Grands Magasins : La bonne Samaritaine

Juil 20, 2005 | Economie politique

 

Au bord de la Seine, La Samaritaine a fermé ses portes et engagé des travaux qui dureront six ans. Voici une époque parisienne qui s’estompe. C’est aussi une page de l’histoire sociale qui est tournée.

Ernest Cognacq, c’est le nom d’une rue parisienne (Cognacq-Jay) et l’une des gloires de l’île de Ré. C’est là que naquit le 2 octobre 1839 le fils d’un modeste orfèvre qui eut une triste enfance. A douze ans, il est orphelin de mère et de père et devient commis dans un magasin de nouveautés à La Rochelle, Rochefort puis Bordeaux.

A quinze ans, il monte (à pied) à Paris, se fait embaucher au grand magasin du Louvre, est licencié pour « insuffisance », rencontre dans un autre magasin de nouveautés la jeune et austère Marie-Louise Jay, s’installe à son compte, échoue, et se met à vendre des tissus à l’angle du Pont-Neuf, près de l’emplacement d’une ancienne pompe hydraulique. Celle-ci était ornée d’un motif représentant Jésus et la Samaritaine…

C’est en souvenir de cette scène que Marie-Louise et Ernest ouvrent en 1869 leur propre boutique. Débuts modestes, puis résultats fulgurants : le magasin prend sa place parmi les Grands du commerce parisiens qui se sont créés à la suite du succès du Bon Marché, fondé par Aristide Boucicaut en 1852 : les Magasins du Louvre (1855), le Bazar de l’Hôtel de Ville (1856), le Printemps (1865), les Galeries Lafayette (1895).

La Samaritaine originelle qui couvrait moins de 50m² devient l’imposant immeuble de 70 000 m² qui rassemble dans une belle synthèse l’Art Déco et l’Art moderne, classée monument historique.

Nul n’ignore qu’on trouvait de tout à La Samaritaine, mais ceux qui n’ont pas visité le petit musée de « la Samar » (neuvième étage) ne savent pas que Marie-Louise et Ernest étaient des figures représentatives du patronat social et qu’ils créèrent pour leurs employés une maternité et une maison de retraite. Aujourd’hui encore, on évoque avec une condescendance teintée de mépris ce « paternalisme » naguère fréquent dans le capitalisme familial, et notamment dans le patronat chrétien.

De fait, La Samaritaine était restée jusqu’à la fin du siècle dernier dans la famille Cognacq-Jay après la mort de Louise en 1926 et d’Ernest en 1928, puis dans la famille de Georges Renand, qui avait dirigé le magasin avec le neveu du fondateur. En l’an 2000, le groupe LVMH, spécialisé dans le commerce de luxe (Franck et fils, Kenzo…) acquiert La Samaritaine seize ans après avoir acheté Le Bon Marché. Les choses semblaient suivre un cours aussi paisible que celui de la Seine (malgré la fermeture du rayon bricolage qui entraîna la désertion de samaritains traditionalistes) quand un sec communiqué annonça la fermeture du magasin, le 15 juin au soir, pour des raisons de sécurité. Fermeture provisoire, disait-on, qui allait permettre de rénover le système de protection contre l’incendie.

Les employés du magasin n’en furent pas rassurés pour autant : la durée de la fermeture n’était pas fixée et des rumeurs circulaient dans la capitale. En accord avec la mairie de Paris, l’immeuble rénové pourrait, disait-on, accueillir un hôtel de prestige, des logements et des commerces de luxe…

Certes, Bertrand Delanoë a tenu à préciser le 20 juillet que La Samaritaine restera un « lieu commercial » après six ans de travaux. L’expression est bien vague et permet d’envisager la transformation de ce magasin apprécié par toutes sortes de clientèles en un ensemble de commerces prestigieux. Ce qui serait en accord avec la transformation sociologique de la capitale, le Paris populaire cédant chaque année du terrain devant la « bourgeoisie-bohème » qui apprécie l’ambiance festive et ludique (Paris-plage etc.) créée par Bertrand Delanoë et son équipe.

Prise dans l’urgence alors que le risque d’incendie catastrophique était connu depuis 2001, la décision de fermeture a provoqué l’amertume et la colère des 750 employés du magasin, où la CFTC est majoritaire.

Celles et ceux qui aimaient travailler à La Samaritaine regretteront l’époque « paternaliste » où les employés étaient assurés de travailler toute leur vie dans une entreprise où l’on prenait soin du personnel et de ses enfants sans que bénéfices et profits en soient amoindris.

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Article publié sous pseudonyme – 20 juillet 2005

 

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