencontre s’est faite sous l’égide de François Mitterrand. C’était à Toulouse en 1988, après la dernière réunion de la campagne du premier tour. Tout de suite, Roland m’a dit qu’il était, grâce à Jacques Lacan, attentif au pouvoir symbolique. Je savais que ce n’était pas une politesse.
Communiste dans sa jeunesse, exclu du Parti en 1965 et fondateur du mouvement Vive La Révolution après Mai 1968, cet ancien mao-spontex avait gardé l’enthousiasme et la générosité de ses premiers engagements mais avec une réflexion profondément renouvelée.
Grâce au soutien de François Mitterrand, Roland avait lancé en 1983 la mission Banlieues 89 avec Michel Cantal-Dupart, Jean-Paul Dollé, Jean-Pierre Le Dantec, Hélène Bleskine… Il s’agissait, déjà, d’éviter la ségrégation urbaine en transformant les banlieues pour qu’elles deviennent des villes. En décembre 1990, Royaliste avait longuement rendu compte des Assises de Banlieues 89 auxquelles nous avions assisté. Au président de la République, Roland avait lancé que la France souffrait d’un “déficit d’émotion : nous ne connaissons plus que les mots de l’économie pour dire l’essentiel : la vie des citoyens, leur souffrance et leur joie”.
Roland ne fut pas écouté. Victime de basses manœuvres, Banlieues 89 disparut et son équipe accueillit avec une fureur justifiée la nomination de Bernard Tapie comme ministre de la Ville. Roland continua de construire et publia plusieurs livres majeurs qu’il présenta aux Mercredis de la NAR et dont nous discutions quand j’allais le voir à son atelier d’urbanisme. Nous avons soutenu son projet du Grand Paris et participé côte-à-côte à maintes manifestations. Je le revois, place de la République, portant à nouveau les couleurs du Parti communiste, lors d’une manifestation contre les bombardements de l’Otan sur la République de Yougoslavie et nous avions essayé de l’aider lorsque, en 2007, il tenta une candidature à la présidentielle…
Adversaire des grands ensembles et de l’urbanisme conceptualisé par Le Corbusier – séparation des lieux de travail, de loisir, d’habitation, de circulation – Roland montrait comment relier la construction et l’urbanisme, mélanger à nouveau les activités, développer la citoyenneté sans nier la nécessité de la décision. “Il faut, nous disait-il, du régalien dans le démocratique”. C’est à cette condition qu’il est possible d’intégrer “- intégration de la mémoire historique à la mémoire présente ; du réel et du symbolique ; des projets sociaux et des nécessités économiques ; intégration des vœux des citoyens aux travaux de réhabilitation”, écrivions-nous.
Ceux qui auront à refaire une politique de la Ville prendront les livres de Roland Castro pour référence. Nous veillerons, cher Roland, à ce que nul ne les oublie.
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(1) Roland Castro, Sophie Denissof, [Re] Modeler, Métamorphoser, Le Moniteur, 2005.
Article publié dans le numéro 1253 de « Royaliste » – 23 mars 2023
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