Il ne s’agit pas d’une procédure judiciaire mais de l’exécution publique d’un homme politique. La cible est blessée, les diverses meutes prennent leur temps, en soignant leurs effets et leurs intérêts. Devant une opinion indifférente ou hostile, la mise à mort est inévitable.

Il y a des signes qui ne trompent pas. Au soir du 23 décembre, l’agressivité dont faisaient preuve Apolline de Malherbe et Benjamin Duhamel à l’encontre de François Bayrou signifiait que l’élite médiatique avait baissé le pouce avant même l’entrée du gouvernement dans le cirque parlementaire. Serviles devant les puissants, impitoyables avec les faibles, leurs collègues suivront, si ce n’est déjà fait.

Il est vrai que François Bayrou s’est précipité dans le piège avec un manque de lucidité qui étonne chez ce politicien roué. Il a même, dit-on, forcé Emmanuel Macron à l’envoyer à Matignon. Centriste compulsif et auto-administré, le maire de Pau a pensé qu’il pourrait réaliser un très vieux rêve : réunir des personnalités de centre-droit et de centre-gauche dans un gouvernement d’union nationale. A la différence de Michel Barnier, il a donc recherché des “poids lourds” au fil de réunions avec des chefs de partis qui n’incluaient pas La France insoumise et dont le Rassemblement national avait été exclu d’entrée de jeu.

Or François Bayrou a négligé deux facteurs qui ont fait échouer sa démarche. Le premier tient à la nature même du projet centriste, qui ne porte pas sur un accord politique national mais sur les équilibres internes d’une oligarchie acquise au néolibéralisme. D’où le rejet immédiat du nouveau Premier ministre par l’opinion publique et l’attitude méprisante de la haute caste médiatique, qui ne veut pas voir qu’elle fait l’objet du même mépris.

Le second facteur d’échec résulte d’une cécité tactique. François Bayrou se souvient que les socialistes et les écologistes ont activement participé à la formation puis à la consolidation du bloc oligarchique. Il pressent ou parfois constate que ces modérés ont hâte de revenir au bercail. Cette nostalgie des ministères est hautement probable mais elle s’efface devant la simple arithmétique : si le Parti socialiste rompt avec La France insoumise, il perdra les deux tiers de ses sièges à l’Assemblée. Une alliance sous contrainte est plus solide qu’un accord fondé sur des sympathies et le beau rêve de pacte oligarchique déguisé en “union nationale” s’est brisé sur le mur des réalités électorales.

Il a donc fallu que François Bayrou sauve la face. Faute de socialistes et d’écologistes encartés, il s’est rabattu sur des personnalités issues de la gauche. Promu ministre de l’aménagement des territoires, François Rebsamen ne fait pas un “poids lourd” de gauche bien convainquant puisque l’ancien maire de Dijon avait appelé à voter pour Emmanuel Macron en 2017. Récupéré dans de sinistres décombres, Manuel Valls n’est pas seulement l’heureux époux d’une milliardaire espagnole ; champion national des reniements en cascade, l’ancien candidat à la mairie de Barcelone a inventé le mercenariat politique de haut vol. Il peut compter sur la haine vigilante de ses anciens camarades.

Le résultat de ces manœuvres, c’est une gouvernance de la droite oligarchique, dans laquelle les macroniens sont majoritaires au grand dam des Républicains, qui conservent cependant le ministère de l’Intérieur. A Bercy, on a mis Éric Lombard, ancien banquier nommé à la Caisse des dépôts par Emmanuel Macron, avec l’idée que le discret personnage pourrait rassurer les marchés financiers. La distribution des autres postes a moins d’intérêt que la dynamique des conflits engendrée par ces dix jours de tractations.

Encore une fois, il ne s’agit ni de principes, ni de projets, mais de la course à l’Elysée qui agite et fragilise ce qu’on appelle le “bloc central”. Deux candidats siègent à l’Assemblée nationale : Gabriel Attal et Laurent Wauquiez. Edouard Philippe se prépare dans sa mairie du Havre. Ces trois-là ont tout intérêt à savonner la planche des présidentiables latents qui sont au gouvernement : Gérald Darmanin à la Justice, Bruno Retailleau à l’Intérieur. N’oublions pas que François Bayrou s’est toujours cru appelé à un destin élyséen. S’il échoue à Matignon, il sera éliminé du jeu. S’il paraît y réussir, ses rivaux se coaliseront pour l’éliminer. Nous ne sommes pas dans une tragédie de Shakespeare mais dans une rixe de coupe-jarrets. Elle peut se doubler, en coulisses, d’affrontements entre François Bayrou et un Emmanuel Macron qui voudra montrer qu’il reste dans le jeu. Pendant la période des fêtes, on aura peut-être remarqué que l’Elysée a soudain annoncé la création d’un haut-commissariat à l’Enfance. Comme il existe déjà un Observatoire national de protection de l’Enfance, ce doublon est à l’évidence un outil de la communication présidentielle, qui va inutilement absorber des crédits qui manqueront ailleurs.

Pris au piège de la rivalité mimétique, les présidentiables continueront de s’agiter sous le regard de Marine Le Pen. C’est elle qui décidera de la durée du sursis et du moment de l’exécution. Pendant l’hiver, elle peut démontrer que le Rassemblement national est un facteur de stabilité. Mais comment le Rassemblement national pourrait-il éviter, le printemps venu, de censurer la gouvernance Bayrou, lorsque sera présenté un budget d’austérité ?

En attendant le couperet, les principaux ministres vont multiplier les effets d’annonce, en évitant d’indiquer le montant des dépenses supplémentaires impliqués par les nouvelles promesses. Il s’agira, une fois de plus, de gagner du temps – mais l’oligarchie ne semble pas s’apercevoir que le temps est de plus en plus parcimonieusement compté. On faisait naguère des projets pour un quinquennat. Aujourd’hui, les optimistes font leurs calculs sur quelques mois, les pessimistes sur quelques semaines.

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Article publié dans le numéro 1291 de « Royaliste » – 29 décembre 2024

 

 

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