Il n’y a pas de complot

Avr 19, 2010 | Partis politiques, intelligentsia, médias

Mots clefs : BCE | euro | Grèce | médias | Nicolas Sarkozy

 

Le jeudi 8 avril, Le Figaro affichait la photo de l’épouse de Nicolas Sarkozy en première page avec ce titre étalé sur cinq colonnes : « Nous ne sommes victimes d’aucun complot ». Le même jour, la Grèce recommençait à glisser brutalement, sur la pente infernale de l’emprunt et de l’endettement.

Je souhaiterais que les historiens de l’avenir retiennent cette page et ce moment de la crise terminale de la zone euro. Des conseillers de la présidence et le journal de la classe dirigeante ont été mobilisés pour qu’une femme, qui n’est rien dans l’Etat, s’emploie à démentir une rumeur insignifiante qui avait été présentée comme l’effet d’un complot politique. Le traitement du reste de l’actualité n’est pas moins étonnant : en surtitre et en grosses lettres rouges, Le Figaro nous avertit qu’il y aura « interdiction totale avant l’été » de la burqa. A gauche, sur une colonne, s’entassent les annonces de sujets renvoyés aux pages intérieures : l’accord entre Américains et Russes sur les armes nucléaires, le cours du dollar, la visite à Paris du Premier ministre turc…

Pierre Bourdieu avait raison : les grands médias ne nous informent pas sur les affaires du monde, mais sur ce qui intéresse leurs journalistes. Il est bon de prendre cet angle de lecture, qui permet d’éviter les analyses dramatisantes : on ne nous cache pas la vérité, « nous ne sommes victimes d’aucun complot » pour reprendre la formule attribuée à celle qu’on présente comme première dame de France (1) et il n’y a pas l’ombre d’un totalitarisme insidieux dans les grands médias. Simplement, on évite autant que possible les sujets qui fâchent, sous prétexte que les gens n’y comprennent rien. En matière économique et financière, la crainte des colères élyséennes, la prudence à l’égard des actionnaires (surtout les banquiers) et la paresse de certaines « grandes plumes » s’abritent derrière un mépris de fer pour le peuple français.

Il est cependant possible de s’informer chaque jour sur la crise en cours : la presse financière, qui a l’avantage de se présenter comme telle, est riche d’informations intéressantes et les blogs spécialisés font un remarquable travail de recherche et de pédagogie (2). Mais s’informer demande beaucoup de temps. Chaque quinzaine, nous nous présentons des analyses synthétiques et des perspectives à court ou moyen terme mais, quand la crise flambe, nous sommes dépassés. J’écris en ce dimanche 11 avril, au moment où une téléconférence des membres de l’Eurogroupe est consacrée au cas désespéré de la Grèce : l’Etat emprunte pour payer les intérêts de ses emprunts précédents et financer ses dépenses courantes à des taux qui alourdissent ses charges. Cet étranglement étant visible, les spéculateurs qui prêtent à la Grèce exigent un taux de plus en plus élevé – et serrent encore le nœud financier. Je ne peux prévoir les faits que vous connaîtrez quand vous lirez ces lignes mais l’analyse peut être ainsi cadrée :

Les principaux dirigeants européens avaient décidé en mars de promettre une aide à la Grèce sans rien lui donner : la reprise de la spéculation est logique et les parades à la catastrophe viennent trop tard. Après la Grèce, ce sera le tour du Portugal et d’autres pays membres de la zone euro. Nous ne serons pas épargnés : la tempête menace déjà les banques françaises et allemandes, très exposées en Grèce notamment.

La Banque centrale européenne, les gouvernements français et allemands et le FMI sont totalement d’accord pour lutter contre la crise de la dette par des mesures imbéciles, meurtrières pour la population : pour réduire les déficits budgétaires qui déchaînent les spéculateurs contre les Etats, les hauts responsables imposent des réductions de dépenses publiques et des baisses violentes de salaires qui aggravent la logique de récession ou empêchent la reprise et qui, par conséquent, creusent encore les déficits publics.

Pas de solutions à la crise tant que les oligarques ne serons pas eux-mêmes licenciés.

***

(1) Madame Sarkozy, personne privée, m’est indifférente. Je l’évoque parce qu’elle joue divers rôles dans le casting de la propagande sarkoziste.

(2) Pour suivre la crise monétaire et financière, il importe de lire chaque jour le blog de Paul Jorion : http://www.pauljorion.com/blog/

Editorial du numéro 968 de « Royaliste » – 19 avril 2010

Partagez

0 commentaires