L’économie politique internationale de la crise et la question du « nouveau Bretton Woods » :
Leçons pour des temps de crise[1]
Jacques SAPIR[2]
Le thème du « Nouveau Bretton Woods » a été au centre des discussions qui ont entouré la préparation du sommet du G-20 du 15 novembre 2008 à Washington. Ce thème était apparu déjà lors de la crise financière de 1997-1999 qui avait touché en priorité les pays émergents et en développement. Le retour apparent à la normale à partir de 2000 l’avait fait disparaître des débats publics, même s’il était évident que rien n’avait fondamentalement changé en ce qui concernait les désordres monétaires et financiers mondiaux.
La violence particulière de la crise financière mondiale qui s’est déclenchée en 2007 à partir des Etats-Unis, et qui a connu une forte accélération à partir de septembre 2008, a donné à ce thème une nouvelle actualité. Une telle problématique a été portée par des dirigeants politiques de bords opposés en France (de Mme Ségolène Royal au Président Nicolas Sarkozy, en passant par Lionel Jospin), mais aussi en Italie et en Russie et dans bien d’autres pays.
L’action de la France, exerçant la Présidence de l’UE pour le second semestre 2008 a ainsi abouti à la convocation d’une réunion du G-20 à Washington au 15 novembre sur le thème d’une réforme du système monétaire international. Ce sommet a donné des résultats plus que décevants, ce qui était prévisible. Cela ne signifie pas que la problématique de la réforme du système monétaire et financier international soit définitivement enterrée.
Pour comprendre les enjeux des discussions qui s’annoncent, il convient de comprendre dans quelles conditions ont été tout d’abord préparés puis signés et mis en oeuvre les accords de Bretton Woods et comment ils se sont peu à peu délités pour aboutir à la situation que l’on connaît depuis les années 1980.
La désintégration du cadre fixé par Bretton Woods a permis aux Etats-Unis d’affirmer leur hégémonie monétaire au moment même où les bases économiques et géopolitiques de cette hégémonie devenaient progressivement de plus en plus discutables et discutées. Ceci constituait un facteur d’instabilité, ce que Keynes avait prévu dès 1941 et qu’il avait tenté justement de prévenir par l’idée d’une unité monétaire commune internationale. Ce phénomène d’instabilité a été amplifié par la mutation des institutions qui avaient été mises en place à l’époque, le FMI et la Banque Mondiale. À partir de la « crise de la dette » de 1982, elles se transformèrent en instruments d’une libéralisation financière et économique toujours plus poussée au service d’une idéologie néo-libérale dont le « Consensus de Washington » reste aujourd’hui le plus connu des symboles[3]. On peut cependant montrer que le lien entre l’ouverture extérieure et une croissance stable est pour le moins douteux[4]. Le système monétaire international régressa alors vers une situation d’instabilité systémique dont la crise de 1997-1999 fut le point d’orgue, en Asie, en Russie[5], mais aussi en Amérique Latine.
L’instabilité systémique conduisit alors un nombre croissant de pays à mettre en œuvre des stratégies unilatérales de précaution, passant par une accumulation excessive de réserves de change. De telles stratégies ne furent possibles que par des politiques de prédation sur le commerce international, qui induisirent dans les pays développés une forte déflation salariale. Cette dernière a abouti simultanément à l’endettementdes ménages et à la baisse de leur solvabilité. Dans un contexte marqué par la libéralisation financière cet endettement suscite une explosion de l’innovation financière. On a ici les causes profondes de la crise actuelle qui était le type même de situation que les propositions originelles de Keynes visaient à empêcher.
Opérer un retour sur les débats qui ont entouré la naissance des accords de Bretton Woods ainsi que leur application permet de mieux comprendre les enjeux de la construction d’un système alternatif. Ceci permet aussi de clarifier un certain nombre d’erreurs qui circulent quant au protectionnisme ou aux contrôles sur les mouvements de capitaux, deux points qui figurent en bonne place dans les propositions de Keynes. C’est pourquoi le présent texte est structuré en 6 sections.
La première analyse la dimension internationale de la crise actuelle, soit l’impact du désordre monétaire et financier international dans la création des conditions qui ont rendu cette crise possible. On peut montrer que la crise du marché hypothécaire américain s’inscrit dans un contexte global qui en explique à la fois la violence et l’extension aux autres économies. La déflation salariale que l’on observe dans les économies développées peut être directement reliée aux désordres monétaires et financiers internationaux et à une de leurs plus spectaculaires conséquences, la crise de 1997-1999.
La seconde section est consacrée à l’analyse des désordres monétaires et financiers des années 1920 et 1930, dans la mesure où les participants à la conférence de Bretton Woods ont délibérément voulu éviter le retour à une telle situation. Une des principaux arguments dans les débats d’aujourd’hui est que la détérioration de la situation internationale à la fin des années 1930 serait due à la combinaison de ces deux mesures qui auraient engendré un effondrement du commerce international, conduisant à la guerre. Non seulement ceci montre l’ignorance épaisse de ceux qui profèrent de telles affirmations quant à la nature du Nazisme, mais encore ceci est contrefactuel du point de vue de l’histoire économique.
La troisième section analyse les propositions de Keynes en faveur d’une reconstruction d’un système financier et commercial international, telles qu’elles ont émergé de l’automne 1941 à l’été 1943. On peut ici montrer que ces propositions offraient un cadre bien plus cohérent de réponse aux défis d’un ordre économique international que ce qui fut inscrit dans les accords de Bretton Woods.
La quatrième section analyse les accords et le conflit entre la position de Keynes et celle des autorités américaines. Le processus dit de Bretton Woods ne s’arrêta pas avec la fin de la conférence elle-même en juillet 1944, mais se poursuivit dans le cadre des négociations portant sur les conditions d’application de cet accord. Ce dernier, s’il avait été appliqué aurait abouti à un désastre. La Guerre Froide a permis un pivotement important dans la politique du gouvernement américain qui se rallia à une solution pour l’Europe Occidentale, l’Union Européenne des Paiements qui était plus proche des positions de Keynes que de celles des accords de Bretton Woods. Ces derniers semblent n’avoir été efficaces que dans la mesure où ils n’étaient pas appliqués.
La cinquième section traite de la période qui va de 1958 à 1973 et où, avec la reconstruction de l’Europe, mais aussi une première détente entre les Etats-Unis et l’URSS, le cadre de Bretton Woods a été réellement mis en œuvre. Ceci provoqua une crise, et conduisit à un affrontement entre la France et les Etats-Unis. La dislocation du cadre des accords de 1968 à 1973 conduisit au désordre monétaire actuel avec les crises que l’on connaît.
La sixième section tente de tirer les leçons des cinquante dernières années (1958-2008) pour déterminer ce que devraient être les points centraux d’une réforme susceptible d’aboutir à un cadre assurant croissance et stabilité pour le plus grand nombre.
Les sources internationales de la crise actuelle.
À l’origine de la crise que nous connaissons, on trouve l’instabilité intrinsèque de la finance libéralisée qui avait déjà provoqué la crise de 1997-1999. Elle a été un moment traumatique de la finance internationale, et tout particulièrement en Asie et en Russie. L’analyse des sources internes de la crise financière actuelle que l’on a développée par ailleurs, pour des raisons d’économie de temps, faisait l’impasse sur l’économie politique internationale qui a entouré la mise en place du phénomène de dépression salariale qui a conduit à l’emballement de l’endettement des ménages dans certains pays, puis à la circulation de dettes de qualité douteuse dans la finance internationale.
Si les politiques économiques de chaque pays considéré a eu sa part de responsabilité, la politique américaine est très certainement celle qui a eu l’impact le plus fort, en raison justement du rôle particulier que jouent les Etats-Unis dans le système monétaire et financier international depuis Bretton Woods.
La libéralisation financière internationale et ses conséquences.
La politique américaine a largement consisté en la mise en œuvre des prescriptions néo-libérales dans la finance et le commerce à l’échelle mondiale. Ce sont les Etats-Unis qui ont fait pression sur le FMI pour que celui-ci inscrive dans ses statuts l’obligation d’une convertibilité en compte de capital là où il n’y avait auparavant – et Keynes y avait veillé de toutes ses forces déclinantes – qu’une convertibilité de compte courrant. La différence entre les deux notions est pourtant essentielle. Dans la seconde, on met l’accent sur les flux de devises qui sont la couverture de transactions réelles, d’échanges de biens et services, de flux touristiques ou qui encore correspondent aux rapatriements des revenus des migrants. Dans la première notion ce sont toutes les opérations en portefeuille, tous les instruments possibles de spéculation, qui deviennent autorisés. Le FMI reconnaît aujourd’hui que ces flux financiers n’avantagent en rien la croissance des pays en développement[6]. Ceci avait été montré presque dix années plus tôt par Dani Rodrik, qui ne fut ni entendu ni même écouté[7]. De la même manière, le FMI se fit l’apôtre d’une ouverture de tous les marchés financiers aux innovations financières, qui justifiaient à ses yeux cette libéralisation totale des mouvements de capitaux, que le sommet du G-20 du 15 novembre vient encore de sanctifier. En 2008, ici encore, le FMI reconnaît son erreur et on peut lire dans le rapport annuel sur la stabilité du système financier :
« …certains produits complexes et a niveaux multiples ont ajouté peu de valeur économique au système financier. Au-delà, ils ont très probablement exacerbé la profondeur comme la durée de la crise »[8].
On connaît bien en psychiatrie le syndrome du pompier pyromane. Du moins une telle personne, dans les tréfonds de sa maladie ne prétend-elle pas détenir une quelconque vérité scientifique. En réalité, les principales recherches théoriques mettaient en garde contre l’illusion d’une efficience des marchés financiers[9]. Keynes, ici encore, le savait bien lui qui, tout en étant théoricien avait aussi été un grand praticien de ces marchés en tant qu’administrateur de fonds de pension. La libéralisation financière dont on nous a tant vanté les charmes était donc bien ce sommeil de la raison qui engendre des monstres.
Les monstres en question, ce furent ces crises à répétition qui scandent l’histoire de la finance libéralisée depuis les premières mesures des années 1980, de la crise des caisses d’épargne américaines de 1990-1991 jusqu’à la crise de 1997-1999. Celle-ci ne fut pas la dernière, puisque nous en vivons une nouvelle, et une pire. Dans le cours de cette crise, la faillite du fonds spéculatif Long-Term Capital Management condensait en un seul exemple la plupart des pathologies qui ont été à l’œuvre entre 2002 et 2007 dans le processus conduisant à la crise du marché hypothécaire américain et des produits financiers dérivés qui en étaient issus[10]. En dépit des beaux discours de l’époque, en particulier sur la faillite des procédures de notation, qui devait se vérifier à nouveau lors de la faillite d’Enron[11], nulle leçon n’en fut tirée. Les avertissements, pourtant, n’avaient point manqué[12].
Les conséquences à long terme de la crise de 1997-1999.
La crise de 1997-1999 marqua un changement de régime dans l’ordre financier international[13]. C’est en effet cette crise de 1997-1999, on doit s’en souvenir, qui a conduit de nombreux pays à se doter de réserves en devises excessives pour se prémunir contre cette instabilité. Cette politique a un coût interne non négligeable, qui pourrait être évité si l’on avait un système financier international moins dysfonctionnel[14]. La croissance des pays qui ont eu recours à cette stratégie aurait pu être mieux équilibrée, tant sur le plan social qu’écologique. Mais, il y a aussi un coût pour l’ensemble du système, et c’est lui qui nous conduit à la crise présente comme on le voit dans le Graphique 1.
Pour pouvoir accumuler les devises dans les quantités voulues, ces pays ont été poussés à développer des politiques prédatrices sur le commerce international. Celles-ci ont été mises en oeuvre par des dévaluations très fortes, des politiques de déflation compétitive et en limitant leur consommation intérieure. Ces politiques, à travers le cadre du libre-échange généralisé que les participants du sommet du G-20 entendent justement maintenir, a induit un puissant effet de déflation salariale dans les pays développés. Cet effet s’est propagé par la menace des délocalisations conduisant les salariés à accepter des conditions sociales et salariales toujours plus dégradées au nom de la préservation de l’emploi.Cette déflation salariale a d’ailleurs été fortement aggravée par l’irruption des logiques financières au sein des entreprises du secteur réel de l’économie, à travers des procédures comme le rachat d’entreprises par endettement à effet de levier (le leveraged buy-out ou LBO).
Graphique 1
Enchaînements économiques de l’international au national
De telles procédures ont abouti à une domination des logiques financières, avec des exigences de rendement très fortes, sur l’économie réelle. On peut classer d’ailleurs dans un des effets collatéraux de la déflation salariale l’accroissement des pathologies induites par le stress au travail qui résulte de la pression toujours croissante sur les salariés qui s’exerce à travers la combinaison des logiques financières et le chantage à la délocalisation[15]. S’il se confirme que ces pathologies ont un coût médical de 3{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} du PIB[16], le lien entre les logiques de déflation salariale qui sont issues de la combinaison des effets du libre-échange et de la financiarisation sur la détérioration des comptes sociaux en France et dans les principaux pays Européens serait bien établie. La prégnance croissante de la déflation salariale a induit des réactions différenciées suivant les économies et les sociétés.
Les Etats-Unis ou le bonheur est dans la dette.
Aux Etats-Unis, la pression de la déflation salariale vient s’ajouter à une fiscalité fortement inégalitaire qui privilégie les très hauts revenus[17]. Ceci a abouti à une forte hausse de la part du 1{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} de la population le plus riche dans le total des revenus. Entre 2002 et 2007 la majorité des salaires ont ainsi stagné, un processus où la déflation salariale importée via le libre échange a joué un rôle important[18], ce qui a conduit à l’explosion de la dette hypothécaire des ménages et l’insolvabilité de ces derniers qui sont à l’origine de la crise des « subprime ».
Graphique 2
Source : US Bureau of Economic Analysis.
Cette explosion de l’endettement a été facilité par la politique monétaire, très expansionniste, et par la déréglementation bancaire, qui a permis le développement rapide de la titrisation et en particulier des titres adossés sur des dettes, les Collateralized Debt Obligations et les Collateralized Loans Obligations[19]. Le métier des banques américaines a profondément changé durant cette période. L’endettement hypothécaire (qui atteint plus de 70{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} du PIB, pour un endettement total des ménages de 93{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} du PIB) est en effet la source principale de la hausse de la consommation à partir de 2000. En effet, la bulle spéculative immobilière qui gonfle à partir de 2002 permet aux ménages de constamment réamorcer leurs hypothèques pour obtenir de nouveaux crédits[20]. Ce mécanisme, que l’on appelle le home equity extraction va jouer un rôle déterminant dans la croissance américaine entre 2002 et 2007 (Cf. Tableau 1).
Tableau 1 :
Impact du crédit hypothécaire sur la croissance américaine.
Taux de croissance réel du PIB | Home Equity Extraction en {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des dépenses réelles de consommation | Contribution du HEE à la croissance en points de PIB | Taux de croissance du PIB recalculé sans le HEE | Taux de croissance recalculé sur la base de la moyenne du HEE 1990-1999 | Gains de croissance attribuable à la hausse du HEE | |
2002 |
1,6{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1,6{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1,1{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
0,5{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
0,80{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
0,80{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2003 |
2,5{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1,9{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1,3{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1,2{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1,51{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1,00{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2004 |
3,6{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1,8{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1,2{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2,4{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2,71{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
0,93{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2005 |
3,1{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2,4{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1,6{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1,5{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1,74{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1,33{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2006 |
2,9{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
3,3{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2,2{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
0,7{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
0,94{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1,93{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2007 |
2,2{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
3,3{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2,2{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
0,0{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
0,27{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1,93{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
Source : US Bureau of Economic Analysis et données de Fanny Mae.
La part du Home Equity Extraction dans les dépenses de consommation des ménages n’excédait pas 0,4{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} durant les années 1990. Ce chiffre s’accroît très brutalement à partir de 2002. Compte tenu de la relation entre la croissance de la consommation (presque totalement induite par le Home Equity Extraction) et la croissance du PIB, il est ainsi possible de recalculer la contribution de ce mécanisme à la croissance américaine,et l’on constate qu’elle a été considérable. Sans cette contribution, la croissance américaine aurait été comparable à celle de la zone Euro, et même un peu inférieure.
La croissance américaine a donc été portée pour l’essentiel par un mécanisme financier purement spéculatif, que l’on peut comparer aux « pyramides financières » du passé. C’est ce que l’on peut appeler le « bloc spéculatif de la finance américaine » (Cf : Graphique 1). Les prêts, facilités par l’ouverture des marchés financiers qui permettent une dissémination du risque, nourrissent la bulle immobilière, mais aussi celle des titres en Bourse. Les ménages américains, voyant leur patrimoine s’accroître, réduisent leur épargne et obtiennent de nouveaux prêts, aisément financés par un marché qui absorbent les nouveaux titres comme une éponge. Ces nouveaux prêts accélèrent le gonflement de la bulle immobilière et la hausse de la valeur apparente des actifs permet aux ménages de solliciter de nouveaux emprunts.
Ce mécanisme spéculatif ne peut donc que s’accélérer, jusqu’au moment de son inévitable chute. Néanmoins, pendant la phase d’accélération, il induit une croissance de l’économie américaine qui est largement artificielle comme on l’a montré. Cette croissance va alors induire unbrutal accroissement du déficit commercial américain après 1998 (Cf : tableau 2).
Tableau 2
Evolution de la balance commerciale des Etats-Unis depuis 1990.
Exportations en milliards de Dollars |
Importations en milliards de Dollars |
Solde commercial en milliards de Dollars |
PIB en milliards de Dollars (prix courants) |
Solde commercial en {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} du PIB |
|
1990 |
552,4 |
630,3 |
-77,9 |
5 803,1 |
-1,3{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1991 |
596,8 |
624,3 |
-27,5 |
5 995,9 |
-0,5{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1992 |
635,3 |
668,6 |
-33,3 |
6 337,7 |
-0,5{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1993 |
655,8 |
720,9 |
-65,1 |
6 657,4 |
-1,0{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1994 |
720,9 |
814,5 |
-93,6 |
7 072,2 |
-1,3{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1995 |
812,2 |
903,6 |
-91,4 |
7 397,7 |
-1,2{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1996 |
868,6 |
964,8 |
-96,2 |
7 816,9 |
-1,2{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1997 |
955,3 |
1 056,9 |
-101,6 |
8 304,3 |
-1,2{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1998 |
955,9 |
1 115,9 |
-160,0 |
8 747,0 |
-1,8{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
1999 |
991,2 |
1 251,7 |
-260,5 |
9 268,4 |
-2,8{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2000 |
1 096,3 |
1 475,8 |
-379,5 |
9 817,0 |
-3,9{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2001 |
1 032,8 |
1 399,8 |
-367,0 |
10 128,0 |
-3,6{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2002 |
1 005,9 |
1 430,3 |
-424,4 |
10 469,6 |
-4,1{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2003 |
1 040,8 |
1 540,2 |
-499,4 |
10 960,8 |
-4,6{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2004 |
1 182,4 |
1 797,8 |
-615,4 |
11 685,9 |
-5,3{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2005 |
1 309,4 |
2 023,9 |
-714,5 |
12 433,9 |
-5,7{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2006 |
1 467,6 |
2 229,6 |
-762,0 |
13 194,7 |
-5,8{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2007 |
1 640,3 |
2 353,0 |
-712,7 |
13 843,8 |
-5,1{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
Source : US Bureau of Economic Analysis et US Bureau of Labour & Statistics.
Comme pour l’évolution de l’endettement hypothécaire, on peut vérifier ici que 1998 constitue bien une date charnière entre deux logiques économiques distinctes.
Les conditions de reproduction du mercantilisme asiatique
Le déficit commercial américain constitue l’une des bases de l’excédent des pays Asiatiques qui se sont engagés dans les politiques prédatrices que l’on a évoquées au début de cette section. Normalement, l’afflux de devises devrait provoquer la hausse du taux de change des devises des pays concernés.
Pour maintenir les conditions de leur politique prédatrice, ces pays n’ont pas d’autre solution que de procéder à la stérilisation d’une grande partie de leurs gains. Celle-ci prend deux formes parallèles.
Les Banques Centrales des pays considérés vont acheter massivement des Dollars (et des Euros) afin de maintenir le cours de ces devises. Les réserves vont s’accroître massivement, ce qui était l’objectif initial, en réponse aux conséquences de la crise financière de 1997-1999. Une autre partie de ces gains sera stérilisée par le biais fiscal. L’excédent budgétaire alimentera alors l’émergence de Fonds Souverains.
Tableau 3 :
Évolution des réserves de change en milliards de US Dollars
Pays industrialisés
|
Pays en développement
|
Total
|
Part des pays en développement dans le total |
|
2001 |
863,7 |
1051,7 |
1915,4 |
54,9{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2002 |
930,0 |
1162,5 |
2092,5 |
55,6{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2003 |
1034,5 |
1345,0 |
2379,5 |
56,5{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2004 |
1116,9 |
1626,1 |
2743,0 |
59,3{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2005 |
1199,6 |
2085,4 |
3285,0 |
63,5{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
2006 |
1254,2 |
2496,7 |
3750,9 |
66,6{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
Mars 2007 |
1276,2 |
2645,6 |
3921,8 |
67,5{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
Note : La catégorie « pays en développement » inclut les pays du Moyen-Orient et la Russie.
Source : IMF, Annual Report 2007, Appendix I, Washington DC, 2008.
Cependant, même avec la stérilisation, les excédents commerciaux alimentent un effort soutenu des investissements dans les pays d’Asie, qui se traduit par une amélioration constante de la qualité de leurs exportations, accroissant ainsi leur compétitivité et par là la pression à la déflation salariale qu’ils exercent. Il faut noter que cette amélioration de qualité se fait plus rapidement que celle d’autres pays exportateurs, qui se trouvent ainsi menacés d’être évincé de leurs marchés naturels.
Tableau 4 :
Évolution de l’indice de similitude d’exportation avec l’OCDE
1972 |
1983 |
1994 |
2005 |
|
Taiwan |
0,14 |
0,17 |
0,22 |
0,22 |
Hong Kong |
0,11 |
0,13 |
0,17 |
0,15 |
Corée |
0,11 |
0,18 |
0,25 |
0,33 |
Singapour |
0,06 |
0,13 |
0,16 |
0,15 |
Chine |
0,05 |
0,08 |
0,15 |
0,21 |
Inde |
0,05 |
0,07 |
0,09 |
0,16 |
Mexique |
0,18 |
0,20 |
0,28 |
0,33 |
Brésil |
0,15 |
0,16 |
0,19 |
0,20 |
Argentine |
0,11 |
0,09 |
0,09 |
0,13 |
Source: P.K. Schott, “The relative sophistication of Chinese exports”, Economic Policy, n°55, Janvier 2008, pp. 7-40, p. 26.
Cette dynamique du « boc mercantiliste asiatique » (Cf : Graphique 1) montre bien que l’idée d’une stabilité de la division du travail à l’échelle internationale qui préserverait la majorité des emplois dans les pays développés n’est pas réaliste. La montée en qualité des exportations en provenance des pays ayant adopté des stratégies prédatrices menace à terme la totalité des emplois industriels et associés à l’industrie. L’effet de déflation salariale ne peut dans ces conditions qu’aller en s’accentuant.
Le processus d’Eurodivergence
La pression de la déflation salariale se fait aussi sentir en Europe. Elle s’y combine, pour les pays de la zone Euro, à la politique malthusienne de la BCE qui ajoute son poids aux forces dépressives importées[21]. Face à cette situation, on constate un éclatement du « modèle » européen autour de trois directions, ce que l’on appellera ici le processus d’Eurodivergence.
Certains pays ont suivi l’exemple américain (Espagne, Grande-Bretagne, Irlande). Ils ont adopté un modèle néo-libéral de l’économie financiarisée ouverte et tenté de maintenir la croissance par le recours à un fort endettement des ménages. Ce dernier, en 2007, a dépassé les 100{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} du PIB en Espagne et en Grande-Bretagne. Ce modèle économique a induit une forte montée des inégalités sociales, mais il a conduit aussi à des taux de croissance relativement plus élevés que dans les autres pays.
Graphique 3
Source : Données FMI et comptes nationaux.
Cependant, ce modèle était tout aussi insoutenable dans le long terme que le modèle américain, et les pays que l’on peut considérer comme des « clones » de ce modèle pâtissent aujourd’hui des mêmes maux. La Grande-Bretagne et l’Irlande ont connu une crise hypothécaire d’une violence comparable à la crise américaine, et cette crise a immédiatement contaminé l’ensemble de la structure bancaire de ces pays. La Grande-Bretagne a été contrainte de nationaliser une partie de ses banques pour éviter un effondrement. Ces deux pays devraient connaître une très forte récession en 2009 et sans doute 2010.
L’Espagne est dans une situation tout aussi mauvaise, et l’effondrement de l’immobilier et de l’industrie de la construction induisent aujourd’hui une contraction de l’activité économique qui est très spectaculaire.
L’Allemagne a réagi par une politique neo-mercantiliste. Celle-ci se caractérise par une délocalisation massive de la sous-traitance, tandis que l’assemblage lui est maintenu en Allemagne. On est ainsi passé, grâce à l’ouverture de l’Union Européenne aux pays d’Europe centrale et Orientale, de la logique du Made in Germany à celle du Made by Germany. Dans le même temps, le gouvernement allemand a transféré sur les ménages (via la TVA) une partie des charges qui pesaient sur les entreprises.
Si cette stratégie a permis de maintenir un fort excédent commercial, ce fut au prix d’une croissance faible en raison d’une demande intérieure déprimée. La croissance allemande aurait même était plus faible encore sans un accroissement inquiétant, ici aussi, de l’endettement des ménages. Le « modèle » allemand combine ainsi des éléments du modèle américain (une pression sur les revenus des ménages et une financiarisation importante de l’économie) et des éléments du modèle asiatique. Il n’est pas sur que cette combinaison soit réellement cohérente. L’Allemagne, on le voit aujourd’hui, a été brutalement rattrapé par la crise. Les banques allemandes sont en Europe parmi celles qui ont le plus souffert de la crise financière et subie les pertes les plus importantes. La contraction de l’activité s’annonce forte comme le laissait présager l’effondrement des anticipations des entrepreneurs depuis le printemps 2008.
Des pays comme la France et l’Italie ou encore la Belgique ont répondu à la pression de la déflation salariale par des politiques publiques qui ont été relativement plus actives que dans leurs voisins. C’est la raison pour laquelle ces pays passent pour les « mauvais élèves » de la zone Euro en raison de l’endettement des administrations. Cependant, l’endettement global de ces économies (ménages+entreprises+administrations) est loin d’être le plus catastrophique des pays de la zone.
Tableau 5 :
Comparaison de l’endettement total en 2006
France |
Allemagne |
Espagne |
Grande Bretagne |
Italie |
|
Dette totale en {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} du PIB |
181{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
192{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
227{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
224{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
208{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
Dette publique en {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} du PIB |
63{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
67{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
39{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
39{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
106{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
Source : BCE et comptes nationaux.
On constate ainsi que le discours sur le péril de la dette, qui donne lieu en France à des émissions de télévision qui confinent à la propagande[22], est en réalité très exagéré pour les soi-disant « mauvais élèves ». S’il y a aujourd’hui « péril de la dette », c’est du côté des ménages qu’il faut la chercher. Si la France et l’Italie ont des résultats de croissance moins brillants que les « clones » du modèle américain, la performance moyenne sur moyen terme n’est pas ridicule face à l’Allemagne.
Le point essentiel, cependant, est que les différences dans la structure d’endettement au sein de l’Europe sont un bon indicateur du phénomène d’Eurodivergence (Cf : Graphique 4).
Graphique 4 :
Différenciation des structures d’endettement en Europe
Source : Données de la BCE et comptes nationaux des pays considérés.
La dynamique de l’Eurodivergence se manifeste à l’intérieur de la zone Euro. On peut en effet retirer la Grande-Bretagne de l’échantillon sans que cela change le résultat. Ceci était visible dès 2003. Ainsi, Michel Aglietta, qui a certainement été parmi les économistes un des défenseurs les plus convaincus (et les plus convaincants) des avantages de l’Euro a reconnu que même si l’on assiste à une unification des marchés des dettes, les espaces qui continuent de porter une trace, même lointaine, de l’économie réelle (telles les Bourses) restent marqués par « la forte résistance des segmentations nationales« [23]. Le passage à l’Euro n’a pas entraîné d’unification des prix entre les pays de la Zone, ni même de convergence dans les dynamiques inflationnistes ou encore les relations entre l’inflation et la croissance[24]. Ceci renvoie, ici encore, à des éléments de l’économie réelle. Michel Aglietta est aussi obligé de constater que les principales avancées attendues de l’introduction de l’Euro ne se sont pas encore matérialisées. Il aurait dû à la fois accroître la croissance et préserver l’Europe des turbulences économiques extérieures. De son propre aveu, il n’en a rien été[25]. L’Euro n’efface pas les divergences nationales ni ne ralentit l’effritement du modèle social européen. Il en est ainsi non pas parce que l’Euro aurait été en soi et dès le début, une mauvaise idée, mais avant tout parce que le principe de la monnaie unique appliqué à des économies dont les structures – et donc la conjoncture – restent fortement hétérogènes était une erreur sans les moyens d’harmoniser rapidement ces structures[26].
Or, ces moyens n’existent pas. Il en résulte qu’il ne peut y avoir de politique monétaire unique pour l’ensemble des pays concernés. Ainsi, l’Euro fort pénalise lourdement l’économie française[27], ce qui a été confirmé par une étude récente de l’INSEE qui chiffre à 0,6{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} – 1{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} de croissance du PIB le coût net de la surévaluation de l’Euro[28]. On peut penser qu’un système européen où l’Euro eut été une monnaie commune chapeautant et encadrant des monnaies nationales dans un régime de changes fixes mais régulièrement ajustables, garanti par des contrôles sur les mouvements de capitaux, aurait été une réponse à la fois plus robuste et plus flexible.
Le désordre monétaire et financier international qui s’est instauré avec la décomposition du cadre issu de Bretton Woods a donc une responsabilité non négligeable dans l’accumulation des facteurs qui ont permis la crise actuelle. Du basculement des pays asiatique vers des politiques prédatrices en réaction à la crise de 1998, ce que l’on appelle dans le Graphique 1 le « bloc mercantiliste asiatique », au déploiement d’une finance purement spéculative aux Etats-Unis et enfin au processus d’Eurodivergence induits par l’impact de la déflation salariale issue du « bloc mercantiliste asiatique », les enchaînements sont à la fois parallèles et avec des tendances à se renforcer mutuellement.
Ces dynamiques rendent l’expansion actuelle de ce que l’on appelle la « mondialisation » insoutenable. Elles contribuent à approfondir la crise actuelle et à en accélérer la diffusion. Il n’y aura donc pas de solution réelle à la crise actuelle tant que l’ordre monétaire et financier international ne sera pas très sérieusement amendé. C’est ce qui donne toute sa légitimité à la question du « Nouveau Bretton Woods », et ce d’autant plus que les réflexions qui s’engagèrent dès 1941 pour aboutir, avec plus ou moins de succès, en 1944, partaient elles aussi du constat d’un échec dramatique de l’ordre monétaire et financier mondial.
C’est pourquoi il faut aujourd’hui revenir sur le processus qui donna naissance aux accords de Bretton Woods, leur application et les raisons de leur décomposition pour tenter d’éviter de reproduire les erreurs du passé.
Le contexte des accords de Bretton Woods.
Les accords de Bretton Woods ont été signés le 22 juillet 1944 après trois semaines de débats ininterrompus auxquels avaient participé 730 délégués représentants 44 pays dont l’Union Soviétique. Cette conférence, qui se tient alors que ni l’Allemagne ni le Japon ne sont encore vaincus, a pour objectif de préparer les conditions de la reconstruction des pays développés. Il s’agit alors, dans l’esprit des principaux négociateurs (dont J.M. Keynes pour la Grande-Bretagne) de ne pas répéter les erreurs qui ont suivi la fin de la 1ère Guerre Mondiale et de tirer les leçons de l’effondrement du système monétaire et financier mondial consécutifs à la crise de 1929.
Du Traité de Versailles à la Conférence de Gênes.
À la suite du Traité de Versailles en 1919, la réorganisation du système financier mondial avait été dominée par la question des « réparations » dues par l’Allemagne. Keynes s’était publiquement élevé contre le principe de ces réparations[29], estimant que ces dernières allaient créer une instabilité profonde dans le système financier mondial, et il avait même démissionné de la délégation britannique pour protester contre un accord dans lequel il voyait la matrice de catastrophes à venir.
Le Traité de Versailles fut suivi d’une importante conférence économique, la Conférence de Gênes qui se tint en 1922 et qui instaura le Gold Exchange Standard. Les pays pouvaient émettre de la monnaie non seulement à partir de réserves en or mais aussi de réserves en devises convertibles. De fait, le Dollar US et la Livre Sterling apparaissaient comme les seules devises capablesde compléter l’or dans les réserves des Banques Centrales. Keynes, très rapidement, se révéla aussi critique de ce principe, contestant en particulier le fait que l’or puisse servir de base de régulation à la liquidité dont l’économie mondiale avait besoin[30]. Il observa rapidement que le retour d’un lien à l’or avait des conséquences dépressives importantes sur les économies occidentales. Il fut en particulier très critique du retour à la convertibilité-or de la Livre Sterling au milieu des années 1920 sous l’impulsion de Winston Churchill, acte dans lequel il voit la source des problèmes que la Grande-Bretagne rencontre à l’époque[31].
Dans l’esprit de Keynes – qui commence à travailler sur l’organisation du système de l’après-guerre dès 1941- comme pourle négociateur américain, Harry Dexter White, il fallait éviter de créer des déséquilibres structurels dans le système. Pour Keynes, ceci avait été le cas avec les réparations fixées à Versailles et les différents plans (plan Dawes et plan Young) qu’il avait fallu mettre en place pour assurer le paiement de ces réparations.
Les conséquences de la crise de 1929
Le second point crucial pour la réflexion qui donnera lieu aux accords de Bretton Woods concerne les conséquences internationales de la crise de 1929 et l’effondrement du commerce international qui avait suivi.
La crise boursière américaine a engendré une crise bancaire extrêmement importante. Elle pousse les institutions financières américaines à brutalement rapatrier les capitaux qu’elles avaient placé en Europe dans les années 1920. L’endettement international à court terme qui représentait 14 milliards de Dollars (or) au début de 1930 tombe à 5,4 milliards au début de 1933. Cette contraction très brutale déséquilibre immédiatement les banques en Allemagne et en Europe Centrale.
La faillite de la Credit Anstalt de Vienne le 14 mai 1931 va contaminerl’ensemble de l’Europe Centrale mais aussi les banques Allemandes[32]. La crise bancaire devient mondiale et accélère une crise des liquidités internationales.
En réaction, les principaux pays vont progressivement abandonner le Gold Exchange Standard, puis introduire des mesures qui iront du simple protectionnisme à des systèmes pratiquement autarciques (Allemagne, Italie).
Il est souvent affirmé que les mesures de sauvegarde monétaires et commerciales prises à la suite de la crise de 1929 avaient contribué à l’aggraver en provoquant un effondrement du commerce international. La contraction de ce dernier est une évidence, mais ses causes sont à chercher plus dans la contraction de la liquidité internationale que dans les mesures de sauvegarde prises par les pays.
La contraction de la liquidité est en effet concentrée sur 1930 (-35,7{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163}) et 1931 (- 26,7{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163}). Une mesure simple de la contraction du commerce réside dans le tonnage de fret maritime inemployé. On voit la proportion du tonnage inemployé augmenter rapidement jusqu’à la fin du 1er trimestre 1932 puis baisser. Elle se stabilisera par la suite.
Tableau 6
Dynamique de la contraction du commerce international via le fret maritime
Date | Part du tonnage maritime inemployé |
30 juin 1930 |
8,6{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
31 décembre 1930 |
13,5{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
30 juin 1931 |
16,0{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
31 décembre 1931 |
18,0{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
30 juin 1932 |
20,8{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
31 décembre 1932 |
18,9{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} |
Source : données de la SDN, Bulletin Économique, 1933, Genève
L’essentiel de la contraction du commerce se joue entre janvier 1930 et juillet 1932, soit avant la mise en place des mesures protectionnistes, voire autarciques dans certains pays. La pratique des dévaluations compétitives est, quant à elle, une réponse à la pénurie de liquidités internationales qui se manifeste durant 1930.Celle-ci oblige de nombreux pays, confrontés à des sorties brutales de devises et d’or induites par la crise des banques américaines et au rapatriement des capitaux qui s’en suit, à tenter de dégager un solde commercial excédentaire à tout prix afin de dégager de cette manière les liquidités nécessaires.
Les dévaluations qui ont lieu entre 1931 et 1934 sont excessives en raison du fardeau qui pèse sur la balance commerciale qui devient en l’absence de source internationale de liquidité, la seule variable d’ajustement possible. Dans ces conditions, les mesures de sauvegarde qui sont souvent critiquées n’apparaissent pas comme une cause mais comme une conséquence. Il faut noter que les accords de règlement bilatéral qui vont se mettre en place à partir de 1934/35, et qui sont souvent très critiqués, ont en réalité permis le maintien d’un flux de commerce international. Si de tels accords constituent des freins dans une période d’expansion de l’activité économique, ils sont des filets de sécurité en période de récession.
La lecture rétrospective de la contraction du commerce international des années 1930 qui met en accusation les politiques protectionnistes et les dévaluations se trompe (de bonne ou de mauvaise foi) de cibles[33]. Quant à prétendre que ces mesures économiques auraient été les causes de la seconde Guerre Mondiale, il faut soit une profonde méconnaissance de la nature du Nazisme et du Fascisme – et l’on rappelle qu’il y a dans l’Allemagne Nazie une dimension pathologique spécifique [34] – soit une mauvaise foi qui est du même ordre que celle des auteurs Négationnistes. Le Nazisme n’est pas une radicalisation du nationalisme allemand de la période de Guillaume II, mais sa négation[35].
L’analyse des données montre que le commerce se contracte avant tout en raison de la contraction des liquidités, et ceci bien avant que n’interviennent les mesures qui sont mises en cause. Cette contraction du commerce confronte alors un certain nombre de pays à une contrainte dramatique de balance des paiements. Faute d’un système international susceptible de fournir les liquidités nécessaires, et pour ne pas se trouver en état d’insolvabilité, certains pays vont chercher à tout prix à limiter leurs importations non-essentielles et à accroître leurs exportations pour se procurer les devises nécessaires aux importations essentielles. Les politiques de semi-autarcie et de dévaluation sont des réactions à une situation donnée. Elles ne l’ont pas créée. Sans ces mesures, et compte tenu de l’absence d’une source internationale de liquidités, les conséquences pour certains pays auraient été pires, avec un effondrement de pans entiers de l’appareil productif engendrant une chute du commerce internationale encore plus grande que celle qui fut historiquement enregistrée.
De ce point de vue, les méthodes utilisées à l’époque, et souvent très critiquées aujourd’hui comme le recours à des accords bilatéraux de troc ont en réalité permis une stabilisation de la situation. Ceci se retrouve dans le cas de la crise économique que la Russie a connue entre 1992 et 1998, et qui est en partie une crise de pénurie de liquidité induite par des politiquesmonétaires excessivement restrictives. Le troc, qui se développe fortement entre 1994 et 1998 a joué le rôle d’un filet de sécurité qui a empêché un effondrement total de l’économie[36].
La période des années 1930 a joué un rôle décisif dans la maturation des réflexions sur ce que devait être un système international monétaire et commercial. On doit se souvenir que les leçons que Keynes en tira allaient dans trois directions.
Il déduisit des processus du début des années 1930 l’importance capitale de l’alimentation en liquidité du système international. Ceci le renforça dans son opposition à toute forme d’étalon or.
Il évolua d’une position plutôt favorable au libre-échange vers une position admettant non seulement des formes de protectionnisme comme système permanent mais aussi des formes de protection se rapprochant de l’autarcie en cas d’urgence. Une leçon clairement tirée par Keynes est que le libre-échange a épuisé son contenu positif au XXe siècle.
La troisième direction, et qui est sans doute la plus importante, est que si une coordination entre États est nécessaire, celle-ci ne doit pas empêcher de mener des politiques nationales qui sont les seules légitimes. Toute architecture de coordination doit donc préserver cette liberté d’action ou être condamné à l’échec.
La réflexion de Keynes ira ainsi en s’approfondissant dans ces trois directions dans la période où il commence à travailler à l’organisation possible du cadre économique du monde une fois la paix revenue.
Keynes et la préparation des accords de Bretton Woods.
Le système de Bretton Woods est issu de la volonté des pays qui avaient constitué la grande alliance anti-Nazie et anti-Fasciste de 1939 à 1945 de créer un système mondial venant se substituer à l’effondrement de la Livre Sterling comme « Devise-Clé » et à permettre au commerce mondial de se développer de la manière la plus profitable pour tous. On ne doit jamais oublier que la conférence de Bretton Woods, dont l’URSS fut partie prenante comme observatrice, se tint en parallèle avec la conférence de La Havane sur les règles commerciales.
Le système de Bretton Woods tel qu’il émergea traduit un affrontement violent entre la conception des Etats-Unis qui souhaitaient (et réussirent) à imposer leur conception de l’ordre mondial et celle de l’économiste J.M. Keynes, qui dirigeait la délégation britannique et tenta de faire valoir une vision plus globale qu’il avait élaboré depuis 1941[37].
Keynes et la réforme de l’ordre monétaire international
Keynes concevait le système de l’après-guerre comme devant assurer trois conditions. La liquidité internationale devait être garantie quelles que soient les conditions, ce qui impliquait que ni l’or ni la monnaie d’un pays ne puissent être à la base du système. Ce système devait aussi décourager les politiques de prédation sur le commerce international ainsi que les politiques visant à faire refinancer ses propres déficits par son voisin. Enfin le système devait laisser aux pays la plus grande liberté possible pour mener des politiques de plein-emploi et de développement.
Ces trois conditions avaient des implications très concrètes, qui furent détaillées par Keynes dans de multiples documents, et qu’il précisa à nouveau dans un débat public à la Chambre des Lords en 1943[38].
La première condition impliquait une rupture globale avec le système qui avait prévalu jusque-là. Keynes avait été un critique précoce du Gold Exchange Standard. Il s’était rallié dès 1938 à l’idée d’une monnaie internationale (connue sous le nom de BANCOR) et qui avait été avancé par d’autres économistes. Pour Keynes cette monnaie internationale, qui aurait été défini mais non-convertible en or car Keynes est très précis dans son analyse condamnant le recours à l’or ou a tout autre métal comme étalon monétaire[39], aurait été une pure monnaie bancaire. Le but était de pouvoir appliquer aux relations commerciales internationales les mêmes règles de financement que celles qui existent dans le cadre d’une économie fermée. Cette monnaie internationale aurait été gérée par un organisme mondial dépendant des Nations Unies dans le cadre d’une Union Monétaire. La gestion du BANCOR ne prenait sens que dans la logique d’un système international des règlements. Ceci conduisait Keynes à préconiser la mise en place d’une Banque des règlements (BR) qui aurait crédité directement les Banques Centrales des pays membres en BANCOR (convertible dans les devises nationales) en fonction des besoins. Ceci impliquait que la Banque des Règlements disposât de sommes importantes au départ et que des règles de comportements entre pays membres soient établies.
Keynes aura en 1943 l’occasion de souligner que la Banque des Règlements et l’Union Monétaire Internationale (International Currency Union) ne sont pas des substituts à une banque de développement et de reconstruction dont il envisage rapidement la nécessité[40]. La question de l’aide au développement est donc bien séparée de celle du rétablissement des conditions du commerce international, contrairement à ce qui sera la position américaine et à la confusion actuelle qui veut que le commerce soit la forme principale de l’aide au développement.
La seconde condition concernait les incitations conduisant à réguler les comportements. Keynes estimait que les excédents comme les déficits devaient être également pénalisés. Un pays en excédents aurait été créditeur à la Banque des Règlements. Il aurait dû payer des intérêts sur son solde créditeur tout comme un pays en déficit aurait dû payer des intérêts sur un solde débiteur. Cette règle devait s’accompagner de règles parallèles en matière de commerce. Si Keynes était opposé aux accords de troc bilatéral, il ne refusait pas la possibilité de mesures protectionnistes modérées à long terme. En fait, dans le cas de déséquilibres brutaux et de court terme, il était prêt à accepter des mesures très contraignantes (quota d’importations et subventions aux exportateurs) de manière transitoire. Prétendre que Keynes était au moment des discussions préparatoires de Bretton Woods un défenseur du libre-échange est une contre-vérité factuelle.
Keynes et le libre-échange
En fait, sa position avait fortement évolué depuis le début des années 1920 jusqu’aux années 1930. On peut considérer que le Keynes des années 20, même s’il est parfaitement lucide quant aux limites de la théorie économique standard de son temps, en particulier en ce qui concerne la monnaie, reste un libéral[41]. Jusqu’aux désastreuses élections de 1924 qui voient l’effondrement du Parti Libéral il reste d’ailleurs affilié aux Whigs, dont il anime l’université d’été en 1923[42]. Son attachement au Libre-Échange est alors profond.
Il n’entame une évolution intellectuelle radicale qu’à la fin des années 20, qui le conduira au texte de 1933 sur l’autosuffisance nationale[43]. Ce texte peut passer pour une apologie non plus du simple protectionnisme, mais de l’autarcie ; en fait, le raisonnement de Keynes semble en 1933 se focaliser moins sur les méthodes de contrôle du commerce que sur les conditions qu’il faut réunir pour que les gouvernements retrouvent leur souveraineté en matière de politique économique[44].
Cependant, il est clair que pour Keynes, les mesures de protection les plus extrêmes, si elles pouvaient être nécessaires, ne devaient pas être favorisées. Il pensait qu’entre des pays dont le niveau de développement était plus ou moins équivalent, des mouvements de taux de change (des dévaluations pour les pays déficitaires, des réévaluations pour les pays excédentaires) devaient permettre de gérer les hétérogénéités dans la formation des prix internes, découlant de dynamiques économiques différentes. Son engagement en faveur d’un système de taux de change fixes mais révisables est indiscutable.
La stabilité des taux de change doit s’accompagne de celle des cours des matières premières. Ainsi, il donne à la Banque des règlements qui doit mettre en oeuvre la monnaie internationale et gérer l’Union Monétaire la mission de financer un contrôle des matières premières :
« Cette Banque devrait établir in compte au bénéfice des institutions internationales en charge de la gestion d’un contrôle sur les matières premières, et pourrait financer les stocks que détiendraient de telles institutions, permettant des possibilités de découverts sur ces comptes jusqu’à des limites agréées »[45].
Cette disposition apparaît comme extrêmement novatrice. Elle découle, semble-t-il, de la compréhension que Keynes a de l’importance d’une stabilité des cours pour le développement de certains pays (que l’on ne désigne pas encore comme le Tiers Monde). On peut aussi penser qu’un simple raisonnement économique a pu convaincre Keynes de donner une priorité à cet objectif. De forte et rapides fluctuations des cours des matières premières rendent impossible le calcul économique, que ce soit pour le producteur ou pour le consommateur, ce qui ne peut qu’exercer une pression à la baisse sur les investissements.
Cette disposition, combiné à la troisième condition, conduisait aussi Keynes à préconiser un système assez strict de contrôle des capitaux. En fait, ce dernier apparaît comme un point central du dispositif global imaginé alors par Keynes.
Le contrôle des capitaux et l’articulation entre règles et souveraineté.
Keynes se prononçait pour un régime de taux de change fixe (non flottants) mais révisables régulièrement. Il fallait en effet combiner une certaine prévisibilité des taux de changes avecla possibilité d’ajuster les prix par des dévaluations ou des ré-évaluations régulières. Ce système,qui lui semblait le plus adapté ne pouvait être compatible avec la nécessaire liberté de manœuvre des gouvernements que dans un régime de contrôle des capitaux, libérant le taux d’intérêt de la pression d’un marché financier externe.
Keynes mentionne ainsi très explicitement la nécessité d’un système de contrôle des changes devant s’appliquer à toutes les transactions[46]. S’il précise que le système de contrôle doit autoriser les investissements internationaux (dans le contexte, il vise les investissements directs), il précise ainsi :
« L’objectif, et c’est un objectif vital, est d’avoir un moyen de distinguer
entre des mouvements de fonds flottants et de véritables nouveaux investissements visant à développer les ressources mondiales, et
entre les mouvements, qui aideront à maintenir l’équilibre entre les pays en excédents et les pays en déficits et les mouvements spéculatifs ou les fuites de capitaux des pays en difficultés ou d’un pays en excédent vers un autre.
Il n’y a pas de pays qui, dans le futur, puisse pour sa sécurité permettre l’évasion de capitaux pour des raisons politiques, ou pour échapper à l’impôt ou dans l’anticipation que le possesseur de ces capitaux veuille abandonner le pays[47]. De la même manière, aucun pays ne peut recevoir des capitaux fugitifs qui ne pourraient être utilisés pour des investissements fixes et qui transformeraient ce pays en pays déficients contre sa volonté[48] »[49].
Les réflexions de Keynes étaient donc parfaitement articulées dès la fin de 1941.
Pour lui, la notion de règles internationales ou de « code de bonne conduite » n’est pas incompatible, bien au contraire, avec la défense de la souveraineté politique des pays, et en particulier en matière de politique économique. Cette dernière est même considérée comme nécessaire à la mise en œuvre des politiques devant conduire au plein-emploi.
L’importance accordée à la souveraineté économique des nations mérite d’être soulignée, car elle n’est pas un argument de circonstance. Si Keynes est un partisan de la coopération internationale, il est un adversaire des mécanismes supranationaux qui privent les gouvernements de leur souveraineté. Ils considèrent que ces derniers n’ont pas de légitimité et que, sans cette dernière, une politique ne peut pas être réellement appliquée.
On peut trouver une continuité entre son argumentation de 1941 et des années qui vont suivre et celle qu’il avait développée en 1933 dans son article sur l’autosuffisance nationale. La principale critique qu’il porte au libre-échange réside dans l’opposition entre la réalité sociale des producteurs, insérés dans un contexte national bien spécifié, et la dimension apatride des capitalistes. Il faut rappeler que Keynes était très attentif aux argumentaires développés dans le cadre du courant institutionnaliste américain. Il est proche des thèses de Veblen quant aux effets sociaux et politiques de l’émergence d’une classe de capitalistes passifs[50], comme il l’est aussi des thèses de Commons[51]. Le cadre national apparaît alors comme le lieu privilégié de construction et de légitimation des institutions économiques.
La fonction des systèmes de contrôle des changes et de contrôle des capitaux, au-delà de la prévention de mouvements déstabilisants, est justement de préserver la souveraineté de la politique économique nationale. Keynes considère que la circulation libéralisée du capital, prive les nations de la liberté de leurs choix sociaux. Elle condamne à terme l’existence de la propriété privée et empêche le fonctionnement des institutions démocratiques[52].
Il ne fait aucun doute qu’une telle position mettait Keynes directement en conflit avec ses interlocuteurs américains.
Les occasions manquées de Bretton Woods et le dernier combat de Keynes.
Keynes engagea les négociations avec le Trésor Américain dès 1942, et il retourna aux Etats-Unis en 1943 pour une série de consultations avec Harry Dexter White[53], visant à préparer le terrain pour ce qui allait devenir la conférence de Bretton Woods, et ce alors que sa santé se détériorait rapidement du fait de l’excès de travail et de tension auquel il était soumis. Keynes pris la tête de la délégation britannique à la Conférence de Bretton Woods (1er-22 juillet 1944) où se retrouvèrent 44 pays.
Conflit et compromis.
Les principaux points de conflits avec le gouvernement américain, et ce dès la période préparatoire à la conférence de Bretton Woods, furent :
La nature de l’instrument de référence.
Les Etats-Unis, dont la délégation était dirigée par Dean Acheson, cherchèrent à imposer le retour à une convertibilité étendue (y compris en compte de capital) pour toutes les monnaies. Ils imposèrent le rôle central du Dollar dans le système d’après-guerre et la référence à l’Or mais à travers la référence au Dollar et à la Livre Sterling (ce point étant une concession de façade à la délégation britannique), ces deux monnaies étant promues au statut de « monnaies internationales de réserve ». La parité Or du Dollar (35 USD pour 1 once d’Or) devint la base du système. Toutes les monnaies devant être convertibles en Dollar ou en Livre. L’idée de Bancor et de l’Union Monétaire Internationale furent donc abandonnées, signant ici une défaite majeure de Keynes.
La nature des règles financières.
Les Etats-Unis imposèrent comme norme le principe de la libéralisation totale des mouvements financiers, même s’ils durent concéder à Keynes dans le cadre des statuts du FMI la reconnaissance de la possibilité de systèmes temporaires de contrôle des changes, et qu’ils durent admettre que des délais importants pourraient intervenir avant le retour à cette libéralisation. Les statuts du FMI prévoient en effet qu’un pays peut adopter un contrôle des changes à condition que ce dernier ne soit pas discriminatoire (tous les pays doivent être traités par ce système de manière égale). Le FMI qui émergea à Bretton Woods était une institution très différente de la Banque des Règlements voulue par Keynes. En particulier, le FMI ne pouvait être le régulateur de la liquidité internationale, ce rôle incombant de facto au Trésor Américain.
Les règles commerciales.
Si la Conférence de La Havane qui se tint en parallèle devait admettre la possibilité de protections tarifaires, deux des principales idées de Keynes étaient ici absentes soit la pénalisation des excédents commerciaux et la création de la caisse de stabilisation des cours des matières premières.
Le système de Bretton Woods a ainsi reflété dans une large mesure les opinions des Etats-Unis contre celles proposées par Keynes. Ceci n’est pas étonnant car ils étaient incontestablement la puissance dominante, économiquement et militairement, de la période. L’URSS, qui avait participé aux premières discussions et assisté à la Conférence de Bretton Woods, indiquant son intérêt à plusieurs reprises, se retira du système en 1947.
La période qui va de la Conférence de Bretton Woods à la mise en place du système à la victoire finale des Alliés contre l’Allemagne et le Japon fut tout aussi agitée que la phase préparatoire. Elle devait prendre un tour tragique en ce qui concerne Keynes, qui en avait été pourtant le principal animateur.
Que pouvait-on sauver de Bretton Woods : le dernier combat de Keynes.
Keynes avait subi une seconde crise cardiaque alors qu’il se trouvait aux Etats-Unis, à la fin de la conférence. Convaincu que le gouvernement américain ne prenait pas assez au sérieux l’épuisement financier de la Grande-Bretagne et du reste du monde, il tenta pendant les deux mois de sa convalescence qu’il passa à Washington de convaincre les Etats-Unis de prolonger le système du prêt-bail, qui avait été mis en place au printemps 1941, après la guerre[54]. En dépit de ses efforts, Keynes échoua. Devant l’aggravation de la situation financière britannique, dès la capitulation du Japon, Keynes repartit pour Washington pour tenter d’éviter une crise grave avec les Etats-Unis sur la question de la dette britannique. L’arrivée au pouvoir en Grande-Bretagne des Travaillistes de Clement Attlee avait créé un contexte rendant possible un affrontement commercial violent, avec un repli autarcique de la Grande-Bretagne sur son Empire colonial.
Convaincu des dangers d’une telle solution, Keynes tenta encore une fois d’infléchir les résultats de Bretton Woods pour obtenir un système transitoireinspiré de ses propositions, mais il ne pu obtenir qu’un prêt supplémentaire, sans intérêts pour les 6 premières années. Il rentra en Grande-Bretagne dans un état de grande fatigue physique pour y trouver une opposition très hostile au prêt qu’il avait négocié et il passa la fin de 1945 a tenter de persuader son gouvernement de ne pas couper les ponts avec les Etats-Unis.
En dépit d’une nouvelle alerte cardiaque le 20 février 1946, Keynes repartit le 24 février pour les Etats-Unis pour participer à Savannah à la mise en place du FMI et de la Banque Mondiale, espérant une dernière fois pouvoir influencer le cours des événements et en particulier obtenir que le FMI devienne le grand dispensateur de la liquidité internationale dans une logique inspirée de son propre projet de Banque des Règlements.
Keynes devait trouver les Etats-Unis intraitables sur leur position de faire du FMI leur instrument dans l’objectif d’un simple rétablissement de la convertibilité des monnaies et de la libéralisation des flux financiers. Jouant des crédits accordés aux autres pays, les Etats-Unis isolèrent rapidement la délégation britannique, en dépit des avertissements de Keynes qui prévint qu’un tel système porterait en lui sa propre instabilité.
À son départ de Savannah pour Washington, dans la nuit du 18 au 19 mars, Keynes subit une nouvelle attaque cardiaque, celle-ci bien plus grave que celle du 20 février. Après un peu de repos, il rentra en Grande-Bretagne pour rendre compte de sa mission et participer à une réunion de la Bank of England. Une ultime crise cardiaque l’emporta le 21 avril 1946 alors qu’il avait déclaré à un de ses collègues que « seul une main invisible telle celle d’Adam Smith, peut désormais sauver la Grande-Bretagne ».
L’UEP ou la victoire posthume de Keynes.
La position financière Britannique se détériora rapidement en 1946 et 1947. Pourtant la Grande-Bretagne tenta de rendre la Livre pleinement convertible en 1947, pour assurer sa position de « monnaie de réserve » à égalité avec le Dollar. Les difficultés financières furent telles qu’elles forcèrent le gouvernement à suspendre temporairement la convertibilité de la Livre en 1949 en attendant un nouveau prêt américain, puis a fortement dévaluer la Livre par rapport au Dollar.
Les pays d’Europe Occidentale eurent à souffrir d’une crise analogue même s’ils ne tentèrent pas un retour prématuré à la convertibilité. On était au bord d’une possible rupture des relations monétaires et commerciales quand les Etats-Unis, qui sont désormais en pleine Guerre Froide contre l’URSS décidèrent, d’infléchir brutalement leur position.
Avant même la mise en œuvre du Plan Marshall, le Plan d’Aide Intérimaire transféra des moyens financiers importants aux pays européens. Les Etats-Unis mirent aussi tout leur poids pour faire adopter le principe de l’Union Européenne des Paiements[55].
L’UEP est une architecture globale qui vise à développer les relations économiques entre les pays membres tout en diminuant les pressions sur les monnaies nationales. C’est au départ un système de règlement entre pays caractérisé par un fort contrôle des changes et où seuls les soldes de fin de période doivent être payés en devises. Ce système fonctionnait sous l’égide d’une Banque des Règlements, dotées par les Etats-Unis d’une trésorerie initiale, créditant les Banques Centrales des pays membres.
L’UEP, à une échelle réduite, correspondait donc aux idées de Keynes de 1941 telles qu’elles avaient été exprimées dans le Memorandum, même si elle n’intégrait pas toutes ses idées et en particulier la caisse de stabilisation des matières premières. Cependant, on peut trouver un écho de cette dernière idée, sous la forme limitée de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier, qui devait permettre une mise en commun des deux ressources qui à l’époque sont au cœur de la reconstruction économique de l’Europe occidentale.
Graphique 5
L’UEP fut un grand succès économique, et elle contribua puissamment au relèvement des pays d’Europe occidentale qui y participèrent (Cf : Graphique 5), et en particulier la France et l’Italie. Elle constitua une victoire posthume de Keynes dont elle validait pleinement les idées. La Grande-Bretagne refusa d’y participer, signant par là le début d’un long déclin économique face non seulement à la reconstruction de l’Allemagne (alors Allemagne de l’Ouest ou RFA) mais aussi à la très forte expansion de l’Italie et de la France.
La décomposition des accords de Bretton Woods et la marche au désordre monétaire.
Le système de Bretton Woods a connu des évolutions majeures qui ont conduit au système monétaire et financier international tel que nous le connaissons aujourd’hui et qui n’a de fait plus de rapport avec le système de 1944 ou même avec celui que l’on connu jusqu’en 1958. Les deux évolutions les plus significatives ont été la rupture du lien entre le Dollar et l’or et l’abandon du système des taux de change fixes au profit des taux de change flottants.Ces deux évolutions signent la mort du système après une période de décomposition qui va de 1958 à 1973.
La décomposition du système de Bretton Woods se déroule dans un contexte d’affrontement entre la France et les Etats-Unis. L’échec des diverses tentatives françaises pour imposer une logique de réformes du système monétaire international le soustrayant au bon vouloir des autorités américaines signifiera l’échec des tentatives de rationalisation du système monétaire international qui avaient commencé avec les propositions de Keynes en 1941.
La fine de l’UEP et le « retour » à Bretton Woods.
La première évolution a été la fin de la période où le Dollar était une monnaie rare et très demandée. On est, à la fin des années 1950 dans une période où les pays d’Europe Occidentale et le Japon, ayant reconstruit leurs économies, ont accumulé des réserves de Dollar considérable.
L’UEP fut dissoute en décembre 1958 et les pays membres revinrent à une convertibilité de compte courrant sous l’égide de l’article VIII du FMI[56]. Une première occasion de construire un système régional plus stable et équilibré que le système issu de Bretton Woods fut alors perdue, et l’on peut considérer, du moins pour l’Europe Occidentale, que 1958 marque la date réelle d’application des accords de Bretton Woods. Le retour de tous les pays développés (hors l’URSS et les pays du CAEM) à la convertibilité totale fut, à l’époque, saluée comme un progrès alors qu’elle ne faisait que mettre en marche la mécanique qui devait inéluctablement conduire à la révélation des limites du système de Bretton Woods. Ce dernier n’avait réellement fonctionné que parce que l’on s’était éloigné dès l’hiver 1948-1949 de ses principes pour se rapprocher, l’UEP en témoigne, des idées de Keynes.
Il faut cependant noter que 1958 est aussi la date du début du conflit franco-américain sur le système monétaire international. Lors de la réunion du FMI qui se tint cette année là, et qui devait entériner l’accroissement des quotes-parts des pays membres, l’administrateur français fut le seul à s’opposer au principe d’une décision prise à la majorité simple ainsi qu’aux mesures devant conduire à la liberté complète des capitaux.
La suprématie monétaire américaine devint alors contestée à partir de la fin des années 1950, non du fait du retour à la convertibilité des monnaies européennes mais en raison de l’évolution de la situation politique et économique. La reconstruction des économies ouest-européennes et japonaises commença à confronter l’économie américaine à une concurrence qu’elle n’avait plus connue de fait depuis 1939. Ceci se traduisit par des tensions sur la parité-Or du Dollar. Aussi, en 1961 fut constitué le « Pool de l’Or » qui, avec les Etats-Unis, devait réguler le prix de l’Or pour éviter de voir la Réserve Fédérale Américaine soumise à des pressions trop fortes[57]. Cependant, dès 1962, la France se prononça à de multiples reprises pour critiquer le système tel qu’il était et demander sa réforme[58].
La gestion du Dollar par les Etats-Unis se mit à poser problème à la même époque du fait de la politique de ce pays, et en particulier de sa volonté de conduire la Guerre du Vietnam sans procéder à des économies dans les programmes sociaux décidés par le successeur de Kennedy, Lyndon Johnson. Il est certain que la poursuite des objectifs sociaux dits de la « Grande Société » était une condition d’acceptabilité de la Guerre, du moins jusqu’en 1968. Dans le même temps, le gouvernement américain évolua, dès 1963, vers une politique de « nationalisme monétaire »[59]. Il décida de se servir de la position particulière et dominante accordée au Dollar dans le cadre de Bretton Woods comme instrument de lutte économique face à l’Europe et au Japon.
Le conflit franco-américain : l’hégémonie américaine contestée.
La masse de Dollars émis augmentait très fortement, au point d’excéder la couverture Or que les Etats-Unis étaient censés maintenir dans le cadre de Bretton Woods. Le conflit entre la France et les Etats-Unis se précisa en 1964.
La France défendait trois propositions. Il fallait en premier lieu une « discipline collective » pour limiter l’arbitraire américain. Il était ensuite souhaitable de disposer d’une « unité de réserve collective » qui aurait pu prendre la forme d’unités de compte artificielles considérées comme « représentatives » d’une certaine quantité d’or, ces unités devant être utilisées par les Banques Centrales (une claire réminiscence du Bancor proposé par Keynes). Enfin devait être mis en place un comité restreint de gestion collective, qui dans l’esprit des dirigeants Français aurait dû être le « groupe des 10 »[60]. Les autorités françaises craignaient que tout groupe plus large de pays ne permettent aux Etats-Unis de compter sur des « clients » qui viendraient par leurs voix soutenir Washington. Rappelons que c’est exactement ce qui s’était passé lors de la Conférence de Savannah en 1946. Comme on peut s’en douter ces propositions furent combattues par les Etats-Unis et fin 1964 il devint clair qu’un compromis était impossible. Alors que, jusque-là, le gouvernement français semblait penser qu’il pourrait trouver un terrain d’entente avec Washington pour faire évoluer le système monétaire international, en décembre 1964 se dégage une analyse bien plus conflictuelle des relations avec les Etats-Unis.
En février 1965, la France changea alors brutalement de position quand le Président Français, le Général de Gaulle, se prononça, lors d’une conférence de presse, pour le retour à l’étalon-or. Cette position, très discutable sur le fond, découle du constat que les Etats-Unis bloquent toute réforme et que l’accroissement de la masse monétaire en Dollars rend la convertibilité au taux de 35 Dollars l’once intenable. Le conflit devenait ouvert. Il conduisit la France à se retirer du « Pool de l’Or » en juin 1967. Le conflit entre la France et les Etats-Unis devait d’ailleurs s’étendre rapidement à des terrains diplomatiques divers, dont la condamnation par la France de la guerre du Viêt-Nam (discours de Phnom Penh) ou la reconnaissance de la Chine Populaire comme seul représentant de la Chine.
Devant ce conflit, et le risque de paralysie des négociations internationales, on chercha à utiliser un instrument du FMI, le « Droit de Tirage» pour en faire un instrument de liquidité supplantant le Dollar. La proposition fut lancée en 1966, et rencontra alors l’opposition de la France qui craignait, compte tenu de la domination américaine sur le FMI, de voir cet instrument se transformer en crédit de financement illimité pour le déficit budgétaire américain (alors en pleine expansion). La France fut cependant isolée sur sa position. Elle accepta en 1967 un compromis, proposé par l’Allemagne, qui aboutit à l’accord de Londres en Août 1967 où furent créés les « Droits de Tirage Spéciaux » dans le cadre du FMI. L’accord de Londres cependant ne mit pas fin au conflit Franco-Américain. Le retrait de la France du « Pool de l’Or » en juin 1967 et le fait que le gouvernement français demandait systématiquement le changement de ses avoirs en Dollars en or (au cours légal de 35 dollars l’once) indiquait bien que les positions des deux pays étaient très opposées.
Pour les Etats-Unis, les DTS étaient une monnaie synthétique. Ainsi, Washington, 23 ans après, reprenait la position de Keynes, du moins en apparence. Pour la France, les DTS étaient une simple ligne de crédit supplémentaire.
Le retournement des opinions, où l’on voit les Etats-Unis défendre une position « keynésienne » qu’ils avaient toujours combattue et la France s’y opposer alors même qu’elle avait fait une proposition en ce sens, témoigne de l’état de décomposition du système de Bretton Woods dans lequel on est arrivé.
Les Etats-Unis et la tentation d’appropriation du système international.
L’étrange ralliement des autorités américaines aux thèses de Keynes sur la monnaie internationale doit être expliqué.
En fait, les Etats-Unis souhaitent que les DTS jouent le rôle d’une monnaie parce qu’ils les contrôleraient tout comme ils contrôlent le Dollar en raison de leur poids dans le FMI, tout en pouvant externaliser vers le DTS le financement de leur déficit budgétaire. Le ralliement à l’idée d’une monnaie synthétique est purement instrumental, à un moment où les coûts de la Guerre du Vietnam explosent[61] et où la mise en place des programmes sociaux liés à la « Grande Société » de Johnson pèse aussi sur le budget. Le renversement de la position française est sans doute inspiré par la confiance que le général de Gaulle porte aux thèse de Jacques Rueff. Mais, il s’explique avant tout par la volonté des autorités françaises de ne pas laisser le système monétaire international se transformer en pure pompe de financement au profit des Etats-Unis.
En réalité, la position américaine sur les DTS n’est « keynésienne » qu’en apparence. Keynes avait explicitement précisé que le Bancor ne devait pas servir à financer des besoins « structurels ». On voit bien que aucune des institutions que Keynes souhaitait voir mises en place pour accompagner la naissance de la monnaie synthétique internationale n’est présente et que les Etats-Unis s’opposent d’ailleurs à la mise en œuvre d’un système cohérent. Dans ces conditions, l’opposition de la France au DTS peut s’analyser comme une ultime tentative pour éviter que les Etats-Unis ne réalisent un « hold-up » sur le système monétaire international.
Le conflit entre les deux pays aboutira à un nouveau compromis lors de la réunion du FMI de Rio de Janeiro à l’automne 1967. Les DTS seront remboursables (comme un crédit) mais partiellement seulement…
La France cependant ouvre alors un nouveau front en proposant, à la surprise générale, une résolution demandant des mesures pour assurer la stabilité du cours des matières premières, qui ne cessent de baisser depuis la fin des années 1950. La France prend ici de revers la position américaine qui entendait refuser aux pays en voie de développement l’accès au DTS en raison de leur faible solvabilité. La position française consiste alors à demander aux membres du FMI de créer les moyens de solvabiliser les pays en développement par une garantie de leurs ressources d’exportation. On notera que c’était bien une des idées défendues en 1941 par Keynes…
La fin de Bretton Woods
La conférence de Rio devait se solder sur un demi-échec. Des commissions sont mises en place pour étudier et le futur du DTS et la proposition française de stabilisation des cours des matières premières, mais la situation financière internationale se dégrade rapidement. Le Dollar et la Livre sont brutalement attaqués.
La Livre fut la première à craquer. Elle est dévaluée brutalement par rapport à l’or le 18 novembre 1967. Ceci ne fournit aux Etats-Unis qu’un répit de quelques mois.
Utilisant le Dollar pour financer leurs énormes dépenses liées à la Guerre du Vietnam et à la course aux armements contre l’URSS, les Etats-Unis ne pouvaient plus garantir le lien entre le Dollar et l’Or. La convertibilité Or du Dollar doit être une première fois limitée en mars 1968. Les autorités américaines suspendirent unilatéralement cette convertibilité le 15 août 1971, ce qui représentait de fait un Défaut de la part des Etats-Unis, dans la mesure où la monnaie est une dette et que la contrepartie du Dollar était supposée être de l’Or. Cette décision transformait de fait le système monétaire international en pur « système Dollar » sans qu’aucun contrôle ne s’exerce plus sur les États-Unis.
Les taux de change, qui étaient normalement fixés (mais révisables) furent progressivement abandonnés au marché lors de la conférence de la Jamaïque en 1973. Le passage aux changes flottants, qui est cohérent avec les progrès de l’idéologie monétariste et néo-libérale, a induit les très brutales fluctuations que l’on a connues depuis la fin des années 1970 et la nature de plus en plus spéculative du système et ce jusqu’à la crise actuelle[62].
L’ascension et la transformation du FMI
La fin du système de Bretton Woods va entraîner une modification radicale du FMI. Ce dernier était resté cantonné à la gestion technique des crises de change pour les pays développés jusqu’à la fin des années 1970. Durant les années 1950 et 1960 son rôle est mineur, sauf comme forum où s’affrontent les positions des uns et des autres. La Banque Mondiale joue un rôle bien plus important.
Quand se développa la « crise de la dette » en 1982 liée aux facilités qui avaient été faites pour laisser les pays en développement s’endetter, puis au très brutal relèvement des taux d’intérêts américains, le FMI se transforma radicalement. Évinçant en bonne partie la Banque Mondiale, le FMI devint une institution cherchant à imposer des politiques économiques globales aux pays connaissant des difficultés financières. Cette transformation se fit au moment où le néolibéralisme devint l’idéologie économique dominante et sans que le FMI se dote des moyens d’expertise nécessaires. On sait les désastres économiques et sociaux que tout ceci provoqua entre 1981 et 1999. Le FMI propose systématiquement des politiques qui ont pour effet de contracter l’activité du pays qui se soumet à ses conseils.
Le FMI chercha aussi à imposer comme norme non pas la simple convertibilité « de compte courant » mais celle « de compte de capital »[63]. On trouve à l’origine de cette offensive le Chief Economist du Fond, Stanley Fisher[64], mais aussi le Trésor Américain, et en particulier Lawrence Summers[65]. En voulant étendre de la manière la plus absolue la liberté des capitaux, le FMI est alors devenu l’instigateur de la plus globale des machines infernales. La crise de 1997-1999 est à la fois le produit des politiques du désordre monétaire qui ont été celle des autorités américaines et du FMI depuis 1973, est un moment de rupture important. La violence de cette crise, principalement due à la libéralisation financière, et l’incapacité des Etats-Unis et du FMI à la contrôler ont eu trois conséquences importantes.
La première a été de jeter un discrédit durable sur la financiarisation de l’économie internationale et de souligner la nécessité d’une réforme. Il a fallu la crise actuelle pour que le sujet soit explicitement abordé. Cependant, la dé-légitimation de l’ordre monétaire et financier international imposé par les Etats-Unis a commencé en 1998.
La seconde a été de susciter les stratégies qui on conduit à la crise actuelle. La violence de la crise de 1997-1999 a convaincu de très nombreux pays que leur salut passait dans l’accumulation de réserves de devises considérables. Pour constituer ces réserves, qu’un système monétaire international efficient tel qu’il avait été pensé par Keynes aurait rendu inutile, ces pays ont développé des stratégies de prédation du commerce international. Ces stratégies ont, à leur tour, déséquilibré les pays développés à travers les effets de déflation salariale qu’elles induisaient. La crise de l’endettement des ménages américains, mais aussi britanniques et espagnols, qui est à l’origine de la crise financière actuelle s’en déduit. On voit ainsi se constituer un cercle vicieux du désordre monétaire international[66]. Il incite les pays à des politiques de protection, car il est porteur d’instabilités très dangereuses. Mais, les politiques de protection mises en œuvre accroissent le désordre et donc les instabilités. C’était exactement le type de cercle vicieux que Keynes espérait éviter en combinant les principes de son Union Monétaire avec des taux de change fixes et révisables, le rôle du Bancor, les règles commerciales, mais aussi le contrôle sur les capitaux afin de redonner aux différents pays les moyens d’une véritable souveraineté de politique économique qui ne soit pas déstabilisatrice pour le voisin.
La troisième conséquence a été la renaissance des politiques de contrôle des changes, en Malaisie et en Russie[67]. La décision de la Chine de résister aux pressions américaines pour une extension de la convertibilité du Yuan, décision dont la sagesse est aujourd’hui évidente, en découle aussi. Se trouve validée l’idée de Keynes que le contrôle sur les capitaux et les changes est une condition de dégagement d’un espace de liberté pour les politiques économiques internes, et de ce fait un élément de stabilité des trajectoires économiques.
On constate cependant que la question du contrôle des changes et des contrôles sur les mouvements de capitaux constitue un point immédiat de conflit entre les gouvernements qui souhaitent recourir à de tels mécanismes et les Etats-Unis[68]. La défense de la souveraineté économique n’est pas compatible avec les objectifs de la politique américaine. Robert Wade, qui a été un des grands spécialistes des stratégies industrialistes des pays asiatiques[69], identifie ainsi la question du contrôle sur les mouvements des capitaux comme le théâtre des conflits à venir entre les Etats-Unis et les pays souhaitant conserver la souveraineté de leur politique économique[70].
Leçons d’un demi-siècle d’errements.
Rétrospectivement, on voit que si le système de Bretton Woods représentait probablement un compromis boiteux, il était inévitable compte tenu du rapport des forces à l’échelle internationale de l’époque. Les conditions de l’immédiat après-guerre et de la Guerre Froide ont créé un contexte où de fait il ne fut appliqué que très partiellement. Jusqu’en 1958, le système qui s’applique en Europe est plus proche des idées de Keynes que de la lettre de Bretton Woods.
L’évidence de la crise et la fin de l’hégémonie financière américaine
L’amélioration de la situation économique en Europe occidentale, et la première détente Sovieto-Américaine[71] ont fait évoluer le contexte international et l’on est réellement entré dans le système de Bretton Woods en 1958. Sa gestion par les Etats-Unis fut désastreuse. Non seulement les Etats-Unis ont instrumentalisé le système en leur faveur, mais ils s’en sont servis comme levier pour mettre en œuvre une idéologie du « tout marché ». Ceci a conduit à l’éclatement du système en 1973 et à la mise en place d’une hégémonie financière et monétaire américaine qui a reproduit les pathologies de l’hégémonie britannique antérieure.
Aujourd’hui la crise du système est multiple.
Le système est en crise parce que l’économie américaine est profondément en crise et parce que les Etats-Unis ne sont plus la puissance hégémonique.
Le système est en crise parce que la libéralisation des règles financières a abouti à ouvrir des espaces de spéculation multiples (depuis les contrats à terme sur les matières premières jusqu’aux instruments financiers dérivés) comme Keynes l’avait prévu. Ces espaces de spéculation multiples interdisent aux différents pays d’avoir une véritable souveraineté économique sauf dans les politiques de prédation sur leurs voisins ou sur le commerce international. La somme des politiques d’ajustement menées par chaque pays contribue à créer encore plus d’instabilité, ce qui ne fait que renforcer les besoins en politiques d’ajustement. La prévisibilité des prix des matières premières qui est une des raisons d’être d’un système mondial et que Keynes voulait garantir n’est plus assurée et n’est plus assurable dans ces conditions.
Le système est en crise parce que les institutions censées le gérer ont perdu crédibilité et légitimité, que ce soit le FMI ou même le Trésor Américain, qui s’avère impuissant à gérer la crise américaine.
Cette crise va entraîner la fin de l’hégémonie financière américaine comme l’a indiqué le Ministre des Finances de l’Allemagne. Mais elle constitue un danger immédiat pour les pays développés et les pays en développement qui se voient aujourd’hui confrontés à une imprévisibilité complète des prix et des taux de change et qui en même temps doivent gérer des flux financiers spéculatifs, qui sont considérables et hautement déstabilisants. La reconstruction d’un système monétaire et financier mondial est donc un enjeu central, car il s’agit bien ici d’un « bien public » pour la communauté internationale.
L’échec du G-20
De ce point de vue, les résultats du sommet du G-20 du 15 novembre 2008 apparaissent comme particulièrement décevants. Ce sommet sur la réforme du système monétaire international et la crise financière a accouché d’une souris. La déclaration finale mentionne en effet les principes communs suivants, dont aucun ne répond à la réalité de la crise :
Renforcer la transparence et la responsabilité
Favoriser une régulation saine.
Promouvoir l’intégrité des marchés financiers.
Renforcer la coopération internationale (dans le sens de la coopération entre régulateurs).
Réformer les institutions financières internationales.
Ces principes sont accompagnés de la proclamation d’un attachement à la libéralisation financière et d’un rejet de toutes mesures protectionnistes. Or, ces deux libéralisations sont celles qui ont conduit aux pratiques que l’on cherche à réglementer et qui sont à la base de la crise actuelle. La contradiction entre les principes de réforme énoncés et l’engagement à poursuivre les politiques de libéralisation est d’une telle évidence que les marchés financiers, loin de se réjouir ont doit stagné, soit accentué leur baisse ce lundi 17 novembre.
Les mesures techniques proposées ne sont pas à la hauteur des défis de cette crise. L’innovation financière se joue par nature des mesures prudentielles car elle produit en permanence de nouveaux outils et de nouveaux comportements et elle interdit toute transparence effective. L’intégrité des chaînes de dettes ne peut pas être vérifiable dans de telles conditions. Le discours tenu sur le renforcement de la réglementation, dépourvu de tout engagement contraignant et de tout échéancier, est parfaitement illusoire.
Pour prétendre être efficaces, les réglementations prudentielles devraient pouvoir anticiper sur les situations et surtout les comportements de crise. Mais, si nous pouvions anticiper cela, les agents financiers éviteraient de commettre les erreurs qu’ils commettent de manière répétée pour aboutir à la crise. On ne saurait dépasser le paradoxe logique qui veut que l’on ne peut se prémunir contre l’incertitude radicale sauf à nier cette dernière. Si l’on pouvait écrire des règles prudentielles parfaites, alors nous serions dans un univers où ces règles seraient en réalité inutiles.
Par ailleurs, le discours tenu sur la réglementation prudentielle ne répond en rien aux causes réelles de la crise, telles qu’on les a analysées dans la première section de ce texte. Les résultats du G-20 montrent que la montagne médiatique n’a accouché que d’une souris face à l’immensité des taches nécessaires pour faire face à la crise. Qui plus est, cette souris est difforme et elle est très certainement non viable.
Elle est difforme dans le sens où certaines des prescriptions sont contradictoires à des affirmations contenues dans la déclaration finale. La seule réglementation qui serait réellement susceptible de permettre un retour à la stabilité est une réglementation limitant de manière drastique la circulation des capitaux spéculatifs et encadrant de manière restrictive l’innovation financière. Or, les participants au G-20 se refusent à envisager cette solution. Dans ces conditions, les mêmes causes aboutiront rapidement aux mêmes effets
Elle est non-viable car certaines affirmations ne tiendront pas plus de quelques semaines. L’ampleur de la crise est telle aux Etats-Unis et les demandes de soutien des divers secteurs de l’industrie (automobile, mais aussi métallurgie) si élevées qu’un retour au protectionnisme est inévitable, quoi que l’administration américaine actuelle ait pu promettre à ses partenaires. Des problèmes identiques se manifesteront rapidement en Europe aussi. Les opérations de rachat d’entreprises par endettement à effet de levier (le leveraged buy-out ou LBO) vont se dénouer dans les mois qui viennent dans les pires conditions financières possibles, entraînant une multiplication des faillites. Le chômage va augmenter dans des proportions considérables, accroissant la pression sur les gouvernements. L’outil des dépenses publiques, déjà fortement sollicité pour sauver le système bancaire ne pourra pas être indéfiniment mobilisé, sauf à atteindre des niveaux de déficit qui seront fortement déstabilisants si l’on reste dans le cadre de la finance internationale libéralisée comme les participants du G-20 l’ont affirmé. Il faudra donc se résoudre au chômage de masse ou sortir du système tel qu’il fonctionne.
D’ici la fin du printemps 2009, les signataires de cette déclaration finale se seront déjugés.
L’alternative par la fragmentation.
Il faut reconnaître, et les marchés financiers l’ont fait avec leur cynisme habituel, que ce G-20 est un échec. Il ne pouvait en être autrement car il a été convoqué de manière précipitée, avec une administration américaine moribonde et sans que les autres pays n’aient réussi à constituer un front commun qui aurait pu contraindre les Etats-Unis à modifier sur le fond leurs positions habituelles. Personne n’était présent pour porter les propositions alternatives qui, aujourd’hui, sont les seules à pouvoir apporter des solutions à la crise en s’attaquant à ses causes réelles.
Dans ces conditions, on est très loin de l’objectif initial d’un « nouveau Bretton Woods ». Le processus d’une réforme du système monétaire international n’a même pas été engagé. De cet échec va naître dans les mois qui viennent un processus de fragmentation du système monétaire et financier international.
Le point de rupture entre partisans du désordre ancien et partisans d’une véritable reconstruction du système monétaire financier se concentrera sur deux questions : le contrôle des capitaux et des formes de protectionnisme permettant d’éviter l’importation des effets dépressifs des politiques de certains pays.
Seule la combinaison du contrôle des capitaux (le retour à la convertibilité en compte courrant) et de mesures de protection peut permettre de créer des espaces de stabilité au sein du désordre actuel. À terme, seule cette combinaison peut garantir, comme Keynes le montrait dès 1941, l’articulation entre des règles négociées de comportement entre pays pour éviter les politiques prédatrices (commerciales, sociales ou écologiques) et la liberté d’action – la souveraineté des politiques économiques et sociales – qui est nécessaire pour que chaque pays puisse trouver sa propre trajectoire sociale et économique de développement.
Pour ne pas refaire une fois de plus, une fois de trop, les mêmes erreurs il convient de bien se pénétrer des leçons des débats de 1941 à 1946 sur la reconstruction du système monétaire international, ainsi que de celles de la désintégration du système de Bretton Woods.
[1]Le présent texte reprend une communication faite à un séminaire organisé par les autorités Vénézuéliennes les 8 et 9 novembre 2008 à Caracas. Il contient certaines modifications par rapport à la communication initiale, et la première section est entièrement nouvelle.
[2]Directeur d’études à l’EHESS. sapir@msh-paris.fr
[3]A.O. Krueger, « Why Trade Liberalization is Good for Growth », in The Economic Journal, vol. 108, septembre 1998, pp. 1513-1522.
[4]J. Berg et L. Taylor : External Liberalization, Economic Performance and Social Policy, CEPA Working paper n°12, Février 2000, CEPA at New School University, New York, NY. Francisco Rodriguez et dani Rodrik ont aussi montré à partir d’une étude systématique des données existantes que le lien entre la libéralisation du commerce et la croissance était pour le moins douteuse : F. Rodriguez et D. Rodrik, Trade Policviy and Economic Growth : A Skeptic’s Guide to Cross-National Evidence, J.F. Kennedy School of Government, Cambridge, Mass, 2000.
[5]J. Sapir, Le Krach Russe, Paris, La Découverte, 1998.
[6]E. Prasad, R. Rajan and A. Subramanian, “The Paradox of Capital”, in Finance and Development, IMF, vol. 44, n°1/2007, Washington DC.
[7]D. Rodrik, , « Who needs Capital-Account Convertibility ? » in Essays in International Finance n°207, Princeton University, May 1998.
[8]IMF, Containing Systemic Risks and Restoring Financial Soundness, Global Financial Stability Report, April 2008, Washington DC., p. 54
[9]M. Rothschild & J. Stiglitz, “Equilibrium in Competitive Insurance Markets”, in Quarterly Journal of Economics, vol. 90, 1977, n°3, pp. 629-649; S.J. Grossman et J.E. Stiglitz, « On the Impossibility of Informationally Efficient Markets » in American Economic Review, vol. 70, n°3/1980, pp. 393-408.
[10]R. Lowenstein, When Genius Failed : The Rise and Fall of Long-Term Capital Management, New York, Random House, 2000.
[11]M. Swartz et S. Watkins, Power Failure : The Inside Story of the Collapse of Enron, New York, Doubleday, 2003.
[12]P. Jorion, Value at Risk : The New Benchmark for Managing Financial Risk, New York, McGraw-Hill, 1999 ; F. Partnoy, How Deceit and Risk Corrupted the Financial Markets, New York, Times Books, 2003.
[13]Voir aussi J. Sapir, Le Nouveau XXIe Siècle, Paris, Le Seuil, 2008.
[14]See D. Rodrik, “The Social Cost of Foreign Exchange Reserves” in International Economic Journal, vol. 20, n°3/2006, pp. 253-266.
[15]Voir DARES, « Efforts, risques et charge mentale au travail. Résultats des enquêtes Conditions de travail 1984, 1991, et 1998 », Les Dossiers de la DARES, hors-série/99, Paris, La Documentation française, 2000 ; P. Legeron, Le Stress au travail, Paris, Odile Jacob, 2001.
[16]Chiffre avancé pour la Suède et la Suisse sur la base d’enquêtes épidémiologiques poussées (qui manquent tragiquement en France) : I. Niedhammer, M. Goldberg et al., « Psychosocial factors at work and subsequent depressive symptoms in the Gazel cohort », Scandinavian Journal of Environmental Health, vol. 24, n° 3, 1998. En ce qui concerne la France, une enquête limitée donne des résultats probants quant à l’importance du phénomène : S. Bejean, H. Sultan-Taieb et C. Trontin, « Conditions de travail et coût du stress : une évaluation économique », Revue française des affaires sociales, n° 2, 2004.
[17]T. Pikkety and E. Saez, “How progressive is the US Federal tax System? An Historical and International Perspective” CEPR Discussion Paper n° 5778, CEPR, London, 2006.
[18]J. Bivens, “Globalization, American Wages, and Inequality” Economic Policy Institute Working Paper, Washington DC, September 6th, 2007.
[19]JPMorgan Credit Derivatives and Quantitative Research, « Credit Derivative : A Primer », JPMorgan, New York, Janvier 2005. A. B. Ashcraft and T. Schuermann, “Understanding the Securitization of Subprime Mortgage Credit”, FIC Working Paper n° 07-43, Wharton Financial Institutions Center, Philadelphia, Pa., 2007. Dans les CLO le collatéral est un prêt bancaire à effet de levier. En 2007, 47{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des CDO émis avaient pour collatéraux des « produits structurés » (soit très souvent des obligations elles-mêmes collatéralisées sur des hypothèques) et seulement 10{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} étaient adossés sur des obligations à taux fixes.
[20]C’est ce que l’on appelle le mécanisme de l’hypothèque rechargeable que Nicolas Sarkozy, en 2005, avait proposé comme modèle pour la France…Voir sa déclaration du 17 mars 2005 lors d’une réunion de l’UMP : , URL : http://www.u-m-p.org/site/index.php/ump/s_informer/discours/intervention_de_nicolas_sarkozy_president_de_l_ump
[21]J. Bibow, “Global Imbalances, Bretton Woods II and Euroland’s Role in All This” in J. Bibow and A. Terzi (eds), Euroland and the World Economy: Global Player or Global Drag?, New York (NY), Palgrave Macmillan, 2007
[22]On se souvient du « compteur de la dette » sur Fr2 (A2) durant la campagne présidentielle de 2007, et l’on signalera aussi le « docu-fiction » que diffuse Fr5 le 30 novembre sur une France en faillite en…2017.
[23]M. Aglietta, « Espoirs et inquiétudes de l’Euro » in M. Drach (ed.), L’argent – Croyance, mesure, spéculation, Éditions la Découverte, Paris, 2004, p. 237.
[24]I. Angeloni and M. Ehrmann, “Euro Aera Inflation Differentials”, The B.E. Journal of Macroeconomics, Vol. 7: Issue 1/2007, Article 24, p.31. Available at: http://www.bepress.com/bejm/vol7/iss1/art24 , J. Gali, M. Gertler and D. Lopez-Salido, “European Inflation Dynamics” in European Economic Review, Vol. 45, n°7/2001, pp. 1237-1270. C. Conrad et M. Karanasos, « Dual Long Memory in Inflation Dynamics across Countries of the Euro Area and the Link between Inflation Uncertainty and Macroeconomic Performance », in Studies in Nonlinear Dynamics & Econometrics, vol. 9, n°4, November 2005, http://www.bepress.com/snde .
[25]M. Aglietta, « Espoirs et inquiétudes de l’Euro » p. 240.
[26]J. Sapir, « La Crise de l’Euro : erreurs et impasses de l’Européisme » in Perspectives Républicaines, n°2, Juin 2006, pp. 69-84.
[27]P. Artus, dans une étude de CDC-Ixis diffusée début juillet 2005 et citée par P-A. Delhommais, « Une étude se demande si la France et l’Italie vont être contraintes d’abandonner l’Euro », in Le Monde, 9 juillet 2005 ; Marc Touati dans la Lettre des Etudes Economiques du 9 mars 2006. S. Federbusch, « La surévaluation de la monnaie unique coûte cher à la croissance » in Libération, rubrique « Rebonds », 26 avril 2006.
[28]F. Cachia, “Les effets de l’appréciation de l’Euro sur l’économie française”, in Note de Synthèse de l’INSEE, INSEE, Paris, 20 Juin 2008.
[29]Son livre, The economic consequences of the the Peace, publié fin 1919 fut un succès mondial.
[30]Voir, J.M. Keynes, A tract on Monetary Reform, publié en 1923 republié in D. Moggridge (ed.), Collected Writings of John Maynard Keynes,vol. IV, Londres, Macmillan, 1973.
[31]J.M. Keynes, The Economic Consequences of Mr. Churchill, publié en 1925 et republié in D. Moggridge (ed.), Collected Writings of John Maynard Keynes, op.cit., vol. IX.
[32]A. Schubert, The Credit-Anstalt Crisis of 1931, Cambridge University Press, Cambridge, 1991.
[33]M. Friedman et A.J. Schwartz, The Great Contraction 1929-1933, Princeton University Press, Princeton NJ, 1965.
[34]Voir : Ian Kershaw, Hitler, a Profile in Power, Londres, 1991. Idem, Nazi Dictatorship : problems and Perspectives of Interpretation, Londres, Oxford University Press, 1993 ; Idem « Working towards the Führer » in I. Kershaw et M. Lewin (eds.) Stalinism and Nazism – Dictatorships in Comparison, Cambridge University Press, 1997.
[35]W. Sheridan Allen, « The Collapse of Nationalism in Nazi Germany » in J. Breuilly (ed), The State of Germany, Londres, 1992
[36]J. Sapir, « Le troc et le paradoxe de la monnaie » in Journal des Anthropologues, n°90-91, décembre 2002, pp. 283-304 ; Idem, « Troc, inflation et monnaie en Russie : tentative d’élucidation d’un paradoxe » in S. Brama, M. Mesnard et Y. Zlotowski (edits.) La Transition Monétaire en Russie – Avatars de la monnaie, crise de la finance (1990-2000), L’Harmattan, Paris, 2002, pp. 49-82.
[37]J.M. Keynes, “Proposals for an International Currency Union – Second draft, November 18, 1941” in D. Moggridge (ed.), Collected Writings of John Maynard Keynes, volume XXV, Londres, Mac Millan, 1980, pp.42-66. La première version de ce texte date d’octobre 1941. Il semble que Keynes se soit mis au travail sur ce projet lors de son retour de son voyage aux Etats-Unis en mai 1941.
[38]HL Debate 18 May 1943, vol 127, cc 520-564.
[39]Il le réaffirme encore avec force devant la Chambre des Lords. Voir HL Debate 18 May 1943, vol 127, op.cit..
[40]J.M. Keynes, “Proposals for an International Currency Union – Second draft, November 18, 1941”, op.cit., Section X.
[41]Voir R. Skidelksy, John Maynard Keynes, Volume Two. The Economist as Saviour, 1920-1937, Macmillan, Londres, 1992.
[42]On perçoit bien les positions politiques et intellectuelles de Keynes dans sa correspondance avec sa future femme, la danseuse Lydia Lopokova, entre 1922 et 1925. Voir P. Hill et R. Keynes (edits.), Lydia & Maynard – The letters of Lydia Lopokova and John Maynard Keynes, André Deutsch, Londres, 1989.
[43]J.M. Keynes, « National Self-Sufficiency », Yale Review, 1933.
[44]J. Sapir, « Retour vers le futur : le protectionnisme est-il notre avenir ? » in L’Economie Politique, n°31, 3ème Trimestre 2006.
[45]J.M. Keynes, “Proposals for an International Currency Union – Second draft, November 18, 1941” op.cit, section X , paragraphe 6.
[46]Idem, section VII , paragraphe 2.
[47]On doit ici noter que Keynes prend une position très nette visant à interdire la concurrence fiscale entre pays mais aussi la possibilité pour des acteurs financiers de déstabiliser la politique économique souveraine d’un pays.
[48]Keynes, ici, anticipe sur les effets déstabilisants cette fois des entrées de capitaux qui perturbent le taux de change et qui, sauf système de contrôle des changes, conduisent à une réévaluation du taux de change qui ne correspond nullement à la réalité économique du pays. La nature destabilisante des flux de capitaux a été reconnue même par des analystes du FMI : G.L. Kalinsky, C. Rheinart et C.A. Vegh, “When it rains, it Pours: pro-cyclical Capital Flows and Macroeconomic Policies” IMF Working Paper, Août 2004, Washington DC.
[49]J.M. Keynes, “Proposals for an International Currency Union – Second draft, November 18, 1941” op.cit, section VII , paragraphe 5.
[50]Voir T. Veblen, Absentee Ownership and Business Enterprise in Recent Times: The case of America, Allen & Unwin, Londres, 1924. Voir aussi, T. Veblen, The Theory of the Leisure Class, Macmillan, New York, 1899.
[51]Il écrit ainsi en 1927 à John Commons qu’il n’y a sans doute pas d’économiste dont il se sente plus proche que lui. Lettre citée d’après les John R. Commons papers par Hyman P. Minsky in H.P. Minsky, « Uncertainty and the individual Structure of Capitalist Economies », Journal of Economic Issues, vol. XXX, n°2, Juin 1996, pp. 357-368.
[52]Thème déjà abordé dans son texte de 1933 « National Self-Sufficiency ».
[53]White était l’adjoint de Harry Morgenthau, le Secrétaire au Trésor. Il a été prouvé qu’il fut en contact avec les services de renseignement soviétiques, sans que ceci n’ait eu semble-t-il d’impact sur sa position dans ses débats avec Keynes.
[54]Le prêt-bail autorisait la Grande-Bretagne puis les autres pays Alliés a obtenir du matériel militaire et des équipements sans payer, sous réserves de payer après guerre le matériel détruit et de rendre aux Etats-Unis armes et équipements qui n’auraient pas été utilisés. Cette mesure, qui porta sur un total de 43,9 milliards de Dollars (aux prix de 1945) contribua de manière décisive à l’accès des Alliés aux capacités de l’industrie américaine et l’URSS en bénéficia de manière conséquente, ce dernier pays recevant 29{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} du total des sommes contre 43{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} pour la Grande-Bretagne. Voir : U.S. President Office, Reports to Congress on Lend-Lease Operations n°21, Washington DC, US-GPO, 1945. Pour l’aide à la Russie voir : M. Harrison, Soviet Planning in Peace and War. 1938-1945, Cambridge University Press, Cambridge, 1985, H.P. van Tuyll ; Feeding the Bear – American Aid to Soviet Union, 1941-1945, Greenwood Press, New York, 1989 et J. Sapir, « The economics of War in Soviet Union in World War II », in I. Kershaw et M. Lewin, (edits.), Stalinism and Nazism – Dictatorships in Comparison, Cambridge University Press, Cambridge, février 1997, pp. 208-236.
[55]J. Kaplan and G. Schileiminger, The European Payments Union – Financial diplomacy in the 1950’s, Oxford, Clarendon Press, 1989. R. Triffin, Europe and the money muddle – from bilateralism to near-convertibility, 1947-1956, New haven & London, Yale University Press, 1957.
[56]Ce dernier prévoit, entre autres, la pleine convertibilité des avoirs détenus par l’étranger.
[57]Autour des Etats-Unis on comptait la Grande-Bretagne, la Suisse, la France, l’Italie, la RFA, la Belgique et les Pays-Bas.
[58]La première intervention date ici de 1962. On a souvent prétendu que le gouvernement français s’était rallié aux positions de Jacques Rueff, qui souhaitait un retour au Gold Exchange Standard. Ceci n’est pas entièrement exact, même si des déclarations ont pu le laisser entendre. En fait, la position officiellement défendue par la France consistait simplement à souligner que le Dollar ne pouvait pas être à la fois le pivot du système de par sa relation à l’Or et l’instrument de la politique économique américaine. Il faudra attendre 1965 pour que la France mentionne officiellement une préférence pour l’étalon or.
[59]J.S. Odell, US International Monetary Policy, Princeton University Press, Princeton NJ, 1982.
[60]La composition de ce « groupe » correspondait aux pays membres de l’Union Générale d’Emprunt constituée en 1962 soit les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Japon, le Canada, la Suède, la France, l’Italie, la RFA, la Belgique et les Pays-Bas.
[61]Depuis les combats de la vallée de la Ia Drang en 1965, les troupes américaines sont confrontées à des batailles de plus en plus violentes, impliquant des unités régulières de l’Armée de la République Démocratique du VietNam (RDVN). L’année 1967 voit une bataille indécise autour de la base américaine de Khe Shan, à la limite de la zone démilitarisée entre Sud et Nord Vietnam, qui menace à plusieurs reprises de tourner au désastre.
[62]Maurice Allais, revenu de son credo libéral, avait identifié les taux de changes flottants comme un facteur de risque induisant, par protection, le développement de nouveaux produits financiers, conduisant à leur tour à une nouvelle dissémination des risques et ce jusqu’au risque systémique. M. Allais, La Crise Mondiale d’Aujourd’hui, éditions Clément Juglar, Paris 1999.
[63]J.J. Polak, « The Articles of Agreements of the IMF and the Liberalization of Capital Movements » in S. Fisher et alii (edits), Should the IMF Pursue Capital-account Convertibility ?, Princeton Essays in International Finance n°207, 1998, Princeton, NJ.
[64]S. Fisher, « Capital Account Liberalization and the Role of the IMF », conférence donné au séminaire du FMI « Asia and the IMF », Hong Kong, 19 septembre 1997.
[65]Sur les liens entre ces personnes et leurs implications dans des opérations désastreuses en Russie, voir J. Sapir, Les Économistes contre la Démocratie, Paris, Albin Michel, 2002, chapitre 1.
[66]Voir J. Bibow, “The International Monetary (Non)-Order and the ‘Global Capital Flows Paradox’”, Levy Economics Institute Working Paper n° 531, Annandale-on-Hudson, The Levy Economics Institute, Avril 2008.
[67]R. Rajan, « Sands in Wheels of International Finance: Revisiting the Debate in Light of the East Asian Mayem », Institute of Policy Studies working paper, Singapore, April 1999. V.N. Mel’nikov, « Voprosy valyutnogo regulirovaniya i valyutnogo kontrolya v period finansovogo krizisa », in Den’gi i Kredit, n°12/1998, December, pp. 36-42. J. Sapir, “ Currency and Capital: Controls in Russia – Why and How to Implement Them Now ” in Studies on Russian Economic Development, pp. 606-620, vol. XI, n°6/2000.
[68]B.J. Cohen, « Contrôle des capitaux: pourquoi les gouvernements hésitent-ils? », in Revue Économique, vol. 52, n°2/mars 2001, pp. 207-232.
[69]Il faut ici citer son remarquable ouvrage, R. Wade, Governing the Market – Economic Theory and the Role of Government in East asian Industrialization, Princeton University Press, Princeton, New Jersey, 1990.
[70]R. Wade, « The Coming Fight Over Capital Controls », in Foreign Policy, vol. 113, hiver 1998/1999, pp. 41-54.
[71]Qui culmine justement avec le rapprochement entre Khrouchtchev e
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