Traité de tous les noms d’oiseaux réactionnaires, le vainqueur des primaires suscite de nombreux ralliements. Mais à quoi ?
On peut toujours compter sur la gauche mondaine pour se tromper sur l’adversaire. Ainsi Pierre Bergé, Libération et toute la gauche « sociétale » qui ont violemment dénoncé François Fillon comme un intégriste catholique préparant le retour de Vichy. Curieuse gauche, comme le remarque Laurent Bouvet, qui pleure Fidel Castro le samedi et va voter Juppé le dimanche…
François Fillon n’est pas réactionnaire : il est dans la modernité sans que celle-ci le fascine mais sans qu’il veuille restaurer le passé ou du moins une certaine image nostalgique de celui-ci. De bons observateurs le décrivent comme un conservateur libéral ou comme un libéral gaulliste. Pourtant, la logique du marché dynamite les sociétés. Pourtant, le gaullisme fut principalement et heureusement un dirigisme. Le débat est ouvert sur un éventuel « fillonnisme » mais je crains qu’on aille trop vite dans les définitions, au vu d’un programme conçu pour la primaire. François Fillon le maintiendra-t-il intégralement lorsque la bataille s’engagera et que dira-t-il pour le second tour ? Nous n’en savons rien mais nous nous souvenons de la tonalité gaullienne des discours de Nicolas Sarkozy en 2007 et de François Hollande déclarant la guerre à la Finance en 2012.
Pour le moment, François Fillon n’est qu’un habile candidat qui a su séduire une fraction de l’électorat de droite, urbaine, diplômée et plutôt âgée, et qui voit se presser autour de lui des personnages aussi différents qu’Yvon Gattaz, président du Medef, Aymeric Chauprade, exclu du Front national pour dérive extrémiste, Gérard Larcher, président du Sénat, le réactionnaire Philippe de Villiers – sans oublier Paul-Marie Coûteaux, opportuniste notoire en quête d’un dernier plaçou (1). Cette bousculade signifie que le programme de François Fillon contient des ingrédients suffisamment variés pour que toutes les droites y trouvent leur compte. Nous aurons tout le temps, dans les mois qui viennent, d’examiner les principaux points de son programme. Je me bornerai cette semaine à quatre constats :
Comme les autres candidats, François Fillon parle et propose comme si le président de la République avait de fait l’initiative des lois, le Premier ministre, le gouvernement et l’Assemblée nationale étant à sa botte. Ce n’est ni la lettre, ni l’esprit de la Constitution gaullienne. Avec ce candidat, nous ne sortirions pas de la gouvernance oligarchique largement favorisée par l’élection quinquennale.
Comme les libéraux des années trente face à la Dépression – comme Pierre Laval, Heinrich Brüning et Ramsay MacDonald -, François Fillon est partisan de la déflation. La baisse massive des dépenses publiques, des impôts, des cotisations patronales, des retraites effectives et des salaires réels entraîne nécessairement une baisse de la demande et de l’investissement, donc une baisse de l’activité économique, une augmentation du chômage et de la pauvreté. Cette logique économique dont les effets ont été systématiquement dénoncés après guerre et qui est maintenant mise en cause par le Fonds monétaire international, serait d’autant plus désastreuse dans la France de 2017 que l’économie nationale est très déprimée.
La frénésie déflationniste s’accompagne la volonté de détruire la Sécurité sociale. Comme toujours lorsqu’il s’agit des réformes libérales, on affirme sauver ce que l’on veut réduire ou ruiner : le système des retraites, le pouvoir d’achat, la protection sociale… Le raisonnement est toujours le même : on n‘a plus d’argent, on ne peut plus dépenser comme avant, il faut sauver ce qui peut l’être… Dans le programme de François Fillon, cela prend la forme de deux « paniers » : le « panier de soins solidaires » dans lequel se trouvent les affections graves ou de longue durée qui sont à la charge de l’assurance-maladie ; le « panier de soins individuel » qui relève des compagnies d’assurances privées. Cela signifie que l’assurance maladie sera partiellement privatisée, au mépris des principes qui ont présidé à l’organisation de la Sécurité sociale à la Libération, au mépris du Préambule de 1946 qui affirme que la Nation « garantit à tous […] la protection de la santé… ».
La politique de déflation et la destruction du système français de protection sociale – destruction parce que la solidarité devient d’exception – s’inscrivent dans un projet européiste centré sur le renforcement de la zone euro. François Fillon écrit dans son programme qu’il veut « une France souveraine dans une Europe respectueuse des nations ». La formulation est excellente mais elle apparaît comme une simple esbrouffe lorsqu’on lit qu’il faut « faire de l’Euro un outil de notre souveraineté ». L’Euro qui nous a dépossédés de notre souveraineté monétaire serait donc le moyen de notre souveraineté nationale ? Le tour de passe-passe est d’autant plus grotesque que François Fillon souhaite « doter la zone Euro d’un directoire politique », « créer un Secrétariat général de la zone euro » et « créer, à terme, une fois la convergence fiscale achevée, un Trésor européen avec une mise en commun des dettes ». C’est nous enfermer encore plus dans la broyeuse monétaire en faisant le pari, toujours perdu, que les Allemands accepteront ce qu’ils ne peuvent accepter – la mise en commun des dettes – en faisant toutes les réformes déflationnistes et antisociales qu’ils souhaitent. Nous voyons bien, en Grèce, que les Allemands trouvent qu’on n’en fait jamais assez et ne bougent pas d’un pouce !
François Fillon s’abuse-t-il, ou veut-il nous abuser ?
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(1) Dans la Corrèze d’Henri Queuille et de Jacques Chirac, le plaçou est le petit emploi que l’on fait attribuer aux bons agents électoraux.
Article publié dans le numéro 1111 de « Royaliste » – 2016
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