Greenpeace, le pouvoir et ses juges

Oct 9, 1985 | Défense nationale

 

Est-il possible de faire le point sur l’affaire Greenpeace qui a semblé, pendant quelques jours, faire vaciller l’Etat ? Assurément non, puisque les déclarations du général Imbot lui ont donné une toute autre dimension, encore difficile à apprécier au moment où j’écris. Du moins peut-on faire quelques observations sur la façon dont la crise politique a été traitée, vécue et résolue par les divers acteurs de la vie publique.

Le premier fait, positif, a été l’extrême discrétion des chefs de l’opposition. Qu’il s’agisse de R. barre, qui avait fait début septembre une remarquable déclaration sur la « ténébreuse affaire », de J. Chirac ou de Giscard, aucun des principaux adversaires du gouvernement n’a cherché à envenimer la crise. Sans doute, les seconds couteaux ont-ils joué leur rôle, « marquant » le Premier ministre comme dans une partie de ballon. Mais les vrais responsables de la droite se sont tus, par prudence sans doute, mais aussi par respect des intérêts vitaux du pays. Quelle que soit l’ardeur des affrontements, la défense nationale et la politique extérieure demeurent intouchables.

QUESTION DE CONSCIENCE

Il faut se féliciter de cette sagesse, qui coïncide avec celle de l’opinion. Attentive, mais silencieuse, critique ou inquiète devant les embarras du pouvoir, elle semble avoir estimé que les affaires secrètes devaient le rester et, encore une fois, qu’il ne fallait pas toucher à la défense du pays. Manifestement, le mouvement Greenpeace ne bénéficie pas d’une grande sympathie. A la différence des autres crises et des scandales du précédent septennat, la partie ne s’est donc pas déroulée entre le pouvoir, l’opposition et l’opinion, mais entre le pouvoir et la presse, les protagonistes habituels demeurant spectateurs.

L’ardeur et parfois l’acharnement de la presse écrite et audiovisuelle contraste fortement avec la prudence et la sagesse qui viennent d’être soulignées. Dans l’affaire, la presse a été en pointe, et fière de l’être. Nul ne songe à lui contester son droit, sa liberté, son existence. Et surtout pas nous qui sommes, modestement, partie prenante. Cela n’exclut pas un regard critique sur des média qui se présentent, avec humilité, comme un contre-pouvoir. Cette définition est à la fois vraie, et trop partielle. Vraie parce que l’affaire Greenpeace a montré que la presse écrite, et surtout audiovisuelle, échappait complètement à l’emprise ou à l’influence du pouvoir politique. C’est tout à fait frappant en ce qui concerne la télévision, étroitement contrôlée sous de Gaulle comme sous Pompidou et Giscard, et qui est devenue un système autonome, obéissant à sa propre logique, et manifestement indifférente aux désirs de l’Etat.

Dans la mesure où les médias se comportent désormais ainsi, force est de les considérer aussi comme une puissance, d’autant plus impressionnante qu’elle ne connaît pas de contre-poids. C’est elle qui fait et défait les réputations, décide de l’importance des sujets, en fonction de ses propres critères. Loin de dominer les médias, le pouvoir et les hommes politiques doivent la séduire, se conformer à ses règles, entrer dans la logique du spectacle qu’elle donne. Le traitement de l’affaire Greenpeace est, là encore, très révélateur de cet état de fait. Libre de ses investigations et de ses jugements, ce dont il faut se féliciter, c’est la presse qui a mené le jeu, s’auto-célébrant, décidant des questions qui seraient posées et de celles qui ne léseraient pas (par exemple les étranges imprudences des agents de la DGSE en France, en Angleterre et en Nouvelle Zélande) et traînant devant son tribunal un Premier ministre présumé coupable, sans qu’on puisse expliquer cette passion par des motifs politiques puisque ce n’est pas la presse de droite qui a relancé l’enquête. Cette agressivité « à l’américaine » de la presse n’est pas condamnable. Mais il faut bien constater que, dans les affaires politiques, la presse est seule juge des limites à ne pas dépasser : c’est une question de conscience entre elle-même et elle-même. Tel n’est pas le cas des autres pouvoirs.

LIAISONS DANGEREUSES

Ces remarques ne sont pas faites pour décharger le pouvoir politique de sa propre responsabilité. Encore faut-il ne pas se tromper de niveau. Personne n’est en mesure de prouver que F. Mitterrand et L. Fabius ont donné l’ordre de destruction du Rainbow Warrior, leur attitude constante indiquant au contraire qu’ils ont cherché la vérité sur cet attentat « absurde et criminel ». Hélas ils ne se sont pas aperçus que Charles Hernu n’était pas, ou plus, ministre de la Défense nationale mais ministre de l’Armée et solidaire de celle-ci. Grave erreur de conception chez ce très honnête homme qui aurait dû savoir qu’un ministre sert l’Etat et non les intérêts d’un corps, aussi prestigieux soit-il. Oubliant que l’armée est aussi un groupe de pression, témoignant trop de confiance aux militaires, Charles Hernu a, en toute bonne foi, laissé une question de discipline et de contrôle des services se transformer en crise politique. Le déblocage rapide de l’affaire après sa démission prouve sa lourde responsabilité.

Reste à mesurer l’étendue des dégâts sur le plan diplomatique. La thèse catastrophique dominante décrit une France diminuée, paralysée, discréditée. N’exagérons rien. L’accident qui a résulté d’un sabotage absurde ne saurait diminuer fondamentalement le rôle de la France et ternir son prestige. A moins que nous ne persistions à vouloir en convaincre le monde.

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Editorial du numéro 434 de « Royaliste » – 9 octobre 1985

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