Quant à l’affaire de la MNEF, nous ne hurlerons pas avec les loups pour deux raisons :
– Ce n’est pas notre genre ;
– Il n’y a pas de loups.
Le premier point se passe de commentaires, mais je dois dire que nous faisons un effort tout particulier, ces temps-ci,pour ne pas faire écho à ce que nous racontent des témoins scandalisés par le comportement de certains hiérarques.
La seconde observation tient à la compassion qui entoure M. Strauss-Kahn depuis sa démission. La gent médiatique, d’ordinaire prompte à se rameuter pour mordre et terrasser les isolés, a invoqué la présomption d’innocence avec une noble constance et salué le départ du ministre avec tant de retenue et de tristesse qu’on avait l’impression que le démissionnaire était victime d’un accident de santé. Preuve que ce pouvoir gouvernemental, qui a renoncé à s’affirmer en tant que tel, conserve assez de puissance pour tenir en respect le personnel du sérail.
Cela tient pour une grande part aux éloges de ce que M. Strauss-Kahn, qui se flattait de lire Marx, appelle sans doute le « grand capital ». Eloges du FMI, de la City, de Wall Street : voilà qui devrait embarrasser les dignitaires socialistes et qui, au contraire, les conforte dans leur bonne conscience. L’estime des milieux ultralibéraux et l’illusoire « confiance des marchés » leur importe infiniment plus que les opinions et les jugements d’un électorat qu’ils croient captifs à jamais. Mauvais calcul : ce que les hiérarques socialistes gagnent en considération fugitive et amusée chez les spéculateurs et les banquiers centraux se traduira par des pertes sévères à l’heure des échéances électorales.
Comment le « peuple de gauche », comme on disait autrefois, pourrait-il continuer d’accepter que ses représentants gèrent les affaires du pays dans le mensonge et par inertie ? Du point de vue strictement politique, la démission de M. Strauss-Kahn est hautement significative. L’ancien avocat d’affaires quitte peut-être son ministère pour de mauvaises raisons,peut-être pour de sales motifs, mais il est de toute manière bon qu’il parte. Même si son innocence est judiciairement établie, ce personnage vaniteux, économiste sans pensée ni œuvre, qui a bâti sa réputation modernisatrice sur le « laisser-faire » des libéraux du siècle dernier, porte une écrasante responsabilité dans le bradage de notre industrie nationale, dans la destruction de notre système bancaire, dans le développement inouï des inégalités.
Il est vrai que la démission de ce dandy ne change rien : les « marchés » n’ont pas frémi, et Christian Sautter ne sera qu’un commis aux écritures comptables – agaçant dans la mesure où il ne contrôle pas ses nerfs (1). Ce qui ne nous empêche pas de ressentir un réel soulagement moral.
Je me permets de faire référence à la morale, puisque M. Jospin a bâti sa réputation sur l’étalage de ses vertus. Cette réputation est en train de se défaire. La comparaison des promesses électorales et des actes montre que le premier ministre a menti aux Français, et ses déclarations sur les affaires dans lesquelles plusieurs de ses proches pourraient être compromis relèvent de la pure et simple hypocrisie. Qui peut croire que M. Jospin n’a jamais rien vu ni su quand il dirigeait le Parti socialiste ? Qui peut croire que M. Jospin pouvait regarder sans inquiétude les relations qui s’étaient nouées entre Jean-Marie Le Guen, député socialiste parisien, et un personnage aussi … discutable que Pierre Bergé ? Qui peut croire que M. Jospin n’a pas eu le temps d’éloigner celles et ceux qui risquaient d’être compromis dans des malversations, alors que l’affaire de la MNEF est sur la place publique depuis juillet 1998 ? La naïveté serait étonnante, de la part d’un homme formé à la rude école du trotskysme. Faut-il dès lors parler de complaisance, de laxisme, ou de lâcheté ?
Ces remarques et ces mots risquent de blesser. Tant pis. L’agression est infime, au regard du désastre civique que les irresponsables et les corrompus de droite et de gauche sont en train de provoquer.
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(1) Première preuve publique, sa référence au pétainisme pour discréditer ceux qui défendent plus ou moins adroitement la souveraineté nationale, restent fidèle au général de Gaulle et s’inspirent du programme économique et social de la Résistance.
Editorial du numéro 737 de « Royaliste » – 1999
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