Frappes compassionnelles

Déc 10, 2007 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

Après tant d’autres scandales survenus dans le milieu humanitaire, l’affaire de l’Arche de Zoé risque d’être bientôt oubliée. Nous la conservons comme document à charge dans le procès que nous intentons à une idéologie qui provoque d’immenses dégâts.

Les dégâts engendrés par l’idéologie humanitaire et par les irresponsables qui la manipulent sont de deux sortes : les visibles et les invisibles, médiatiquement parlant.

Le scandale de l’Arche de Zoé appartient évidemment à la première catégorie. Elle fait suite aux vilaines affaires qui ont gravement entaché la réputation d’organisations françaises et étrangères compromises dans des affaires de prostitution, de pédophilie, d’espionnage, de trafics d’armes et de drogue. La lamentable équipée du Tchad, en vue de faire adopter des enfants du Darfour, s’inscrit quant à elle dans la sous-catégorie des dégâts provoqués par la bonne conscience.

Les braves gens qui ont tenté de sauver des orphelins ont eu le tort de croire sur parole des manipulateurs de haut vol – toujours les mêmes – qui exploitent pour leur gloire personnelle certaines des misères, des violences et des guerres qui affectent notre monde. Après la Bosnie, la Tchétchénie et le Kosovo, ces messieurs se sont saisis du Darfour.

Nous avions prévenu : les exactions et massacres qui se déroulent au Darfour n’ont rien à voir avec les campagnes politico-militaro-humanitaires qui ont lieu depuis le printemps sur un territoire qui s’étend de la place de la Bastille à Saint-Germain des Prés. « La guerre parisienne du Darfour oppose les ONG qui sont restées au Darfour à celles qui se sont repliées sur les camps de réfugiés au Tchad » écrivait Yves La Marck qui pointait durement les bêtises solennellement proférées par Bernard-Henri Lévy (1).

Hélas, l’insupportable personnage a été, une fois de plus, cru sur parole et l’Arche de Zoé s’est mise en quête d’enfants à sauver avec une naïveté que ses militants sont en train de payer dans une prison tchadienne. Ignorant tout de l’Afrique, ils ne savent pas qu’un enfant qui a perdu père et mère n’est pas un orphelin car il est intégré dans une famille qui est élargie aux cousines et cousins, neveux et nièces – ou se crée sa propre famille avec des frères de rencontre. Cette remarque est trop rapide mais elle doit inciter les européens de l’Ouest à la prudence : pas d’intervention, pas même de propositions « libératrices » sans une solide connaissance anthropologique et sociologique du terrain sur lequel on a pénétré.

Faute de cette prudence, dictée par une attention et une amitié réelles pour les êtres et les peuples que l’on veut aider, la démarche humanitaire provoque des dégâts invisibles mais profonds.

Trop de jeunes gens se précipitent dans l’humanitaire pour évacuer leurs troubles psychopathologiques sans s’apercevoir qu’ils offensent gravement les populations locales par leurs mœurs, leurs véhicules onéreux et leur gestion bureaucratique de la misère.

Trop d’adultes cultivés et apparemment responsables utilisent les grandes causes humanitaires pour renforcer l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes et donner à admirer leur image dans les cercles mondains sans jamais se soucier réellement de ceux dont ils prennent, quelques mois ou quelques années durant, la défense. Combien d’intellectuels parisiens, qui criaient « Armons l’UCK » en 1999 continuent d’aider personnellement les Kosovars ?   Telle est la suffisance compassionnelle (2) : une charité sans cœur, un élan calculé, sans le moindre regard.

N’en doutons pas : les peuples victimes de nos frappes compassionnelles nous observent et nous jugent, avec une intelligence désespérée.

***

(1) cf. Yves La Marck : « La querelle du Darfour », Royaliste n° 902, 16-29 avril 2007, p. 5.

(2) Cf. Régis Debray : « Zoé et Zorro, le néo-bon et le néo-con », Le Monde du 24 novembre : « Le néo-con est un gauchiste venu à maturité, à qui l’inversion du vent d’est en vent d’ouest a fait cette faveur enviable : pouvoir retourner sa veste sans avoir à en changer. Mêmes insultes et même tranchant ». C’est «un Juste peu judicieux, qui préfère la morale au droit international, l’émotion aux atlas, le 20 heures aux livres d’histoire, et l’image de soi à la réalité des autres ».

 

Article publié dans le numéro 915 de « Royaliste » – 10 décembre 2007

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