Dans l’Union européenne comme aux Etats-Unis, les récentes consultations électorales confirment la radicalité de l’affrontement entre ceux qui profitent de la mondialisation ultralibérale et ceux qui en subissent les effets.

Longtemps, très longtemps, les cartes électorales ont traduit en diverses couleurs l’opposition structurelle entre la droite et la gauche, masquant les divergences et les oppositions qui existaient dans chacun des deux camps. Spécialiste des études d’opinion, Jérôme Fourquet met en évidence le nouveau clivage qui a résulté du référendum britannique, des élections présidentielles aux Etats-Unis et en Autriche, de l’élection présidentielle de 2017 en France.

Bien entendu, il faut se garder de tout schématisme. Les pays étudiés gardent leurs traits spécifiques tout particulièrement les Etats-Unis où le vote ethnique a un impact considérable et où la peur du « grand remplacement » de la majorité blanche par les minorités noires et latino n’est pas un fantasme. La France, où le vote ethnoculturel est limité à quelques villes et départements, connaît quant à elle des spécificités régionales – en Corse, en Nouvelle-Calédonie – qu’on aurait tort de négliger.

La prise en compte de ces spécificités n’interdit pas de relever des analogies frappantes dans les comportements électoraux observés ces deux dernières années de part et d’autre de l’Atlantique. Le nouveau clivage est la somme de plusieurs fractionnements qui se sont opérés sur un même territoire. Jérôme Fourquet observe des fractures éducatives, sociales et territoriales qui engendrent une opposition de plus en plus nette entre le groupe dominant minoritaire, bénéficiant d’un bon niveau d’éducation, résidant dans des grandes villes, dans des communes privilégiées ou à l’étranger, occupant des postes d’encadrement ou de direction et le groupe majoritaire des dominés, peu ou pas diplômé, relégué sur des territoires désindustrialisés, au chômage ou astreint à des tâches d’exécution et directement confronté à des populations immigrées.

Les citoyens défavorisés, humiliés, relégués dans la France périphérique et en proie à l’insécurité culturelle ont de moins en moins tendance à épouser les projets du milieu dirigeant et à se plier à ses injonctions. Les partis politiques de l’establishment et les médias continuent de dénoncer le populisme, le danger nationaliste et protectionniste, la grossièreté des tribuns de la plèbe mais ils n’ont pas été écoutés en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis, en Autriche et depuis peu en Italie.

En Grande-Bretagne, ce sont les anciennes régions minières anglaises et galloises, les zones périphériques, les quartiers défavorisés des métropoles, les populations sédentaires et peu diplômées qui ont voté en faveur du Brexit. Aux Etats-Unis, les Etats industriels victimes de la mondialisation et le bassin charbonnier des Appalaches se sont ralliés à Donald Trump, qui a également bénéficié, comme les partisans du Brexit, du vote des victimes de la crise de 2008. Le sentiment d’avoir été abandonné ou trahi par la caste dirigeante est l’une des causes du vote populiste. Un sentiment d’autant plus fort que certains candidats – Hillary Clinton, Emmanuel Macron – ne cachent pas leur mépris pour les gens d’en bas.

La France connaît la même fracture et le même type d’affrontement. La droite et la gauche classiques ayant été écartées, le deuxième tour de la présidentielle a vu s’affronter le candidat de la France d’en haut et la candidate de la France d’en bas. Emmanuel Macron fut et demeure le représentant de la France des nomades, des gagnants, des quartiers riches des grandes métropoles, des communes touristiques et des terres viticoles. Marine Le Pen a bénéficié du vote ouvrier, du soutien des victimes du déclassement, des sédentaires assignés aux zones désindustrialisées et aux territoires ruraux à l’abandon. Aux Etats-Unis comme en France, la thématique anti-immigration répond au sentiment très réel d’insécurité culturelle et concentre sur un point précis un désir beaucoup plus large de défense de la nation, qu’il s’agisse de l’économie ou du rang de la France. Le mouvement lepéniste n’a jamais su formuler un projet cohérent de reconquête de la souveraineté mais cela ne l’a pas empêché de capter une grande partie du sentiment patriotique sacrifié par les socialistes et les diverses variantes de la droite sur les autels de « l’Europe » et de la mondialisation. L’égoïsme de caste des oligarques de toutes tendances a produit le clivage entre mondialisme européiste et national-populisme qui gagne peu à peu les pays membres de l’Union européenne.

Jusqu’en 2016, les oligarques pensaient qu’ils arriveraient toujours à vaincre les populistes en jouant sur la peur de l’aventure. Ce pari est de plus en plus souvent perdu et la victoire d’Emmanuel Macron semble bien avoir été obtenue à contre-courant. Sa base électorale est faible et tend à se réduire alors que sa politique n’est pas destinée à résoudre les problèmes de désindustrialisation, de déclassement, de fracture territoriale et d’immigration. La division de ses adversaires est son seul atout. Un tout petit atout à l’heure où l’Union européenne se disloque et où les politiques commencent à redevenir nationales.

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(1) Jérôme Fourquet, Le nouveau clivage, Le Cerf, 2018.

Article publié dans le numéro 1148 de « Royaliste » – 2018

 

 

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