Choix de la tête de liste de la droite, discours d’icelle, tractations pour la composition de l’équipe : rien qui ne soit consternant.

En présentant le pathétique Michel Rocard et, à deux ou trois exceptions près, une liste d’apparatchiks aux élections européennes, le Parti socialiste offrait à la droite une belle occasion de se distinguer. Elle avait en la personne de Jean-François Deniau un candidat intelligent, européen lucide, payant de sa personne pour promouvoir la démocratie à l’Est, et capable de porter le débat électoral sur son véritable terrain. Toutes qualités qui faisaient de Deniau un candidat accepté par le RPR et que la formation chiraquienne aurait soutenu sans états d’âme…

Pour des raisons qui ressortissent à la cuisine interne de l’UDF, la future liste de droite rivalisera avec les socialistes dans la médiocrité. On se souvient vaguement que Dominique Baudis était à vingt ans un jeune homme déjà assez vieux pour être le thuriféraire de Jean Lecanuet. On s’aperçoit qu’il répète depuis bientôt trente ans le même discours européen tiédasse mais prudemment débarrassé de sa mythologie supranationale. Dominique Baudis décourage la polémique. Parfaitement courtois, parfaitement habillé, parfaitement maire de Toulouse, parfaitement fils de son père, il ennuie comme une gravure de mode.

Pas étonnant qu’il se soit fait assaisonner par ses compères qui, soit dit en passant, sont aussi forts que leurs adversaires de gauche dans le coup de poignard fraternel et dans l’auto-dérision. Ce pauvre Dominique n’avait pas encore fini de fêter sa désignation en savourant une tasse de thé déthéisé que de bonnes âmes venaient nous expliquer que les élections de juin n’avaient pas grande importance, tandis que Jacques Chirac faisait passer la potion Baudis en expliquant aux hiérarques du RPR que l’homme « se foutait » des européennes et ne pensait qu’à sa propre carrière. Comme le Parti républicain est furieux de la défaite de Jean-François Deniau, Dominique Baudis aura fort à faire pour se présenter comme l’artisan d’un rassemblement. Il perdrait en outre toute cohérence et toute crédibilité si sa liste, déjà composée au prorata des formations, réunissait effectivement un panachage de maastrichiens et d’anti-maastrichiens. Que retenir de tout ce fatras ?

– que les amabilités de Jacques Chirac, les manœuvres de Valéry Giscard d’Estaing et les diverses chamailleries de la droite montrent que la coalition victorieuse au printemps de 1993 est aussi délabrée que la gauche, et non moins menacée d’effondrement.

– que les banalités du maire de Toulouse risquent fort de pousser nombre d’électeurs de droite vers la liste du Front national ou, s’ils préfèrent une version plus distinguée, vers le duo Villiers-Goldsmith.

– que, pour reprendre un verbe chiraquien, tout ce petit monde « se fout » de l’Europe : les états-majors politiques ne pensent qu’à l’élection présidentielle, les notables et les apparatchiks cherchent à se bien placer, et la présentation de projets pour l’Europe aux électeurs est le dernier souci de ces messieurs et de ces dames.

Prime à l’extrême droite, prime à l’abstention : en cherchant à fuir ses contradictions, en voulant éviter tout débat de fond sur la crise de la construction européenne, la coalition RPR-UDF prend le risque majeur d’être un jour ou l’autre rejetée comme un vulgaire Parti socialiste.

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Article publiée dans le numéro 621  de « Royaliste » – 2 mai 1994.

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