Le peuple américain souffre de maux divers et profonds. Française installée aux Etats-Unis, Géraldine Smith les répertorie avec précision et talent. Ce qu’elle a vu en Amérique (1) touchera bientôt la France ou la touche déjà.

 De très nombreux Français ont partagé le rêve américain, certains par attrait plus ou moins fasciné pour la puissance étatsunienne, d’autres, les plus nombreux, parce qu’ils voyaient s’y réaliser toutes les promesses du monde moderne – en faisant l’impasse sur les archaïsmes et la violence de la société américaine.

Il est vrai que l’Amérique de la Silicon Valley continue de dessiner notre avenir (2) et que les locataires de la Maison Blanche expriment sous diverses formes la même volonté de puissance – mais ce n’est plus le pays chanté par Johnny Halliday. Le peuple américain est gravement malade et les divers maux qui l’affectent sont issus des « valeurs » individualistes et capitalistes qu’il a ardemment cultivées. Ce peuple est entré dans la « société des individus » qui « pose comme sa norme constitutive de société qu’elle est composée exclusivement d’individus, qu’il n’existe en son sein que des individus de droit qui ont à être traités comme tels et établis pour tels partout où il en est besoin, mais qui ont aussi à se comporter comme tels » comme l’explique Marcel Gauchet dans « Le nouveau monde » (3).  Cette nouvelle norme provoque une « révolution de l’identité » en opérant une confusion entre l’être psychologique et l’être de droit.

Géraldine Smith décrit avec justesse et sympathie – au sens premier du terme – une société américaine où chacun est tenté par la sécession et paniqué à l’idée de ne pas être reconnu, une société de la guerre de tous contre tous où chacun a peur de l’autre – et peur de tout.

Dans un pays où la race est une construction sociale – hors de toute définition biologique – et résulte d’une déclaration personnelle, il n’y a plus seulement des Noirs et des Blancs mais des afro-américains qui veulent être différenciés de même que les Asiatiques. Un métis à la peau blanche peut se définir comme Noir et intégrer une catégorie opprimée ; un Français peut être distingué du Blanc… Plus étrange : il est de plus en plus admis que pour constituer une communauté « inclusive » il faut que chaque groupe racial puisse vivre à part, dans des « lieux sûrs ». La même volonté de se retrouver dans des safe spaces émane des groupes sexuels (LGTBQ+) qui revendiquent des toilettes particulières. Chacun s’enferme pour se protéger et édicte des normes contre les agressions supposées des autres : un Blanc ne doit pas se grimer en Noir ; un maigre ne doit pas écrire de roman sur un obèse ; une femme blanche ne doit pas raconter la lutte pour les droits civiques car c’est de « l’appropriation culturelle ». La censure extra-légale prolifère et les membres des groupes dominants doivent s’y plier.

Dans la libre Amérique, c’est la peur qui s’est installée. On sait que les Noirs ont peur de la police, qui a la gâchette facile, mais tous les groupes et sous-groupes sont taraudés par la peur. Peur des germes et phobies de toutes sortes qui frappent 19 millions de personnes, peur des violeurs et des pédophiles – des sites signalent les agresseurs sexuels qui vivent dans votre quartier – , peur de perdre son emploi, peur de l’enfant qu’on n’ose pas gronder et peur qu’il rate ses études, peur de la maladie car la protection sociale est réduite au minimum pour de nombreux travailleurs… et peur de ne pas paraître « cool » en toutes circonstances.

Pour apaiser les peurs, les angoisses, les détresses matérielles et morales, les paniques culturelles, on boit pour tomber raide (binge drinking), on se drogue à l’herbe ou à la coke et on utilise massivement toutes les ressources de la pharmacopée : anxiolytiques, médicaments codéinés, psychostimulants comme la Ritaline qu’on donne aux enfants inattentifs. Plus de six millions d’enfants ont ou auraient des troubles de l’attention ! L’industrie pharmaceutique, les psychothérapeutes et les médecins qui prescrivent à tout-va, font quant à eux d’excellentes affaires. La « prison sans barreaux » de la société des individus, c’est aussi la camisole chimique.

A la fin de chaque chapitre, Géraldine Smith signale les progrès de l’américanisation de nos mœurs : le communautarisme des « racialisés », l’ultra-féminisme, l’intersectionnalité des luttes, les manières de manger, de s’habiller, de se saouler, de travailler dans la précarité et au-delà de l’âge de la retraite… Le mal s’étend, les résistances sont faibles.

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(1) Géraldine Smith, Vu en Amérique, Bientôt en France, Stock, 2018.

(2) Cf. B. Renouvin : « L’utopie totalitaire de la Silicon Valley », « Royaliste » n° 1139, février 2018

(3) Gallimard, 2017.

 

 

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