Suite au putsch manqué de Moscou, l’accélération de l’histoire creuse encore dans notre pays une dépression, au double sens géographique et médical du terme.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il nous importe de préciser ceci : notre journal a combattu l’idéologie marxiste quand elle était encore prépondérante et, tout en annonçant il y a vingt ans le déclin du Parti communiste et la faillite de son modèle, nous n’avons jamais ménagé ses dirigeants.
De cette opposition nécessaire nous ne tirons aucune gloire parce qu’elle nous conduisait à nous heurter à des militants dont nous avons toujours répété, après le comte de Paris, qu’ils étaient « des Français comme les autres ». Mais l’ancienneté et la constance de notre attitude nous permettent de dire aujourd’hui combien nous répugne le triomphalisme de certaines grandes consciences de droite et de gauche. Il serait salubre qu’Yves Montand se taise, lui qui fut communisant puis anticommuniste toujours au bon moment – entendez le plus fructueux pour sa réputation. Et il serait juste de se souvenir que M. Alain Peyrefitte a construit sa fortune éditoriale en publiant un livre qui fit plus pour la Chine maoïste que toute la propagande diffusée ou inspirée par Pékin. Deux exemples parmi cent autres de conversions judicieuses à l’anticommunisme et de complaisances intéressées, quand il ne s’agissait pas de pures et simples lâchetés…
Ce point étant précisé, il est clair que le Parti communiste français est entré dans la phase ultime de sa crise terminale – ses dirigeants n’ayant su ni pressentir ni assumer les évolutions et les révolutions qui s’accomplissaient à l’Est. Cette situation crée dans notre paysage politique une dépression dont il n’y a pas lieu de se réjouir. D’une part, les communistes ont joué dans la Résistance un rôle certes tardif mais incontestablement héroïque. D’autre part le P.C. a permis l’intégration à la société français de très nombreux travailleurs, notamment sous la 3è République. Enfin, il jouait un rôle marginal mais cependant utile dans la dynamique sociale en faisant accéder aux responsabilités des représentants de groupes sociaux qui sont ordinairement exclus de « l’élite du pouvoir ».
Or nulle autre formation ne remplacera le Parti communiste dans ce rôle d’instituteur du patriotisme populaire, d’agent d’intégration sociale et de vecteur de la promotion sociale. Et nulle autre formation politique n’est en mesure d’exprimer le désir de changement politique et social qui soutenait pour une grande part la dynamique des forces dont aucune société ne saurait se passer. Et puis, et puis il y a le désespoir muet de celles et ceux qui voient leur projet révolutionnaire s’effondrer. Même si nous jugions l’ambition dangereusement illusoire, ces militants méritent le respect – et non d’être piétinés par ceux qui ont tout trahi sans avoir rien risqué.
Le Parti socialiste se retrouve tout à coup dans une solitude qui l’inquiète. Sans doute peut-il affirmer, non sans bonnes raisons, qu’il est finalement sorti vainqueur de la bataille engagée au congrès de Tours, voici soixante-dix ans. Sans doute peut-on lui faire observer, non sans ironie, que son ambition hégémonique est maintenant comblée : son grand rival agonise et les petites formations qui auraient pu donner sens à une coalition de gauche sont mortes ou moribondes. D’où le risque d’un déport au centre, mais aussi la tentation, chez les socialistes jacobins ou marxisants, de la reconstitution d’une gauche révolutionnaire. Le « recentrage » est possible (et déjà pour l’essentiel accompli) mais il achèverait de décevoir ceux qui restent fidèles à l’esprit d’Epinay, c’est à dire à un parti qui demeurerait l’acteur principal du changement social. Le « gauchisme » est séduisant, mais il est difficile de lancer une offensive avec des troupes éparses et défaites – en l’occurrence quelques gaullistes de gauche, une partie du courant Chevènement, des anciens du Parti communiste et les maigres troupes pacifistes de l’hiver dernier.
Le vide ainsi creusé dans le paysage politique et la dépression nerveuse qui frappe une partie du peuple de gauche risquent de renforcer les attitudes d’abstention, les votes protestataires et les solutions de désespoir. Le Front national n’a pas manqué de souligner joyeusement les profits qu’il comptait tirer de la situation. Il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir.
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Article publié dans le numéro 563 de « Royaliste » – 23 septembre 1991
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