Irak : les leçons d’une guerre perdue

Déc 29, 2008 | Chemins et distances

En Irak, les Américains ont été incapables de prolonger leur succès militaire d’avril 2003 par l’institution d’un pouvoir politique capable d’assurer la paix et de maintenir l’unité du pays. Ils ont ainsi provoqué un chaos qui s’est aggravé en raison d’erreurs qu’il est indispensable de méditer.

Les leçons de la guerre menée par les Américains en Irak ne sauraient être tirées pour fustiger une fois de plus George Bush et les autres responsables du désastre. Nous assistons depuis plusieurs années à une nouvelle révolution dans l’art de la guerre, qui a surprisles militaires américains et israéliens et dont nous devons tirer toutes les conséquences dans la formulation de notre propre doctrine militaire.

Le lieutenant-colonel Michel Goya est à cet égard particulièrement qualifié. Breveté du Collège interarmées de défense, fort de son expérience dans nos unités combattantes, il a travaillé au Centre de doctrine de l’emploi des forces et nous lui devons une étude capitale sur la récente guerre du Liban (1). Comme le général Desportes (2), Michel Goya illustre un paradoxe que nous avons déjà souligné : alors que les politiques se signalent par leur inintelligence de la chose militaire, les militaires français développent aujourd’hui une conception politique de la stratégie et de la tactique militaires.

C’est à la lumière de cette nouvelle doctrine de la guerre probable (la guerre avec engagement au sol et non plus seulement l’indispensable défense nationale fondée sur la dissuasion nucléaire) que Michel Goya examine la deuxième intervention américaine en Irak (3). L’aveuglement politique des dirigeants américains ne signifient pas qu’ils visaient en 2003 des objectifs strictement militaires. Mais l’opération menée en Irak est l’exact contraire des interventions habituelles des puissances occidentales : au lieu d’intervenir dans une situation de désordre pour rétablir l’ordre (dans maints pays africains) les Américains ont formé une Coalition pour détruire l’ordre tyrannique établi afin d’instaurer la démocratie.

Ainsi exprimée, et répercutée à tous vents par la propagande occidentaliste, l’intention était louable. Mais dans cet Irak tout à coup libéré de Saddam Hussein, les Américains ont agi de telle manière qu’ils ont créé un immense chaos qui ne laisse aucun espoir aux démocrates. Toutes les erreurs ont été commises et dans tous les domaines – même si certaines ont été corrigées, même si certains officiers, comprenant la situation et sachant en tenir compte, ont obtenu des résultats positifs dans leur zone d’action.

Quant aux principaux facteurs de la catastrophe irakienne, il importe de retenir :

-le primat de l’idéologique (la guerre pour imposer la démocratie) sur le souci éminemment politique d’un pouvoir légitime à instaurer aussi vite que possible. Les Américains n’ont pas compris que la guerre n’était pas faite pour détruire et pour tuer (ou le moins possible) mais pour établir la paix par le moyen d’une institution politique capable de susciter l’adhésion populaire. La constitution d’un gouvernement irakien et l’organisation d’élections sont intervenues trop tard dans un pays qui avait déjà implosé. Même lenteur quant à la mise en œuvre des forces nécessaires à l’autorité de l’Etat – les policiers et les militaires irakiens n’offrant aujourd’hui encore que de très faibles garanties quant à leur fidélité au régime.

-La naïveté des dirigeants qui ont pensé que le peuple irakien accueillerait les soldats de la Coalition en sauveurs. La brutalité des militaires américains, l’indifférence et le mépris dans lesquels ils tenaient la population, l’usage de la torture et des internements arbitraires ont rapidement provoqué une montée de la colère et de la haine qui a été utilisée par les divers groupes de l’opposition armée. Quant on a voulu réparer les dégâts (par des cours sur la culture arabe, sur la politesse…) il était trop tard.

-Cette indifférence au pays conquis a entraîné une mauvaise appréciation des divers éléments qui entraient en résistance et une sous-estimation de leurs capacités militaires. Les Américains ont cru que leurs avions, leurs blindés et des moyens électroniques de plus en plus performants leur permettraient de vaincre leurs ennemis. Avec des moyens dérisoires (voiture bourrée d’explosifs, télécommandes pour jouets…), les groupes rebelles ont toujours un temps d’avance sur les Américains et leur ont infligé des pertes sérieuses. Nationalistes ou religieux (souvent les deux à la fois) les Irakiens insurgés étaient animés de convictions leur donnant un courage inouï, ils combattaient pour leur pays ou pour leur territoire, parmi une population plus ou moins solidaire de leur combat. Or la guerre en milieu urbain est longue et très dure comme le montre Michel Goya dans l’excellent récit qu’il fait de la prise de Falloujah.

-Les milliards de dollars dilapidés dans des opérations manquées de reconstruction du pays et le recours à des dizaines de milliers de mercenaires n’ont rien arrangé – au contraire. En Irak comme ailleurs, la financiarisation et la privatisation ont été désastreuses…

Tirons les leçons de ce constat accablant en songeant, tout d’abord, à l’Afghanistan.

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(1) cf. Michel Goya, « Dix millions de dollars le milicien », revue Politique étrangère, printemps 2007.

(2) Vincent Desportes, La guerre probable, Penser autrement, Economica, 2007. 18 €.

(3) Michel Goya, Irak, les armées du chaos, Economica, 2008. Préface du général Vincent Desportes. 33 €.

 

Article publié dans le numéro 938 de « Royaliste » – 2008.

 

 

 

 

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