Il n’y a pas de président

Nov 26, 2007 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

Nicolas Sarkozy existe mais il n’est pas président de la République. Ce paradoxe n’a rien d’un jugement définitif : il n’y a pas de vérité du sarkozysme parce que Nicolas Sarkozy, selon des témoins dignes de foi, ne croit pas à la vérité.

C’est une indifférence résolue aux principes politiques qui a valu au président de l’UMP son succès électoral et l’accord tacite dont il a bénéficié après ses vacances d’été. Nicolas Sarkozy peut lire des discours gaullistes contre la Banque centrale européenne et signer triomphalement la nouvelle copie du défunt « traité constitutionnel » tout en préparant le retour complet de la France dans l’OTAN.

Jacques Chirac, son maître en cynisme, faisait la même chose – le discours sur la fracture sociale ayant conduit, on s’en souvient, à une « gouvernance » ultra-libérale. Dans l’exercice démagogique, la capacité propre à Nicolas Sarkozy tient à l’effet de sidération qu’il produit. Son hyperactivité personnelle se branche parfaitement sur le média télévisé qui est, en lui-même, sidérant. Double effet, renforcé par la courtisanerie fascinée des principaux animateurs des journaux télévisés et radiodiffusés.

Cela a marché d’autant mieux que Nicolas Sarkozy a répondu à une demande justifiée : écœurés par tant d’années de gouvernance molle, nous rêvions tous d’une action authentiquement politique. Après la gestion à divers égards irresponsable de Jacques Chirac, comment ne pas donner sa chance à l’homme qui promettait d’être immédiatement et pleinement responsable ?

Nous n’avons jamais pris cette posture au sérieux, mais elle était crédible. La libération des infirmières bulgares, la signature du traité de Lisbonne (rédigé sous l’égide d’Angela Merkel), les violentes discussions avec les cheminots et le règlement de la grève des marins pêcheurs semblaient montrer que Nicolas Sarkozy avait une manière toute politique de régler les problèmes. Pour un peuple passionné de politique, le gain était inestimable car les autres (les chefs socialistes et toute la chiraquie) avaient affirmé qu’il n’y avait rien plus rien à faire face à la mondialisation.

Il a suffit de trois mois pour qu’apparaissent les paradoxes et les dangers de ce type d’intervention. L’activisme est le contraire de l’action. La gestuelle politique de Nicolas Sarkozy masque la négation du politique comme l’a montré Marcel Gauchet. Le nouvel élu se veut responsable de tout mais nous ne savons pas sur qui et sur quoi porte cette responsabilité. Pas de conviction, donc pas de projet. Pas de respect des principes, donc risque majeur de versatilité.

D’où le caractère paradoxal de la situation. Nicolas Sarkozy existe si puissamment qu’il croit possible d’occuper tout le terrain médiatique. Mais il n’y a pas de président de la République car son mode d’intervention est contraire au principe d’arbitrage et viole les règles qui organisent le jeu des pouvoirs. Le nouvel élu agit comme Premier ministre et occupe tour à tour diverses fonctions ministérielles mais il est aussi l’avocat ramenant des clients du Tchad, le champion de diverses causes humanitaires … et le président du parti dominant.

Sous le volontarisme des propos, masque les reculades et les abandons : Nicolas Sarkozy a renoncé à se faire attribuer par réforme constitutionnelle la définition de la politique de la Nation ; il paraît vouloir mater à la Thatcher les syndicats mais il négocie en coulisses avec leurs dirigeants. Surtout, il se plaint de l’euro fort mais il n’a toujours pas engagé la bataille contre la Banque centrale européenne.

Le mélange d’autoritarisme et de laxisme est toujours affolant. Il l’est d’autant plus que le bonapartisme (style Pont d’Arcole) susceptible d’emballer les Français (oui nous aimons qu’on brandisse le drapeau tricolore sous la mitraille) sert à imposer les recettes ultralibérales que, dans sa grande majorité, le peuple français rejette depuis un quart de siècle avec constance et détermination.

La France, sous Jacques Chirac, n’avait pas d’opposition démocratique. Elle n’a plus de président. Nous devons prendre peur, face à ce vide politique croissant.

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Editorial du numéro 914 de « Royaliste » – 26 novembre 2007

 

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