Jeunesse : Le fléau de la drogue

Oct 20, 1997 | Entretien

 

Farid Mérabet connaît bien la question de la drogue. Il a grandi dans la périphérie de Nancy et est aujourd’hui un des responsables de l’association Droit de cité. Il refuse cependant tout amalgame entre les problèmes de la drogue et ceux de la banlieue. Pour lui, lutter contre la drogue c’est d’abord se débarrasser des idées reçues et des faux problèmes, et s’attaquer aux vrais chefs des organisations de trafiquants. Sur ce dernier point, il est sans trop d’illusions cependant en raison des enjeux politiques internationaux.

Royaliste : Quelle est ton expérience du problème de la drogue ?

Farid Mérabet : Dans le quartier d’où je viens, comme dans la ville elle-même, il y avait beaucoup de jeunes qui fumaient du hachisch. Du jour au lendemain nous avons vu des jeunes tomber dans l’héroïne, simplement piégés par une offre plus grande. A l’heure actuelle beaucoup de mes amis sont, soit morts, soit emprisonnés pour trafic de drogue, soif enfin, toxicomanes. On peut communiquer avec ceux qui sont en prison par courrier mais il est très difficile de parler avec des toxicos, complètement enfermés dans leur monde. C’est un véritable problème pour moi car je n’arrive pas à les aider. Aucun des toxicomanes que j’ai pu rencontrer ne s’en est véritablement sorti : même après les cures ou la prison ils finissent toujours par retomber dans la drogue.

Royaliste : La drogue est-elle forcément liée aux banlieues ?

Farid Mérabet : Cet amalgame est très courant pourtant il n’y a pas de drogués et de dealers dans toutes les banlieues. Il n’y a des dealers lorsqu’il y a des consommateurs, or le consommateur ce n’est pas nécessairement le black ou le beur des quartiers, cela peut être le fils d’avocat ou de médecin du centre-ville, qui, lui, a l’argent nécessaire pour se payer de la drogue. Il s’agit donc d’un phénomène généralisé, les quartiers en sont un terrain propice parce qu’il y a là le besoin d’une économie parallèle. Les banlieues « payent » le problème de la drogue parce qu’elles connaissent un problème d’identité et que les jeunes des quartiers défavorisés courent après l’argent facile.

La question de la drogue n’est pas liée aux banlieues, c’est un problème international. Des guérillas ont été financées avec l’argent de la drogue, ce sont également les services secrets américains qui ont inventé le crack et qui l’on introduit dans les ghettos noirs. La drogue et le deal sont, certes, plus visibles en banlieue, mais j’ai pu consta ter que la plupart des jeunes qui venaient en acheter dans mon quartier étaient issus des familles aisées du centre-ville.

Royaliste : La banlieue reste quand même le lieu où l’on vend de la drogue…

Farid Mérabet : Ce n’est vrai qu’en partie. Je ne connais pas une seule grande ville qui n’ait, en son centre, un lieu d’approvisionnement pour la « came ». Les banlieues ne sont le lieu que de petits trafics, les échanges les plus importants se font entre pays et dans les quartiers chics comme le 16e arrondissement à Paris. Les banlieues ne sont que les victimes de ce commerce international, ce n’est pas de ce côté qu’il faut commencer la lutte contre la drogue.

Royaliste : Faut-il faire une distinction entre les différents produits appelés « drogue » ?

Farid Mérabet : Il ne faut pas confondre l’héroïne, la cocaïne, le crack ou le cannabis. Il existe de très nombreux fumeurs de haschich et cela dans tous les milieux. Mais fumer du hachisch n’a aucune incidence sur la santé (1). La décision politique de classer le cannabis parmi les drogues entraîne de nombreuses confusions. Au contraire, l’héroïne, le crack ou le LSD sont des substances très dangereuses.

Royaliste : la légalisation de certaines substances est-elle une solution à la toxicomanie ?

Farid Mérabet : Je suis pour la légalisation du cannabis. L’expérience hollandaise prouve qu’il n’y a pas plus de toxicomanes dans un pays où sa consommation est légale. Et je pense que si l’on a un bon équilibre psychologique et si l’on fume des produits de qualité, on ne court aucun danger. En France on dit que le cannabis est une drogue, mais à mon avis le café, l’alcool, ou la cigarette en sont au moins tout autant ! La consommation de cannabis, illégale, marginalise. Le fumeur de hasch est tout de suite catalogué comme un drogué, alors qu’il n’y a aucun rapport entre le cannabis et les drogues dures. De plus la légalisation casserait l’économie parallèle des petits dealers…

Royaliste : Faut-il faire une différence entre un dealer de cannabis et un dealer d’héroïne ?

Farid Mérabet : Le dealer de hachisch sait qu’il ne tue personne et pour lui c’est un revenu appréciable. Le vendeur d’héroïne ne voit que l’argent et, de ce fait, peut vendre n’importe quoi, comme des produits trafiqués par exemple. J’ai été un des premiers à me battre contre les dealers de mon quartier : j’ai fait le choix de couper toute relation avec ce type d’individus car ce sont des criminels. Ils agissent en toute impunité. Cependant deux semaines avant les élections il y eut un joli « coup de filet » et cela, bien sûr, en présence du maire…

Pourtant, et même s’il y a des différences, ni le vendeur de hasch ni le vendeur d’héroïne ne sont des modèles positifs pour les jeunes. Mais trop souvent on généralise, on ne voit que ceux qui dealent et pas ceux qui s’en sortent.

Royaliste : Quelle influence ces vendeurs ont-ils sur les jeunes ?

Farid Mérabet : Les jeunes des quartiers défavorisés prennent trop souvent exemple sur les dealers qui sont riches et qui possèdent de belles voitures. Notre association se bat justement pour contrer ce modèle. Mais cela reste bien difficile quand on voit que le dealer subvient aux besoins matériels de sa famille et va jusqu’à payer des vacances aux gosses de son quartier. De plus, dès qu’un jeune à douze ou treize ans, on lui propose des « petits boulots » en rapport avec la drogue et on le remercie en lui offrant un téléphone portable ! Il est clair que tout ceci ne peut qu’engendrer la violence…

Royaliste : Ce constat est bien pessimiste…

Farid Mérabet : Les politiques ne proposent aucune alternative aux problèmes de ces jeunes, ils sont laissés pour compte. Ils baignent dans le négatif toute la journée : dès qu’ils regardent les faits divers il n’y en a que pour eux. Même si la plus grande majorité s’en sortent, il ne faut pas nier que de nombreux problèmes existent.

Royaliste : On dit pou tant que ce type de consommation est un tremplin vers des drogues plus dures…

Farid Mérabet : Il y a un large fossé entre le cannabis et les drogues dures. Un fumeur de hachisch connaît les effets dévastateurs de la coke ou de l’héroïne et ne franchira pas la limite. Je fais souvent la comparaison entre l’alcool et le cannabis. Ce n’est pas la consommation d’un verre d’alcool de temps en temps qui conduit vers l’alcoolisme. Le phénomène de dépendance est le fait d’autres facteurs, comme une certaine fragilité psychologique par exemple. Bien sûr le hachisch est illégal mais certainement moins néfaste pour la santé que l’alcool. Le terme de « drogue » est trop flou et recoupe trop de différences, il est logique qu’il conduise à des confusions.

Royaliste : Comment peut-on en arriver à consommer des drogues « dures » ?

Farid Mérabet : Parmi les gens que j’ai pu connaître, il s’agit souvent de dealers qui sont tombés dans leur propre piège. Comment un toxicomane peut-il trouver trois mille francs par jour pour s’acheter sa came ? Il doit en vendre, ou bien il devra agresser des gens dans la rue… Quoi qu’il en soit, cela concerne autant les familles aisées que les plus pauvres.

Pour tomber dans la drogue dure il faut être fragile ; c’est une forme de suicide car tout le monde sait que la consommation de certaines substances est dangereuse, voire mortelle.

Royaliste : Comment lut ter contre cet engrenage ?

Farid Mérabet : Les campagnes d’informations sont aujourd’hui très archaïques. Celles que j’ai pu voir ne m’ont fait aucun effet. Au contraire, par des activités comme le sport ou la culture, des associations de terrain ont fait bien plus. Elles ont proposé une alternative à la consommation de drogue au lieu d’en prévenir des dangers déjà connus de tous. Le suivi thérapeutique, lui aussi, est très insuffisant. Alors que certaines personnes sont en train de mourir, on les place sur liste d’attente ! De plus il est très rare que les toxicos ne retombent pas dans la drogue même après une cure. Je crois que pour s’en sortir il faut un soutien familial. Et il est vrai que les drogués sont rejetés même au sein de leur propre famille en raison des troubles qu’ils provoquent. Pourtant les toxicomanes ont deux fois plus de raisons d’être écoutés.

Il ne faut pas de tabous sur la drogue, les parents doivent en parler avec leurs enfants avant qu’il ne soit trop tard. La drogue n’est pas une fatalité, seulement il ne faut pas se tromper de coupables. La drogue existe certes dans les banlieues mais ce n’est pas là-bas que ce font les plus gros deals…

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(1) Cela est contesté et le sujet de nombreux débats.

Propos recueillis par Rémy Tissot et publiés dans le numéro 693 de « Royaliste » – 20 octobre 1997.

 

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