Euroclear : Panique en Belgique – par Yves La Marck

Juin 20, 2024 | Billet invité

 

Il n’y a rien de clair dans le montage financier proposé par le président Biden au sommet du G 7 le 13 juin pour financer l’Ukraine à partir des intérêts produits par les fonds russes placés en Europe et gelés depuis 2022. La principale victime de ce soudain coup de projecteur risque d’être la place financière européenne, et singulièrement française et belge, qui avait su profiter d’une quasi-totale discrétion au cours de ces vingt dernières années pour s’imposer comme intermédiaire sûr sur les marchés des titres centraux internationaux. Euroclear, basé à Bruxelles, est le nom d’un des deux établissements de dépôts de ces titres (DICT en français, ICSD en anglais), l’autre étant le mieux connu Clearstream au Luxembourg. Tandis que ce dernier était devenu en 2002 la propriété à cent pour cent de la Bourse allemande, le premier avait réussi à nouer des accords avec les bourses de New York et de Londres et à regrouper un puissant actionnariat où la Caisse des dépôts et Consignations a fait son entrée en 2022 à hauteur de 5,42%. L’établissement gère 2400 clients institutionnels pour un montant de 38 000 milliards d’euros d’actifs (multiplié par six depuis 2001). Parmi lesquels la Banque centrale de Russie pour un montant estimé à 200 milliards d’€.

Ces actifs ne sont pas des dépôts monétaires mais des titres, dont des obligations d’Etat, bons du Trésor, y compris de la dette publique française.  En mars 2022, les transactions avec Moscou furent stoppées. Euroclear s’occupe d’encaisser les coupons sans plus les transférer. Ce n’est pourtant qu’en février 2024 que le Conseil européen ordonne à Euroclear de mettre de côté, donc de ne pas inclure dans son bilan, ces intérêts estimés à environ 3 milliards avant de décider le 21 mai 2024 de les déléguer à la Facilité européenne pour la Paix qui finance l’effort de guerre de l’Ukraine. Le Conseil européen avait fini, grâce à l’abstention hongroise, par adopter un plan de 50 milliards d’euros d’aide dont 33 sous forme de prêts dont l’UE se rembourserait par les fameux intérêts qui de toute façon sont versés en partie par les Etats membres au titre de leur dette, dans la mesure où celle-ci est financée par la Russie.

Or, parallèlement, le Trésor américain, devant l’impasse créée par le refus de la Chambre des Représentants d’autoriser les 60 milliards de $ d’aide à l’Ukraine (ce qu’elle a fini par voter en avril), avait imaginé un autre stratagème qui était de lever un emprunt de 50 milliards de $ (46 milliards d’€) également remboursé par les mêmes intérêts alors qu’à peine 5% de ces fonds russes sont hébergés en Amérique.

L’accord trouvé à Paris entre Biden et Macron puis validé au G 7 italien va placer Euroclear au centre du jeu puisqu’il revient à la technique financière de donner corps à autant d’approximations politiques. Le Premier ministre belge, Alexander de Croo, avait effectué une visite éclair à Washington le 31 mai pour tirer la sonnette d’alarme, comme le rapporte le quotidien belge Le Soir : « Si le G 7 se met d’accord et si les aspects techniques sont bons, nous serons l’exécuteur de cela. On veut une solution juridiquement stable. »

EuroClear, qui se prévaut d’« assurer la sécurité et la bonne exécution des échanges sur les marchés », se serait bien passé de cette publicité. Dans sa tour postmoderne de seize étages à Saint-Josse, commune bruxelloise, Tour Baudouin dite Tour Euroclear, 1 boulevard du roi Albert II, on redoute les conséquences.

Un fort lobbying aux Etats-Unis, à haut niveau, avait imaginé que l’on pourrait même confisquer purement et simplement les avoirs russes quels qu’ils soient. Ce qui allait à l’encontre du principe d’immunité d’exécution internationalement reconnu et bien entendu du droit de propriété. Techniquement il aurait fallu trouver un acheteur puisqu’il ne s’agit pas d’espèces mais de titres côtés. Il aura fallu au moins un an pour convaincre les autorités responsables de n’en rien faire. Euroclear pouvait souffler. Le pire était à venir avec cette prétention de mettre la main sur les intérêts du capital.

Le banquier se demande légitimement quelle sera la durée du gel des fonds. Si dans un an ou dans dix ans, les sanctions étaient levées, les intérêts reviendront aux propriétaires. A raison de trois milliards par an, il faudrait une vingtaine d’années pour solder le prêt garanti. En cas de remboursement avant l’échéance, qui contribuera sinon le contribuable européen, et d’abord belge ? Les ministres des Finances du G 7 avaient trouvé la parade en arrêtant que « les actifs resteront immobilisés jusqu’à ce que la Russie paie pour les dommages qu’elle a causés à l’Ukraine ». Une nouvelle version des réparations dont on espère sans y croire qu’elle connaîtra un sort meilleur que les réparations allemandes après la Première Guerre mondiale : « la Russie paiera ! » comme on disait « l’Allemagne paiera !»

La Banque mondiale avait chiffré l’an dernier le coût de la reconstruction à 500 milliards de $. Les propositions de prêt discutées au G 7 iraient pour 90% au financement de la guerre et pour 10% seulement à la reconstruction, soit pas plus de 500 millions !

L’hebdomadaire britannique The Economist indique que le budget ukrainien 2024 s’élève à 87 milliards de $ dont 46 sont couverts par les recettes fiscales. Près de la moitié du budget va à la défense. L’aide internationale est donc appelée à concurrence de plus de 40 milliards par an. La solution présentée au G 7 ne vaudrait que pour une seule année. Comment les Etats-Unis et l’Union européenne renouvelleraient-ils chaque année des montages aussi complexes après avoir épuisé les possibilités d’emprunt liées aux intérêts des fonds russes bloqués ?

« La Belgique veille au grain » titrait Le Soir. De Croo, sévèrement battu aux élections fédérales du 9 juin, est démissionnaire. Une nouvelle directrice générale (CEO) vient juste d’être confirmée par le Conseil d’administration de Euroclear, le 3 mai 2024, une Belge issue du sérail, Valérie Urbain, qui succède à une autre Belge, Lieve Mostrey en poste depuis 2017. L’Etat fédéral belge perçoit des taxes sur les intérêts d’Euroclear et est même entré au capital de l’établissement. C’est dire que Bruxelles – Etat est en première ligne. Moscou n’hésitera pas à user de tous les moyens, y compris légaux et judiciaires, pour empêcher cette opération. La Tour Baudouin, Tour Euroclear, n’a pas fini de trembler.

Yves LA MARCK

 

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