Encore et toujours Nicolas Sarkozy. S’inscrit-il, comme l’affirme Anicet Le Pors (1), dans la lignée bonapartiste ? Je conteste la thèse d’une reprise de la tradition plébiscitaire par le général de Gaulle en 1962 mais il me paraît judicieux d’évoquer – cette fois à bon escient – un coup d’Etat permanent.

Sans qu’il soit besoin de faire appel aux troupiers, Nicolas Sarkozy a détruit la fonction présidentielle – le principe d’arbitrage est constamment violé  – et s’est emparé de l’hôtel Matignon et des ministères-clés. Le fonctionnement régulier des pouvoirs publics est interrompu et nous sommes passés sous la coupe d’un autocrate. Celui-ci impressionne parce qu’il nous a fait passer de la molle « gouvernance » à l’activisme débridé.

Sa victoire n’est pas politique. C’est celle d’un militaire de pronunciamiento. Nicolas Sarkozy ne porte pas l’uniforme mais, comme un quelconque caudillo, il s’appuie sur des forces sociales qui croient tenir leur complète revanche sur le Front populaire et sur la révolution gaullienne de 1944-1946.

Pour jouir pleinement de son pouvoir, pour transformer l’élection de 2012 en plébiscite, Nicolas Sarkozy ne se contente pas de soutenir le Medef et la haute bourgeoisie financière : il est le chef d’une guerre menée contre une grande partie des habitants de notre pays. Guerre aux salariés du secteur privé, aux fonctionnaires ; guerre aux journalistes indépendants, aux magistrats ; guerre aux immigrés considérés comme des ennemis de l’intérieur ou des envahisseurs potentiels et non plus, selon notre tradition, comme des Français en devenir.

Nicolas Sarkozy ne sera jamais sensible aux raisonnements politiques ni aux appels à la pitié. Il faut lui parler le seul langage qu’il connaisse : celui de la stratégie et de la tactique militaires.

La guerre éclair que l’autocrate mène depuis son retour d’Amérique est époustouflante : il attaque sur tous les fronts, à la tête de sa troupe. Il est possible qu’il gagne des combats tactiques contre diverses catégories professionnelles mais il est en train de commettre des erreurs stratégiques.

Erreur en politique étrangère : le tournant à droite (2), aggravé par le tropisme américain nous met sous l’égide d’une puissance qui a perdu deux guerres – celle d’Irak et celle d’Afghanistan – et qui subit une très grave crise financière. La tactique qui consiste à miser sur l’OTAN, pour faire des économies, et à désorganiser le Quai d’Orsay au nom de la lutte obsessionnelle contre l’immigration, ne provoque pas seulement la colère de nombreux diplomates et militaires : elle heurte le sentiment profond de la majorité des Français, toujours attachés aux principes gaulliens : défense nationale indépendante, promotion de la France dans le monde.

Erreur en politique européenne : Nicolas Sarkozy croit qu’il imposera aux Français une version légèrement édulcorée du « traité constitutionnel » et qu’il s’imposera à nos partenaires de l’Union tout en critiquant Jean-Claude Trichet. La désastreuse montée de l’euro va l’obliger à faire très vite des choix cruciaux : ou bien il pratique une politique de rupture, protectionniste, pour le salut de la France et de l’Union européenne ; ou bien il s’incline devant la Commission et la BCE – ce qui provoquera la colère de tous ceux qui l’ont élu à cause de la tonalité gaulliste de ses discours.

Erreurs en politique intérieure : la relance par réduction de l’imposition des plus riches est une illusion théorique qui se vérifie dans la pratique : la croissance reste faible et le chômage caché augmente. La question de l’immigration n’est pas primordiale aux yeux de Français qui, massivement, s’opposent depuis 1995 à la destruction de notre système social. Quelles que soient les manœuvres syndicales, il y aura dans le rue de nouvelles répliques violentes qui effaceront les deux avantages dont Nicolas Sarkozy bénéficie : l’inexistence d’une opposition ravagée par ses propres conflits et la soumission des principaux médias.

Il faudra que Nicolas Sarkozy se démasque comme ultralibéral, sans qu’il soit pour autant obligé de signer sa défaite : une explosion désordonnée des mécontentements pourrait le servir.

 

***

(1) « Dérive bonapartiste », L’Humanité du 27 août. Je conserve ce texte, en vue d’une discussion approfondie.

(2) l’article d’Yves La Marck, Royaliste n° 909.

 

Editorial du numéro 910 de « Royaliste » – 1er octobre 2007

 

 

 

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