Jusqu’à la dernière minute, « nous aurons tout fait » pour sauver les chances de la paix, comme le rappelait Roland Dumas peu avant l’expiration de l’ultimatum fixé par l’ONU.
Nous : la France dirigée par l’autorité politique qu’elle s’est donnée, servie par ses diplomates et ses soldats, avec le consentement de la nation exprimé par le vote du Parlement le 16 janvier. La France dont le rôle capital a été sous-estimé, méprisé, moqué, calomnié par des gens de médias plus attentifs aux déclarations spectaculaires qu’à l’œuvre patiente et résolue, plus attachés aux schémas manichéens qu’à l’analyse scrupuleuse d’une diplomatie à la fois rigoureuse dans ses principes et subtile dans son cheminement. Aveuglement et irresponsabilité de ces gens qui désignent comme « occidentaux » les pays agissant sous mandat de l’ONU, comme si la présence de nos alliés arabes était négligeable, et qui focalisent toute l’attention sur les Américains, certes les plus nombreux et les plus bruyants, comme si les autres n’étaient que de pauvres comparses. Il n’y a plus information, mais définition des valeurs et distribution des rôles selon des critères inexprimés, qui brouille les repères et fausse l’appréciation des faits. D’où la nécessité, pour comprendre les enjeux présents et à venir, de rappeler (1) les textes et les actes qui définissent la politique de notre pays.
NOTRE ROLE
La France a une politique dont l’ambition est de faire prévaloir la paix dans le respect du droit. Cette politique respecte les principes auxquels notre pays a adhéré, procède des responsabilités permanentes qui sont les nôtres au sein du Conseil de Sécurité (tel est le rang de la France) et s’inscrit dans la complexité nécessaire de nos traditions historiques, de nos alliances, de nos amitiés et de nos intérêts. Au Proche-Orient, la France n’a pas attendu la crise du Golfe pour faire entendre sa voix et pour déployer ses efforts en faveur d’un règlement pacifique des conflits de la région – en demandant l’application des résolutions des Nations-Unies sur la question israélo-palestinienne et en proposant, dès 1984, la réunion d’une conférence internationale.
Depuis le 2 août, la France, tout en contribuant activement à la mise en forme et en œuvre des décisions communes, a proposé dès le 24 septembre un plan de paix qui, sans contrevenir aux décisions communes, pouvait être accepté sans déshonneur par l’Irak. C’est ce plan, encore présenté le 15 janvier à l’ONU, qui a inspiré l’ultime appel de M. Ferez de Cuellar. Les textes et les actes montrent que la France a joué son rôle de grande puissance avec une détermination qui tranche avec les silences, les absences et les timidités de nos partenaires européens et qui a été favorablement accueillie par les peuples et les Etats arabes.
PROCES
Dès lors, comment peut-on accuser la France de s’être soumise à la volonté américaine ? Il est clair depuis le début que notre pays a pris des initiatives et multiplié des efforts qui ont fini par irriter certains de nos partenaires. En témoignent les critiques et les insultes inouïes qui ont été proférées dans la presse britannique, israélienne et américaine. En témoigne, surtout, l’hostilité de la diplomatie américaine au plan de paix français du 15 janvier. En outre, comment ne pas percevoir la nette différence entre les intentions américaines (détruire l’Irak) et leur expression inutilement humiliante, et la politique française qui vise la restauration du Koweït dans sa souveraineté et le règlement global des conflits du Proche Orient ?
Cette ambition légitime, que l’histoire, le statut et les amitiés de la France rendent possible, n’est pas compatible avec cette neutralité active que certains proposent. Si un rôle d’arbitre avait été possible, la place aurait été prise depuis longtemps.
La neutralité, en l’occurrence, aurait conduit à l’isolement et à l’impuissance. Affirmée par un membre permanent du Conseil de Sécurité, elle impliquait une acceptation du droit de conquête. Tel est en effet le paradoxe du « pacifisme » : en refusant que la force soit mise au service du droit, il rend la violence légitime.
N’oublions pas, en effet, que la crise du Golfe résulte du fait qu’un pays souverain a été envahi et annexé et que Bagdad a rejeté toutes les ouvertures qui lui étaient faites par le secrétaire général de l’ONU et, notamment, par la France. Défaite de la diplomatie, en raison de l’obstination de Saddam Hussein sans doute stimulée par les maladresses et les insultes américaines. Cet échec n’est cependant ni total ni définitif. L’action de force s’inscrit, doit demeurer inscrite dans le cadre des résolutions de l’ONU, dans la limite de la libération du Koweït et dans les perspectives tracées par le plan de paix français.
Quant à notre attitude, elle doit être à la mesure de l’épreuve et à la hauteur des enjeux. Comme la plupart des formations politiques nous ferons prévaloir sur toute autre considération le souci de l’unité nationale. Tel est en effet l’impératif premier.
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(1) Ce rappel n’exclut pas l’analyse critique et la prévision. Notre journal s’honore d’avoir publié en septembre (n° 542) un article d’Yves La Marck qui conserve aujourd’hui (16 janvier) sa pleine actualité.
Editorial du numéro 551 de « Royaliste » – 28 janvier 1991
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