François Mitterrand : « La France n’a pas d’ennemis »

Sep 25, 1985 | Res Publica

 

Le tir manqué d’Ariane ne change rien au fond des choses. Face à l’hostilité constante de l’Australie et de la Nouvelle Zélande, réactivée par la malheureuse affaire Greenpeace, il était nécessaire de réaffirmer la présence et la liberté d’action de la France dans le Pacifique sud. Le Président de la République l’a fait, avec une détermination tranquille, et M. Lange, Premier ministre néo-zélandais, manque singulièrement de mesure lorsqu’il accuse François Mitterrand de travailler « à créer en France une vague de nationalisme hystérique ».

Pas la moindre trace de cette maladie dans notre comportement collectif, mais simplement une adhésion quasi-unanime aux actes et aux décisions présidentielles, de Charles Pasqua à Georges Marchais. Pour qui sait lire, il ne fait pas de doute que cette approbation si largement manifestée procède de la raison politique et non d’un emballement sentimental. Comme l’opposition serait heureuse si le Président ressemblait à l’image qu’elle a fabriquée de lui – complice de l’impérialisme américain ou agent de Moscou selon les cas. M. Peyrefitte s’en plaint même amèrement dans « Le Figaro » (1) : qu’il s’agisse des libertés, de la défense nationale, du « socialo-communisme », de la place de la France dans le monde, le Président de la République est en passe de priver l’opposition de ses « cartes maîtresses ». Pauvre M. Peyrefitte, qui voit le sol se dérober, alors que sonne l’heure de l’offensive !

QU’EST-CE QU’AGIR ?

L’essentiel n’est pas là, même si l’aveu de l’éditorialiste du « Figaro » n’est pas négligeable. Comme à Beyrouth il y a deux ans, comme en Nouvelle Calédonie cette année, le voyage présidentiel dans le Pacifique sud est exemplaire de l’acte politique même.

Qu’est-ce qu’agir, en effet, pour un chef de l’Etat ? Le cycle des rencontres internationales, les déclarations attendus, les arbitrages quotidiens sont des activités nécessaires, mais qui ne disent pas ce que la fonction de chef de l’Etat a de spécifique. Après tout, des ministres compétents, des comités ad hoc de diplomates et de techniciens pourraient se charger d’une grande partie du travail. Mais, par-delà cette activité ordinaire, il existe des actes qui n’exigent aucune compétence particulière, aucun talent gestionnaire : ceux qui expriment la solidarité de la nation tout entière, ceux qui manifestent la présence de la France, ceux qui indiquent qu’un tournant décisif a été pris. Comme le général de Gaulle en son temps, François Mitterrand a compris cela, et sait fort bien accomplir cette tâche décisive et symbolique, décisive parce que symbolique.

Nulle flatterie dans ce constat. Il s’agit moins de louer un homme que de défendre la fonction présidentielle contre ceux qui rêvent de la réduire ou de la détruire. Dans le gouvernement du pays, il y a un domaine qui appartient en propre au chef de l’Etat, une action singulière qui exige un minimum d’autonomie et de continuité. Cela, que nous souhaiterions voir accru, ne saurait disparaître sous l’effet d’ambitions médiocres et d’une volonté de revanche sans motifs avouables.

UNE NATION SANS NATIONALISME

Une seconde leçon peut être tirée du voyage présidentiel : c’est que la nation peut exister sans qu’il soit besoin de nationalisme. Quand François Mitterrand déclare que « la France n’a pas d’ennemis », ce n’est pas une habileté diplomatique mais une définition. Depuis la Révolution française, qui inventa le nationalisme, nous avons pris l’habitude de ressentir notre identité par opposition à des adversaires réels ou supposés. Ce patriotisme dur, sacrificiel, fut la religion commune des républicains et des « réactionnaires », avant que ces derniers ne prétendent au monopole d’un nationalisme érigé en doctrine. Nul mieux que Bernanos n’a souligné l’imposture de ce nationalisme sourcilleux, son attitude idéologique masquée sous un discours « réaliste », ses complaisances pour les dictatures totalitaires ; nul n’a mieux prédit la trahison de ses chefs pendant la guerre, ou du moins leur aveuglement.

Un temps réveillé par les crises de la décolonisation, ce nationalisme s’est effacé, tant il était nié et dépassé par la politique du général de Gaulle. Le nationalisme apparaît en effet comme une passion inutile, puisque le Général montrait la possibilité d’une indépendance nationale et d’une présence de la France dans le monde dépourvue d’agressivité. Lorsque l’actuel Président de la République affirme que la France n’a pas d’ennemis, mais des droits à défendre, une dissuasion militaire à mettre en œuvre, une souveraineté à exercer, il s’inscrit, après les ambiguïtés du « libéralisme avancé », dans cette affirmation paisible, étrangère à toute « hystérie », hostile à toute démesure.

Soulignant cette continuité dans l’attitude, je ne prétends pas faire de François Mitterrand le gaulliste qu’il n’a jamais été. Le chef de l’Etat a retrouvé par son propre chemin les principes d’une politique presque millénaire – celle qui a permis à notre pays d’exister sans se déifier lui-même, de s’affirmer sans nécessairement s’opposer, et d’être dans le monde sans prétendre le dominer. Tel est le fondement de toute politique étrangère présente et à venir.

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(1)    12 septembre 1985.

Editorial du numéro 433 de « Royaliste » – 25 septembre 1985

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