A observer les cercles du pouvoir, l’impression dominante ces dernières semaines était celle de chemins toujours plus divergents. Le premier, le Parti socialiste a choisi sa route et annoncé qu’elle serait celle de l’opposition. Après avoir publié le nombre des rescapés de la bataille électorale, le voici qui proclame, sur de grandes affiches, que « la droite revient ». Comme je l’ai déjà dit (1) l’essentiel, pour le parti dominant, est de préserver son identité, de sauvegarder une intégrité qu’il a cru menacée par le projet d’un rassemblement plus large.
Faute d’avoir pu imposer au Parti socialiste sa volonté de rassemblement, le Premier ministre s’est retrouvé seul lui aussi, à égalité avec L. Jospin dans une campagne dont il aurait dû être l’animateur, et apparemment très éloigné du Président. Lors de sa dernière conférence de presse, ce dernier semblait avoir pris son parti de cette situation. Regardant plus loin que l’échéance électorale, il esquissait déjà son attitude en cas de victoire de la droite et posait les conditions d’une possible cohabitation assumée par lui dans la solitude. Enfin, la révélation par Laurent Fabius du « trouble » provoqué par la visite du général Jaruzelski et des rumeurs de démission ont créé, quelques jours durant, l’atmosphère bien connue des « fins de règnes ».
SÉRÉNITÉ
Très vite, on a pourtant vu que le trouble du Premier ministre n’annonçait pas son départ, et que le sentiment exprimé publiquement était plus honorable que les manœuvres de Michel Debré à la fin de la guerre d’Algérie et de Georges Pompidou dans l’affaire de la participation. Surtout l’étonnante sérénité du Président de la République au cours de son entretien avec Jean-Pierre Elkabach a changé, sinon les données, du moins le climat politique. Est-ce complaisance de le souligner ? Certainement pas.
Il est vrai que le chef de l’Etat se trouve, à l’orée de la campagne législative, dans la situation paradoxale que ses prédécesseurs ont connue. Président de tous les Français, arbitre selon la Constitution, il ne saurait être le chef d’un camp. Pourtant, la poursuite de sa politique repose sur le succès des partis qui l’ont porté au pouvoir et qui l’ont soutenu. De fait, le Président a indiqué son « hypothèse favorite », qui est celle d’une victoire de l’actuelle majorité. De fait, le Président défend le bilan de la gauche, contre ceux qui veulent détruire l’œuvre entreprise depuis 1981. Serait-il donc en train de redevenir un partisan ? Oui, si l’on compare l’action du Président de la République à celle d’un monarque d’une démocratie européenne. Ici, l’ambiguïté inévitable du rôle, ailleurs la clarté, l’indépendance, l’impartialité de la fonction royale.
Faut-il dès lors se désintéresser de la 5ème République et de ceux qui y président tour à tour ? Non, car l’esprit monarchique de la Constitution favorise un comportement d’une autre nature, chez celui qui est habité d’un souci politique véritable. Si nous avons tant contesté M. Giscard d’Estaing, c’est parce qu’il vivait notre monarchie de fait, sur le nostalgique et l’exprimait par la caricature. Dans sa fidélité républicaine, François Mitterrand a mieux compris et incarné les institutions actuelles, en s’efforçant d’assumer, autant que possible, leur fondamentale ambiguïté.
L’ENJEU
La difficulté soulignée, il faut maintenant mesurer l’enjeu. Par-delà la victoire d’un camp sur un autre, il concerne la légitimité du Président, l’indépendance et la permanence de sa fonction, le domaine propre de son action, la défense du projet pour lequel il a été élu. Tels sont les points décisifs sur lesquels François Mitterrand entend se battre, même si son hypothèse favorite ne se réalise pas. II y a là autre chose qu’un choix partisan, même si la défense du bilan le conduit à marquer sa préférence. Le Président est là, fort de sa légitimité démocratique, et restera parce qu’il a été constitutionnellement élu pour sept ans. Être là, dans la 5ème République, ne peut signifier une présence muette et inactive. Le Président est le gardien des institutions, il ne saurait permettre un retour à la 4ème ou le passage à une 6ème République. Le Président a la garde du patrimoine national et ne peut tolérer que celui-ci soit dilapidé, ainsi que la charge de la politique étrangère (2).
En d’autres termes, F. Mitterrand peut s’accommoder d’une défaite de ses partisans, mais il ne peut abandonner sa fonction, remettre à d’autres son pouvoir de décision. On s’est étonné que le Président compare celui-ci à la pointe inaltérable du diamant, et le dise incommunicable. Il ne saurait en être autrement. La décision politique doit être l’affaire d’un seul, aussi libre et légitime que possible, sinon elle n’est que l’expression d’un rapport de force ou la résultante des passions. Quant à l’incommunicabilité, loin d’exprimer le mépris ou le repli sur soi-même, elle signifie que le chef de l’Etat entretient d’abord un dialogue avec la France. Là est le seul véritable secret du pouvoir, et la condition première de décisions conformes à l’intérêt du pays.
Des royalistes ne peuvent manquer de comprendre le Président sur ce terrain éminemment politique. Qu’ils jugent sa légitimité partielle – faute d’une dimension historique – qu’ils soulignent le paradoxe d’institutions inachevées, ne peut les empêcher, s’ils veulent préparer l’avenir, de défendre ce qui est : l’unité de la décision et l’indépendance d’un chef de l’Etat plus soucieux que d’autres de la justice et de notre commune liberté.
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(1) Cf. l’éditorial du numéro 437.
(2) Cf. « Le Monde » du 11 décembre 1985.
Editorial du numéro 439 de « Royaliste » – 18 décembre 1985
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