Iran : La révolution des œufs

Jan 9, 2018 | Chemins et distances

 

Du 28 décembre au 3 janvier, de violentes manifestations ont secoué l’Iran et fortement inquiété le gouvernement. Les mollahs peuvent remercier Donald Trump qui leur a fourni tout l’argumentaire dont ils avaient besoin pour organiser leur riposte.

Ce mouvement sans chefs, les manifestants l’ont appelé « révolution des œufs ». C’est dire que les manifestations qui se sont déroulées dans une quarantaine de villes étaient provoquées par la situation économique et sociale. La cause directe de la colère, ce fut la réduction des aides sociales en faveur des retraités et l’augmentation du prix de l’essence et des œufs comme l’explique dans Le Monde (3 janvier) Stéphane Dudoignon, fin connaisseur de l’Iran.

Cette réaction est le signe d’un mécontentement profond d’une partie de la population iranienne, qui subit une situation économique très difficile et qui ne voit pas d’amélioration malgré l’allègement des sanctions internationales en 2015. D’où les slogans lancés contre le président Rohani, qui avait suscité de grands espoirs lors de son élection.

Les manifestations ont pris très vite un tour politique et nettement antireligieux. L’intervention militaire en Syrie a été dénoncée par des manifestants qui criaient « Mort au Hezbollah ». Des centres religieux ont été incendiés et le guide suprême, Ali Khamenei, a été insulté. Une partie de la population iranienne n’a jamais accepté la pudibonderie officielle, l’imposition du voile et la proscription de l’alcool. Les défis aux mollahs et à la police religieuse étaient individuels. Ils sont devenus massifs et expriment un très large rejet de l’islamisme et même de l’islam. Quand les mollahs perdront le pouvoir, on s’apercevra qu’une partie de l’Iran a basculé dans l’athéisme.

Sur les réseaux sociaux, certains royalistes se sont excités en lisant que des slogans monarchistes avaient été entendus : Pahlavi ! Pahlavi ! Réza shah, rois des rois ! Faut-il y voir l’amorce d’un mouvement de restauration monarchique ? Une extrême prudence s’impose. La monarchie autoritaire, policière et corrompue de Mohammad Réza avait été balayée par un immense mouvement populaire (1) et l’invocation du fondateur de la dynastie Pahlavi lors des récentes manifestations s’est faite en référence au laïcisme de ce grand admirateur de Mustapha Kemal (2).

Complexe et violemment réprimé – vingt et un morts – le mouvement se développait lorsque le président des Etats-Unis a décidé de lui apporter son soutien. Dans un tweet du 3 janvier, Donald Trump déclarait avoir « Enormément de respect pour les Iraniens au moment où ils essayent de reprendre le contrôle de leur gouvernement corrompu. Vous verrez un grand soutien de la part des Etats-Unis le moment venu ! ».

Avec son sens exceptionnel de la diplomatie et la finesse politique que le monde entier lui reconnaît, l’agité de la Maison blanche venait de faire un formidable cadeau aux mollahs, trop heureux de dénoncer l’intervention des impérialistes américains, le rôle subversif des « agents de l’étranger » et le caractère réactionnaire de l’opération de déstabilisation du pouvoir – car, de son côté, le prince Réza, fils du dernier shah, avait multiplié les messages de soutien aux manifestants.

Le 4 janvier, le mouvement de rue s’est arrêté, et les démonstrations massives des partisans du régime ont montré que l’Iran était un pays profondément divisé du point de vue politique et religieux. Pour les dirigeants de la République islamique, l’avertissement est grave et il y aura probablement d’autres mouvements de protestation. Dans ce cas, il vaudrait mieux que les Etats-Unis se contentent d’observer les événements – vœu parfaitement pieux tant que Donald Trump habitera la Maison blanche.

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(1) Houchang Nahavandi, Yves Romati, Mohammad Réza Pahlavi, Le dernier shah /1919-1980, Editions Perrin, 2012 et notre article dans le numéro 1034 de « Royaliste ».

(2) Pierre-Jean Luizard, Laïcités autoritaires en terre d’islam, Fayard, 2008.

Article publié dans le numéro 1136 de « Royaliste » – 9 janvier 2018

 

 

 

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