Disons-le sans prétention aucune, mais comme un simple constat que nous avons plaisir à dresser : ce que nous souhaitions depuis des années, ce que nous avons vivement réclamé en attendant 1a décision présidentielle est aujourd’hui clairement affirmé et a de bonnes chances de se réaliser. Il fallait d’abord que le président de la République, malgré son envie contraire, décide de se représenter, afin de poursuivre l’œuvre engagée depuis sept ans. Ce qui fut fait en temps voulu, selon l’esprit de rassemblement sans lequel cette nouvelle candidature n’aurait pas de sens. Sans doute, les commentateurs ont-ils retenu, dans la décision annoncée sur Antenne 2, les répliques et les mises au point d’un président provoqué et agressé depuis plusieurs semaines et qui craint de voir l’Etat accaparé par un clan. On sait que l’opinion publique a, au contraire, regardé François Mitterrand comme un homme libre à l’égard du Parti socialiste – sans qu’il ait à renier ses amitiés et ses fidélités. Selon la logique des institutions, il y a eu une prise de distance naturelle et nécessaire, dont nous ne saurions trop nous féliciter.

PRINCIPES

Bien sûr, on peut toujours réduire la portée des intentions présidentielles en invoquant son habileté manœuvrière, comme le font certains Machiavels de canton qui se rassurent à bon compte, ou tel éditorialiste réputé décrivant la campagne électorale comme une partie d’échecs. C’est faire peu de cas du débat intime qui a précédé la décision du président, et des fortes convictions qui ont finalement déterminé son choix. Face aux menaces d’un retour en arrière – soit la mainmise du RPR sur l’Etat, soit la confusion barriste – personne d’autre que François Mitterrand ne peut, aujourd’hui, à la fois préserver l’essentiel de nos institutions et veiller à ce qu’elles évoluent vers un équilibre conforme à leur esprit.

Là encore, la volonté exprimée par le président de la République rejoint nos soucis. D’abord parce qu’il affirme qu’il n’y a pas d’Etat sans autorité (c’est-à-dire comme lieu où s’affirme le sens du projet commun} et sans arbitrage. Ensuite parce qu’il souhaite un meilleur équilibre entre la fonction présidentielle, qu’il a libérée de ses charges excessives, et la fonction gouvernementale qui s’est affirmée avant comme pendant la période de cohabitation – qui laissera une trace profonde puisque chacun des pouvoirs voudra désormais « exercer sa pleine compétence » (1). Enfin parce que, rejoignant sur ce point notamment le comte de Paris, le président de la République veut développer la démocratie en élargissant le champ du référendum (2).

En accord avec les principes posés par le président de la République, nous ne pouvons manquer de nous réjouir de ses refus, qu’il s’agisse d’un retour à la IVème République sous la forme d’un « président-soliveau », d’un régime présidentiel à l’américaine dont l’histoire a montré les conséquences désastreuses, ou du projet de quinquennat contre lequel nous avons lutté et dont François Mitterrand ne prendra pas l’initiative comme il l’a clairement indiqué (3).

MISE EN ŒUVRE

Mais la vie politique, telle qu’elle se déroulerait en cas de réélection ? Contre les dirigeants du Parti socialiste qui voulaient une dissolution automatique et entretenaient la confusion entre la réélection de François Mitterrand et le retour d’une gauche hégémonique au pouvoir, nous avons dénoncé le principe même d’élections législatives délibérément provoquées et souhaité une « nouvelle donne » politique. De fait, dès sa déclaration de candidature, le président de la République a rejeté l’idée de dissolution automatique et annoncé qu’il choisirait le Premier ministre immédiatement et en toute indépendance à l’égard des partis : « cela peut parfaitement être un homme qui n’ait pas d’appartenance politique (…) et qui réunira naturellement des hommes et des femmes conformes à mes options … » (4).

Comme la campagne de François Mitterrand est fondée sur le principe du rassemblement, comme le nouveau Premier ministre incarnera la majorité présidentielle, comme nul ne saurait être exclu de cette majorité, il est clair que la réélection de François Mitterrand permettrait la constitution de ce gouvernement de type nouveau que nous appelons de nos vœux. Des socialistes en feraient évidemment partie, mais aussi des représentants d’autres formations et d’autres traditions politiques, qu’un Premier ministre libre de toute allégeance partisane pourrait rassembler sans trop de difficultés.

Il ne m’appartient pas d’indiquer quelle pourrait être la composition de ce futur gouvernement qui dépendra en partie du plus ou moins grand nombre de voix obtenues par François Mitterrand au second tour. Mais on devine sans peine que le nouveau Premier ministre, dont le nom est déjà sur beaucoup de lèvres, favorisera la nouvelle donne politique que nous souhaitons. Celle-ci aurait de fortes chances d’entraîner la fin de certaines alliances paradoxales, par exemple entre les démocrates-chrétiens et les intégristes du libéralisme économique, et de situer le débat et les enjeux politiques au-delà du classique affrontement entre la droite et la gauche. Dès lors, il serait possible d’envisager un retour des grandes familles politiques de notre pays – gaulliste, démocrate-chrétienne, socialiste aussi – à leur tradition originelle qu’elles pourraient enfin repenser à la lumière des exigences de la société française d’aujourd’hui.

Il ne fait plus aucun doute que la réélection de François Mitterrand provoquerait, directement ou non, une vaste recomposition politique, qui ne devrait rien aux combines d’états-majors puisqu’elle s’inscrirait dans le projet que le président de la République vient de présenter aux Français. Les conceptions institutionnelles du président et la transformation politique qu’il permettrait donnent aux royalistes deux raisons majeures de vouloir sa réélection. Le souci de justice et de liberté qu’il affirme ne peut que les conforter dans ce choix.

***

(1)    et (2) cf. l’entretien accordé par F. Mitterrand à la revue « Pouvoirs ».

(3) et (4) « Europe I », le 25 mars.

Editorial du numéro 491 de « Royaliste » – 14 avril 1988

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