Humaines comédies

Déc 11, 2006 | Non classé

                                                                        

 Stéphane Bern nous amuse en nous faisant pénétrer par la fiction dans un monde qu’il connaît bien. Mais s’amuse-t-il vraiment, ce non-dupe qui erre dans la petite société des parasites flamboyants ?

Un jeune journaliste, Pierre Bonnard, est chroniqueur mondain dans un grand journal bourgeois – devinez lequel – où l’on se soucie beaucoup de la mode et de l’opinion des annonceurs. Ce qui pourrait ressembler à une tranche de la vraie vie des vraies gens, se présente à nous comme roman (1), écrit – et bien écrit – par un journaliste spécialisé dans la tête couronnée et qui fait aujourd’hui les belles heures de la radio et de la télévision.

Le détour par la fiction était obligatoire : les personnages de ce « si joli monde » sont si durement décrits que tous les chapitres, sinon toutes les pages, auraient donné matière à procès. C’est du moins ce qu’il semble car le beau monde constitue une société close, mise en scène par les médias pour ce qu’elle a de scintillant, mais dans laquelle le commun des mortels ne peut pénétrer. D’où le regret qui prend de temps à autre le lecteur : il aimerait pouvoir identifier telle précieuse ridicule et replacer quelques réparties cinglantes dans la bouche de celles et ceux qui les ont prononcées.

Curiosité sans doute malsaine mais qui a l’excuse de porter un milieu qui n’est pas des plus relevés : on se pique le nez au champagne, on se poudre à la coke, on est méchant volontairement – par plaisir, par ennui, pour faire rire ou plus banalement parce qu’on est pris dans le jeu cruel des rivalités mimétiques.

Stéphane Bern ajoute quelques pages légères et talentueuses à la très vieille comédie humaine. Mieux : il dépeint avec justesse le mélange de fascination et de lucidité écoeurée qui agite l’esprit de celui fait son entrée dans ce monde. Jouissance de celui qui rehausse l’estime qu’il a de lui-même par le fait d’être reconnu (par curiosité) et parfois fêté (par calcul) par l’une ou l’autre des tribus parisiennes ; gêne lorsqu’on se sent devenir le complice d’imposteurs, d’escrocs, de parasites ou d’imbéciles patentés.

Ceux qui dénoncent les futilités du grand monde sans cesser de le fréquenter tombent d’ordinaire dans le cynisme et la pure cruauté. Stéphane Bern échappe à ce double piège par une satire qui ne dépasse pas les limites de la bienséance. Ce n’était d’ailleurs pas la peine d’aller plus loin dans la mise en boîte d’une aristocratie illusoire : il faut garder sa colère pour ceux qui détiennent la réalité du pouvoir.        

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(1) Stéphane Bern, Un si joli monde, roman, Flammarion, 2006.

Article publié dans le numéro 893 de « Royaliste » – 11 décembre 2006 

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