Jusqu’où le légalisme ? – par Eric Wenzel

Avr 28, 2023 | Billet invité

 

 

Peut-on être royaliste et en appeler à la révolution ? Historiquement parlant, la réponse pencherait plus volontiers vers la négative tant le royalisme a longtemps été assimilé à la contre-révolution, donc au conservatisme, voire à la réaction. La mémoire étant sélective, on rappellera que le jeu parlementaire est né sous la Restauration qui, à défaut de le consacrer « constitutionnellement » dans la Charte accordée en son temps par Louis XVIII, en a posé les bases par une pratique visant à faire tomber les ministères quand ceux-ci n’avaient plus la confiance des Chambres. Il n’y avait alors pas nécessité de recourir à un 49-3 qui n’apparaît aujourd’hui avoir  encore de sens que si nos « représentants » acceptent de faire passer les intérêts de la Nation avant ceux de leur groupe politique, leur carrière personnelle ou ceux d’un insaisissable Marché trop souvent présenté sous des attributs humains.

Il n’y a donc pas si longtemps, la défense de la démocratie par un mouvement royaliste aurait paru aussi étrange ou incongru que de faire jouer un membre de la famille royale anglaise de l’époque victorienne par une actrice afro-américaine… La Nouvelle Action Royaliste a prouvé, à l’instar des monarchies encore existantes en Europe, que « couronner la démocratie » est sans doute un gage de meilleur fonctionnement qu’un régime républicain, au sens institutionnel du terme, entre de mauvaises mains. La Ve République avait à l’origine une taille patron, mais, un peu à la manière d’une Formule 1 confiée à un chauffeur incapable de conduire plus qu’une voiturette sans permis, celle-ci montre manifestement les limites de son organisation. Pourtant, tout y était : indépendance du chef de l’État à l’égard (ou à l’encontre) des partis, parlementarisme, appel à ce peuple un peu introuvable, mais dont la souveraineté peut s’exprimer par la possibilité de recourir au référendum, etc., même si la fausse séparation des pouvoirs au profit de l’exécutif pouvait et peut apparaître encore comme un point négatif, sauf à en rappeler la nécessité des origines (une IVe République engluée dans un excès de parlementarisme). Il est vrai que l’hyper-présidentialisation du régime né du quinquennat et de l’inversion du calendrier électoral (présidentielles avant les législatives) a bouleversé la donne institutionnelle. Le reste est une affaire d’hommes.

Au-delà des institutions et du droit public, notre République chavire en effet sous le coup de la trahison des élites (encore une !) : que les « forces de l’argent » aillent  à l’encontre du peuple, au sens social du terme, sonne comme une lapalissade (on vient d’apprendre que plusieurs milliardaires norvégiens auraient décidé de quitter leur pays à cause d’une taxe sur leur profit à hauteur de 0,1 %…), que nos représentants en oublient qu’ils ne détiennent pas la souveraineté populaire ou nationale, bref qu’ils ne sont que nos représentants est aussi une fâcheuse habitude qu’il devient peut-être urgent de terminer.

Depuis Aristote, on sait que le gouvernement d’une élite aristocratique pour son seul intérêt de caste, ou de classe pour user d’un vocabulaire marxiste, se nomme oligarchie. La chose est rappelée, entre autres penseurs politiques, par l’aristotélicien Thomas d’Aquin au XIIIe siècle, par Machiavel à la Renaissance (qui en rejetait les fondements, contrairement à une idée reçue), encore par Montesquieu à l’époque dite des Lumières, pour ne prendre que quelques références majeures. Insistons un peu sur l’auteur de De L’Esprit des Lois qui voyait dans la modération aristocratique (associée à l’honneur monarchique) la clef d’un régime équilibré, tempéré, le mieux à même d’éviter le glissement vers le despotisme. Parce que les élites sont au-dessus du commun des mortels, disons des citoyens, leur modération consiste à précisément savoir ne pas prendre de décisions pour leurs seuls intérêts ou profits, mais bien ne pas oublier qu’ils gouvernent pour le bien commun. Notre République fonctionne un peu sur cette idée née de l’invention du contrat social : nous élisons un personnel politique censé avoir des compétences de gouvernement et de décisions que le corps civique n’a dans sa grande majorité pas ; en somme une démocratie aristocratisée. John Locke, une génération avant le baron de la Brède, n’avait pas hésité à légitimer le devoir de révolte le cas échéant, position reprise par une Ière République qui ne fera que théoriser cette possibilité dans une nouvelle déclaration des droits et dans la Constitution du 24 juin 1793, vite abandonnées et jamais appliquées. Rappelons que l’honneur d’un roi consistait pour Montesquieu à savoir ne pas gouverner seul, en tyran, mais à s’entourer des talents utiles au bien commun, à la res publica (en somme, une autorité, dans sa définition première, celle d’une capacité à l’élévation). Ce temps est-il définitivement révolu ?

Le fait est que décider d’une réforme contre laquelle les trois-quarts des citoyens paraissent s’opposer s’appelle un déni de démocratie, surtout quand est prévue la possibilité d’un appel au peuple, si tant est que ladite démocratie soit encore fondée sur le respect de la majorité et ne soit plus qu’un mot, une coquille vide de sens et de réalité pratique.

Que faire ? Dès les années 1970, l’historien du droit et théologien Jacques Ellul ne croyait plus la révolution possible. Un peu à la manière d’un clapet d’une cocotte-minute en surchauffe, la société moderne (ou post-moderne) née du capitalisme néolibéral ne pourrait plus guère à l’avenir que se révolter : il suffit de permettre d’évacuer le trop plein de vapeur sans que la cocotte n’explose pour autant. La paupérisation des classes moyennes, généralement à l’origine des véritables contestations politiques grâce à leur entregent intellectuel et économique, semble confirmer ces funestes prédictions.

Il est vrai qu’au-delà des possibilités évidentes d’adaptations (presqu’à l’infini) du modèle économique et social en vigueur, qui veut transformer les citoyens en zombies décérébrés de la consommation, on ne peut guère attendre des institutions en place. Les syndicats n’ont pas vocation à appeler à la fin d’un système politique (ce n’est pas leur rôle et on ne mord pas la main de l’État qui vous nourrit) et les voilà donc confinés à appeler à manifester « de la Bastille à Nation ». Les partis qui se prétendent héritiers des grands courants révolutionnaires de naguère ne sont composés que de révolutionnaires d’opérette ou de salon ayant bien trop à perdre en termes de carrière et financièrement (que dire des communistes devenus de banals socio-démocrates). De plus, l’histoire nous rappelle que l’extrême-gauche (ou prétendue-t-elle) au pouvoir finit toujours en dictature ou peu s’en faut. Les politiques de tous bords, ou presque, paraissent comme des vendus du grand capital (avec l’accent de feu Georges Marchais cette triste réalité passe mieux…), au point de ne même pas admettre que la réforme des retraites n’est qu’une étape dans la volonté de rassurer les Marchés de la part d’une France au bord du gouffre financier.

Faut-il donc donner tort à Jacques Ellul ? Passer à une VIe République pour mieux en préparer une nouvelle ? Les propositions en ce sens semblent s’orienter vers un surcroît de pouvoir au corps législatif, avec les conséquences que l’on sait en matière d’instabilité et de renouvellement quasi permanent des ministres ; bref le retour à une IVe République qui a montré ses limites pratiques. L’autogestion ? Ce serait oublier les incompétences de la majorité du corps social et civique à la gouvernance, à moins de croire à la démagogie, au sens premier du terme. L’idée n’est peut-être pas à rejeter entièrement à condition d’en restreindre l’intervention au niveau d’une chambre citoyenne limitée à des propositions de lois.

Ne reste peut-être qu’une révolution par le haut ? Croire à l’intervention d’un homme providentiel en cette période de médiocrité de la classe politique ne paraît guère de circonstances. Ce n’est du moins pas des prétendus représentants que sortira le sauveur, qui n’est toutefois peut-être pas absent.

Le lecteur ne sera sans doute pas étonné de lire sur ce blog l’appel à une révolution par le haut, c’est-à-dire à une révolution royale. Cette révolution royale qu’un Louis XVI a raté en son temps, qu’un Louis XVIII a failli réussir par l’octroi de la Charte, qu’un Louis-Philippe aurait pu gagner, malgré son manque de légitimité en 1830, s’il n’était tombé dans une forme d’autoritarisme peu en phase avec les aspirations libérales du moment. A rebours d’une vision anachronique, l’histoire n’est jamais un éternel recommencement et peut-être faut-il renouer avec « la chaîne du temps » ? On rappellera qu’être roi n’implique pas des qualités exceptionnelles, que le « métier de roi » suppose une éducation, une hauteur conférée par la neutralité vis-à-vis des factions, surtout, la légitimité et l’autorité conférées précisément par l’histoire. Au risque de citer Lénine (dur, dur), « là où il y a une volonté, il y a un chemin ».

Quoi qu’il en soit, le temps est sans doute venu de dire stop, non pas tant à la Ve République qui est à la base un régime politique sensé, mais aux politiques qui en ont détourné les fondements essentiels et se sont lancés dans le jeu de la médiocratie. Alors aux armes citoyens ? ! Pourquoi pas, tant ces armes (pas des casseroles) ne signifient pas forcément mettre des têtes au bout de piques, mais de rappeler que « les lois inutiles (donc a fortiori les injustes) affaiblissent les lois nécessaires. »

Alors, puisque nos régimes contemporains trouvent leur origine et leur légitimité en 1789, qui en son temps a su ne pas confondre légalité et légitimité, faut-il enfin désobéir et que sonne un nouveau : « Une révolte ? non Monsieur le Président, une révolution ! » Dans un futur assez proche, cela risque d’être définitivement trop tard. Si le peuple est souverain, qu’il le montre, mais l’a-t-il jamais vraiment été ?

Éric WENZEL

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