La victoire possible du Rassemblement national a provoqué un surcroît d’insultes et de menaces racistes pendant la campagne du deuxième tour. Elles ne sauraient faire oublier les pulsions inavouables qui agitent le parti politico-médiatique des gens raisonnables, celui de l’extrémisme feutré.
Le Rassemblement national aspire à rejoindre le parti des gens raisonnables en copiant la ruse bourgeoise qui consiste à sauver les apparences. Le costume-cravate des députés lepénistes et les propos rassurants sont censés faire oublier que, depuis quarante ans, Jean-Marie Le Pen et sa fille ont exploité la haine identitaire.
Certes, on ne scande plus “La France aux Français” dans les réunions publiques mais le slogan “On est chez nous” n’est pas moins xénophobe. Il est malheureusement logique que certains groupes prennent au sérieux les intentions affichées et multiplient les menaces physiques sur les réseaux sociaux ou par courrier postal. Ce sont certes des minorités dans l’électorat lepéniste mais elles ne sont pas plus contrôlées que les candidats RN à la députation qui ont révélé au cours de la campagne leur racisme en même temps que leur nullité.
Il y avait par conséquent de sérieuses raisons de craindre des passages à l’acte raciste en cas de victoire complète du Rassemblement national et de violentes réactions dans les banlieues des grandes villes où, nous dit-on, de nombreux habitants immigrés ou issus de l’immigration se sont volontairement confinés avant les premier et deuxième tour des législatives tout en évoquant divers moyens d’auto-défense. Il y avait aussi de sérieuses raisons de redouter les démonstrations violentes des “antifas” qui auraient donné d’excellents arguments au Rassemblement national. L’ultra-gauche a commis des exactions, mais le Black Bloc est resté sage lors de la manifestation parisienne du 29 juin et pendant le meeting, de coloration rouge-verte, sur une place de la République à moitié vide, le 4 juillet : on était loin, très loin, de la grande mobilisation antifasciste annoncée.
Conforté par les sondages publiés dans la première semaine de juillet, le parti des gens raisonnables a cultivé la peur des exactions racistes et appelé à “faire barrage” à l’extrême droite. Cette réaction serait tout à fait estimable si les modérés de droite et de gauche ne plaidaient pas en même temps pour le statu quo économique et social.
Bien entendu, la plupart des commentateurs de radio et de télévision se sont répandus en bavardages interminables sur la tactique des diverses formations politiques, au vu de sondages inlassablement disséqués. Comme à l’accoutumée, les idées ont été peu évoquées. Les chercheurs qui auraient pu donner des éclaircissements sur les programmes ont été rarement invités sur les plateaux. Par exemple, nous aurions aimé entendre régulièrement Thomas Piketty sur les questions fiscales et Benjamin Lemoine sur la dette publique, Jacques Sapir sur le protectionnisme… C’est une fois de plus la presse écrite et les publications sur Internet qui ont sauvé le débat démocratique.
Cette obsession des commentateurs de plateau pour la tactique politicienne tient au conformisme paresseux des “grands” éditorialistes (Alain Duhamel) et au débat en continu qui nécessite l’appel à de très nombreux participants. Comme les bons analystes sont peu nombreux (Stéphane Rozès et Jérôme Jaffré pour l’opinion publique, Benjamin Morel pour le droit constitutionnel) on fait appel à d’innombrables “experts” de pacotille, qui excellent dans les aimables banalités. L’émission “Les informés” de France Info est à cet égard parfaitement exemplaire du débat résolument conformiste au sein de la couche inférieure de l’élite du journalisme et de la communication.
On se lasserait vite du bavardage médiatique s’il ne recouvrait pas le vaste champ des intérêts privés et des pulsions inavouables. Au vu des instituts de sondages qui se mettaient à suggérer que le Rassemblement national n’aurait pas la majorité absolue, le parti des gens raisonnables a pris l’allure d’un chœur antique pour appeler à la constitution d’un “gouvernement technique” formé avec le soutien des modérés de gauche et de droite à l’Assemblée nationale.
Une telle configuration évoque la IVe République, où les gaullistes d’un côté et les communistes de l’autre ne pouvaient ni ne voulaient participer à la formation des gouvernements. Mais il faut bien voir, au-delà des hypothèses politiciennes, que le parti des gens raisonnables veut avant tout défendre le statu quo, assorti pour faire joli de quelques effets d’annonce consensuels, par exemple sur l’écologie. Le statu quo, c’est tout simplement le système de protection et de promotion de l’enrichissement de quelques-uns, qui participent ou aspirent à participer aux discrètes jouissances, matérielles et symboliques, procurées par le capitalisme financier.
Les plateaux de télévision permettent de voir s’ébrouer l’élite du pouvoir, des médias et des affaires – oui, Alain Minc est toujours là. Tout entier livré à ses pulsions d’enrichissement et de domination, ce prétendu “cercle de la raison” prépare l’après-Macron sans jamais admettre que, depuis quarante ans, il pave la route de l’extrême droite vers le pouvoir à coup de réformes néolibérales. Chaque année qui passe rend le pari du statu quo plus risqué, comme le montre la succession rapide des révoltes, dans la rue et dans les urnes.
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Article publié dans le numéro 1282 de « Royaliste » – 7 juillet 2024
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