La léthargie politique qui affecte notre pays est un état provisoire qui ressemble à la drôle de guerre vécue avant l’offensive allemande du 10 mai 1940. Mais l’animation sur le front social n’est pas en soi. Il faudrait une issue politique à la crise, qu’aucun parti ne peut ou ne veut assumer…

Je m’ennuyais l’autre soir devant la télévision, où se déroulait le sempiternel débat entre “experts” de la politique. Alain Duhamel, surjouait la passion et poussait ses pointes d’indignation avec la gestuelle et les mimiques dont il gratifie son public depuis cinquante ans…

Obligé de m’informer de temps à autre sur ce qui intéresse la gent médiatique, je me disais que le bavardage de plateau avait tout de même son utilité : montrer aux 99, 9% des Français qui ne sont jamais conviés à un dîner-en-ville ce qui se dit dans les hauts lieux de la sociabilité parisienne.

Le bavardage mondain est un mélange de disputes picrocholines et de haines recuites entre locuteurs surdiplômés qui sont d’accord sur l’essentiel : défense des positions acquises et des privilèges induits. Ce bavardage infuse dans le milieu ministériel et se répand dans les médias pour donner le verbiage consensuel – l’euro nous protège ; réformer les retraites, c’est indispensable – qui diffuse de la léthargie comme le ferait une tisane du soir surchargée en camomille.

Cette léthargie, Jérôme Fourquet l’a évoquée en début d’année dans Le Figaro (2 janvier) avec une pertinence qui mérite d’être soulignée. Il s’agit d’une léthargie politique, ou plus exactement politicienne, qui procède de tendances lourdes et de tactiques d’évitement. L’effondrement du Parti socialiste et de l’ancienne formation chiraco-sarkozyste a entraîné le remaniement macronien de l’oligarchie. La macronie a déçu parce que cette “gouvernance” s’est contentée de gérer de multiples crises en poursuivant la destruction de l’Etat et de la protection sociale. Malgré l’élection à l’Assemblée nationale de deux courants d’opposition réputés radicaux, les premiers mois de la nouvelle législature ont été ternes, la France insoumise étant paralysée par ses désordres internes et le Rassemblement national faisant patte de velours.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les Français se détournent des partis politiques dans leur ensemble, selon la tendance à l’abstention observée lors des dernières élections régionales et des législatives de juin dernier. Ce rejet attesté des partis politiques ne signifie pas que la démobilisation des Français est définitive. Il y a dans le pays des attentes politiques qui ne sont pas satisfaites et le mouvement social qui s’amorce contre la réforme des retraites prouve que de très nombreux citoyens ne se détournent pas des affaires de la cité.

Même si la renaissance des Gilets jaunes paraît impossible, comme l’explique Pierre Vermeren dans Marianne (9 janvier), des révoltes sociales sont probables dans la France périphérique. Cependant, Pierre Vermeren souligne à juste titre la difficulté qu’elles affronteront : si ces révoltes restent confinées à la périphérie, le pouvoir central les traitera par le mépris ; si les révoltés convergent vers les métropoles, le mouvement sera dévoyé par les extrémistes qui donneront prétexte à la répression policière. J’ajoute que si les révoltes à venir récusent d’emblée toute représentation militante du mouvement, comme l’ont fait la plupart des Gilets jaunes, l’échec sera d’emblée inscrit dans la protestation.

La léthargie constatée à l’automne peut sans doute évoquer la drôle de guerre ponctuée de coups de main mais la bataille sociale qui s’engage ne doit pas masquer les enjeux politiques. Il est normal que les syndicats refusent de pactiser avec les partis et il est vrai que les formations d’opposition n’offrent aucun débouché politique.

La fragilité de la Nupes ne tient pas seulement au désordre de la France insoumise et aux rivalités entre ses groupes : les Verts et les socialistes ont été des composantes de l’oligarchie et Jean-Luc Mélenchon, qui fut ministre de Lionel Jospin, ne saurait jouer au révolutionnaire intègre. Le Rassemblement national clame quant à lui que ses électeurs seront nombreux dans les manifestations contre la réforme des retraites. Or sa posture contestataire est contredite par sa stratégie pour l’actuel quinquennat : tout faire pour être accepté par Bruxelles, Francfort et Berlin, afin que Marine Le Pen ait une bonne chance d’entrer à l’Elysée en 2027.

La situation politique serait complètement désespérante si nous ne regardions pas du côté des forces latentes. Les innombrables souffrances et colères provoquées par la destruction progressive de l’Etat social et de l’économie nationale peuvent trouver des explications d’ensemble et des réponses positives dans les multiples publications et groupes qui composent la mouvance hétérodoxe en économie et qui se retrouvent peu ou prou dans le projet gaullien. Cette mouvance n’est pas un cénacle d’intellectuels : elle rencontre un écho important chez des centaines de milliers de citoyens qui se retrouvent sur les réseaux sociaux ; elle est trop inorganisée pour récupérer qui que ce soit mais elle est capable d’orienter vers de nouveaux projets résolument politiques.

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Article publié dans le numéro 1248 de « Royaliste » – 13 janvier 2023

 

 

 

 

 

 

 

 

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