La Renaissance, période désordonnée du monde, finalement brillante de l’histoire de France, ou « Renaissance » (Renew au Parlement européen), vision d’un homme qui voulait dépasser la gauche et la droite autour d’un groupe central de plus en plus réduit à la peau de chagrin ?
Cette ambiguïté domine le long monologue de plus de cent minutes le 6 janvier à l’endroit des ambassadrices et ambassadeurs lors de la 30e édition de la conférence habituellement tenue fin août et retardée sous prétexte des jeux paraolympiques. Emmanuel Macron défie un « défaitisme ambiant » qui n’est autre que l’effet de son propre crépuscule. Il ne faudrait pas qu’il entraîne la maison France dans sa chute, encore plus sensible à l’étranger qu’à l’intérieur.
Puisque cette réunion a eu lieu, hélas trois fois hélas si l’on en juge aux réactions internationales des pays écorchés par le président français, les ambassadrices et ambassadeurs y auront reçu peu d’indications pour leur mission. Ils auront été les spectateurs passifs d’un volontarisme qui a quelque chose de désespéré, de pathétique, dans un isolement de moins en moins jupitérien.
Le discours est toujours impeccable, en trois parties. L’analyse des causes du « désordre du monde », en trois temps : stratégique (« le retour des pulsions impériales »), technologique (« les bouleversements de l’information et des savoirs »), « politico-philosophique » (« remise en cause violente de l’humanisme »). Copie de concours des futurs administrateurs de l’Etat, héritiers des corps diplomatiques dissous. Les priorités de la politique étrangère sont également déclinées en trois chapitres : la sécurité, la prospérité et les biens communs (au nombre de quatre : climat, santé et alimentation, financement de la croissance, démocratie).
Le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, le lendemain, a également suivi la présentation ternaire, sans doute due à des plumes normaliennes analogues : « une voix singulière », « une puissance créatrice », et le service de tous les Françaises et Français.
La voix, qui est celle de son maître, appelle les chefs de mission diplomatiques à la communication toujours et partout, à l’inverse de la pratique confidentielle du passé. La création, c’est d’entraîner les gouvernements auprès desquels ils sont accrédités à adhérer au multilatéralisme défendu par le président et où Paris sera largement mis à contribution (la liste des sommets ressemble à la chaîne de l’Himalaya : intelligence artificielle en février, « Nutrition for growth » en mars, « Océan » en juin, auxquelles Jean-Noël Barrot a ajouté en juin « une grande conférence sur les diplomaties féministes »). Les intérêts français, c’est traditionnellement la promotion des exportations auxquelles on ajoute la culture. Il s’y joint cette année un appel aux ambassadrices et aux ambassadeurs à la prospection géologique, en identifiant les sources non encore exploitées de minerais stratégiques. Emmanuel Macron est particulièrement fier de son passage sous la yourte à Oulan-Bator. Toutes et tous à vos casques et lampes frontales.
Bref, le Congrès s’amuse. Le problème avec la conférence des 6 et 7 janvier n’est pas tant l’accélération de la menace, que ce soit au Moyen-Orient ou à l’est de l’Europe, le président plaçant l’Iran en tête des défis stratégiques et sécuritaires pour la France avant la Russie, et ne disant rien des autres (Chine, Méditerranée). Le problème pour les femmes et les hommes qui doivent rentrer dans leurs ambassades et confronter leurs interlocuteurs étrangers, c’est la situation politique de la France. Comment l’expliquer ? Quelles perspectives ? Il en va de leur crédibilité, et plus encore de leur légitimité. Même si les grands de ce monde s’appellent au téléphone, qu’il y a plein d’autres relais, ambassadrices ou ambassadeurs demeurent les courroies de transmission les plus sûres, dans la durée, des uns aux autres. Comment faire longtemps illusion ? Comment ne pas être concernés par le désordre intérieur qui ajoute au « désordre du monde » ?
Tout cela n’a plus guère d’importance à quelques jours de l’inauguration du président américain. L’idée soudaine, plus improvisée que programmée, de tenir dans l’urgence une conférence des ambassadrices et des ambassadeurs deux semaines avant cet événement n’a fait que démontrer notre dépendance. Il sera plus utile de faire le point dans huit mois où les intervenants auront de la matière pour échanger leurs analyses et décider des stratégies quand les axes seront plus clairs alors qu’on reste actuellement dans l’ordre des supputations.
C’est ainsi qu’est apparue la seule « idée nouvelle » du discours présidentiel, empruntée à un article publié par le Grand Continent (1) le 8 novembre dernier, au lendemain des élections américaines, qui expliquait le succès de Donald Trump par la rencontre de deux phénomènes supposés antinomiques : le populisme arriéré et la technologie la plus avancée, l’avant-hier et l’après-demain, les ploucs et les start-ups, les pieds dans la gadoue et la tête dans les étoiles. L’historien italien Lorenzo Castellani, auteur de l’article, a qualifié le phénomène d’ « accélération réactionnaire », associant deux mouvements physiques d’accélération et de réaction. Il jouait ainsi sur les mots, réaction faisant appel aussi, sans qu’il précise, à un courant politique historique lié à la Révolution française. Au moins cela lui permettait de dépasser le débat ouvert sur le « fascisme », et de se démarquer du « national conservatisme » en vogue parmi des intellectuels plus ou moins acquis à Trump. Macron, en reprenant ce terme, le déforme en l’assimilant à l’extrême droite française et européenne. Parlant d’ « internationale réactionnaire », il sort le concept de son contexte américain pour l’étendre, sans les citer, à l’AfD et pourquoi pas au RN, et en faire la nouvelle « pensée unique » après avoir souligné les contradictions entre les différents nationalismes . Si accélération il y a en France et en Allemagne, c’est celle des échéances électorales, pas celle de la recherche avancée et de l’économie innovante. Quant à l’idéologie supposée, on s’attend avec Trump à autant d’opportunisme que de radicalité.
Yves LA MARCK
1/ « Avec Trump, l’ère de l’accélération réactionnaire », Le Grand Continent, 8 novembre 2024.
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