On ne cesse d’évoquer en haut lieu l’origine monarchiste du septennat et la fin de la monarchie présidentielle. Sans doute serait-il judicieux d’interroger sur le fond des choses ceux qui sont comme nous attentifs aux monarchies royales – la sympathie n’étant pas nécessairement signe d’aveuglement.
Comme on tarde à nous demander cet avis, je veux le donner sans attendre. Mais sous forme d’aperçus seulement car la question est complexe et décisive, contrairement à ce que disent le président de la République et ses hommes-liges lorsqu’ils tentent de présenter le quinquennat comme une réforme de faible importance. De fait, même Jean-Louis Debré devrait comprendre que la réduction de la durée du mandat présidentiel pose la question du temps, ou plus exactement de la temporalité, définie comme unité du passé, du présent et du futur (1).
Les monarchistes et les gaullistes ont le souci politique de la temporalité, exprimé en partie dans la Constitution de la 5ème République, et pleinement dans les monarchie royales. Cela se traduit par leur commune exigence de continuité, qui inscrit les institutions et les actes dans le mouvement de l’histoire, et par le principe d’arbitrage qui est lié au temps : sur un terrain de sport l’arbitre porte un chronomètre, et l’Etat est le « maître des horloges » selon la juste et belle formule de Philippe Delmas (2). La juste mesure est aussi celle des rythmes de l’action publique, et cette mesure est d’autant plus juste que le chef de l’Etat a « tout son temps » dans les sept ans d’un mandat renouvelable, et « tout le temps » lorsqu’il est roi – homme mortel dont le temps est compté, mais qui se trouve projeté dans le mouvement indéfini de la succession dynastique.
Les techniciens du pouvoir diront que ces remarques sont trop compliquées pour « les gens ». Au contraire ! Dans l’amour des peuples pour les reines et les rois, il y a cette expérience métaphysique de la temporalité : le roi relie le passé, le présent et l’avenir, par la tradition dynastique, par la naissance du prince héritier, par ses actes de serviteur de l’Etat, et au moment où « le mort saisi le vif » – non par pulsion vitale mais selon l’ordre juridique prescrit par la constitution du pays, .
Le souci politique de la temporalité s’exprime en effet dans l’ordre juridique, qui règle de nombreuses questions portant sur les nombres, les durées et les dénombrements. A cet égard, Valéry Giscard d’Estaing est impayable lorsque, poule vénérable découvrant l’œuf, il s’étonne qu’on puisse s’appuyer sur une convention remontant au 19ème siècle – alors que le cinq n’est ni plus ni moins conventionnel que le sept. Pourquoi pas quatre ans, ce qui nous mettrait tout à fait à l’heure américaine ? Monsieur Je-Sais-Tout ne saurait le dire.
Les royalistes, quant à eux, défendent faute de mieux le septennat parce qu’ils savent que les rythmes conventionnels prennent un sens dans la mesure où ils sont différents – la différence des temps de l’action politique mesurant les divers ordres de préoccupations et de tâches. Le temps dont dispose le chef de l’Etat lui permet de faire peu à peu reconnaître son indépendance, de préserver des moments de réflexion, et de se mettre dans le cours de l’histoire nationale. Le Premier ministre, révocable, n’est pas maître de son temps, qui est celui de la mise en œuvre quotidienne et aléatoire d’un programme déterminé, qui implique des décisions rapides prises dans l’angoisse des effets pervers. Les députés ont besoin d’une durée fixe pour légiférer sans trop de hâte, et les sénateurs d’une plus longue mandature puisqu’ils sont ou devraient être les artisans de la réflexion équilibrante, ce qui implique de sages lenteurs…
Voilà qui contredit la mode, qui est à la confusion des temps par homogénéisation de tous les mandats. Cela signifie que l’on veut réduire le pouvoir politique à une technique de gestion, en oubliant que la confusion des temps provoquera celle des modes de légitimation (des parlementaires, du gouvernement, du président) et placera dans une position exactement symétrique les autorités rivales qui résident à l’Elysée et à Matignon. La République gaullienne n’y survivrait pas.
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(1) Sur cette unité « ek-statique » qui implique mémoire et anticipation de l’homme capable de s’opposer à la nature et au destin en faisant l’histoire, cf. Marcel Conche, Temps et destin, PUF, 1992. pp. 41-42 et 105-109.
(2) Philippe Delmas, Le Maître des horloges, modernité de l’action publique, Odile Jacob, 1991.
Editorial du numéro 753 de « Royaliste » – 26 juin 2000
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